Rythmé et entrainant, Soundtrack to a Coup d’Etat, le film documentaire de Johan Grimonprez, nommé aux Oscar, fait se rencontrer jazz et politique à travers l’histoire du Congo belge. Il révèle ainsi toute la violence d’un colonialisme agonisant.
En juin 1960, le Congo belge devient la République du Congo. Cet événement met fin à 75 ans de domination belge sur les peuples autochtones. Or, la nouvelle indépendance ne signifie pas pour autant la fin des ingérences étrangères dans le pays. C’est plutôt le coup d’envoi d’une nouvelle forme de contrôle des richesses du pays par les puissances occidentales. C’est le temps des assassinats, des coups d’État et du soutien à des dictatures militaires. Soundtrack to a Coup d’Etat narre cette période de troubles naissant avant l’indépendance du pays, et se terminant avec l’assassinat de Patrice Lumumba.
Et cette histoire, le long-métrage la raconte en la liant à une autre : celle du jazz afro-américain. Point culminant de cette double histoire : la manifestation menée par Abbey Lincoln et Max Roach au Conseil de sécurité des Nations unies contre l’assassinat de Lumumba.

2h de film, 3h de jazz
Sur les deux heures et demie qui le compose, Soundtrack to a Coup d’Etat étale sa bande sonore composée de dizaines de musiques, intégrant une pluralité d’artistes – de Louis Armstrong à l’African Jazz, en passant par Nina Simones et Duke Ellington. Toujours en lien avec la narration, la bande sonore accompagne la voix off, voire la remplace à certaines occasions. Ainsi, des titres comme Tears for Johannesburg habillent les images de la répression raciste en Afrique du Sud, tandis qu’Indépendance Cha Cha accompagne des Congolais célébrant l’indépendance.
La musique n’est ainsi jamais reléguée à un simple arrière-plan sonore. Elle fait partie intégrante du récit et ses interprètes en sont même des acteurs. Abbey Lincoln et Max Roach sont le point de départ de la réflexion du réalisateur, mais Armstrong ou Dizzie Gillepsie ont aussi leur importance dans la complexe histoire qui est relatée aux spectateur·ice·s.
Dosés avec parcimonie et choisis avec soin, les morceaux de jazz s’enchaînent naturellement sans provoquer le moindre sentiment de cacophonie indigeste. Ce qui en ressort, c’est plutôt un sentiment de découverte d’un univers musical, aussi bien par la musique elle-même que par celle de ses artistes et de leurs engagements politiques.
Condensé d’histoire
Si le jazz est évidemment au cœur du documentaire dans sa forme, c’est surtout l’histoire et la politique qui domine le fond. À travers son film, Grimonprez relate l’intégralité des manœuvres politiques dans lesquelles le contrôle du Congo et de ses ressources est un enjeu primordial. Ainsi, le documentaire raconte principalement des événements se déroulant entre l’indépendance du Congo, en juin 1960, et la manifestation en réponse à l’assassinat de Lumumba, en février 1961. La période est courte, mais d’une impressionnante densité. Les informations s’enchaînent, les noms aussi, et, très vite, l’événement national de l’indépendance devient une problématique internationale en pleine guerre froide.

Pourtant, cette densité ne devient jamais indigeste. Tout comme la musique, les informations s’additionnent naturellement. Les noms reviennent à de nombreuses occasions dans une forme de narration fragmentée, où les aller-retours dans le temps permettent de raconter petit à petit un tout cohérent, dont la lutte contre le racisme et le colonialisme est le socle commun. Très vite, les noms de Baudouin, Lumumba, Khrouchtchev, et Mobutu, deviennent familiers, et la tragique histoire qui est contée devient de plus en plus claire.
Jazz audiovisuel
Cette capacité qu’a le film à ne jamais perdre totalement son·sa spectateur·ice provient du rythme du film. La narration et la musique sont liées et le·a guident de sujet en sujet, de personnage en personnage. Certaines musiques, et certains sons, sont même liés à des personnages ; le plus emblématique du film étant surement le bruit des poings de Khrouchtchev frappant son bureau en plein conseil des Nations Unies.
Cette maîtrise du rythme n’est pas sans rappeler le jazz lui-même. Le film essaie d’incarner le genre musical, et de rentrer en symbiose avec sa bande-son, pour donner naissance à une œuvre de jazz audiovisuel : une œuvre rythmique aux influences diverses, et sans nature fixe.

Ainsi, Grimonprez ne propose pas seulement un film d’archives audiovisuelles classiques. Il intègre en son sein les journaux audio de Khrouchtchev, les écrits d’Andrée Blouin, les poèmes d’In Koli Jean Bofane lus par l’auteur lui-même, etc. Cette multitude de sources, provenant de celles et ceux qui ont été étouffé·e·s, muselé·e·s par les Occidentaux, permet une seconde lecture des événements entourant l’indépendance du Congo belge.
Soundtrack to a Coup d’Etat réussit ainsi un double exploit. Exploit narratif, tout d’abord, en transmettant une grande quantité d’informations en peu de temps, et en omettant le moins d’informations possible sur la culpabilité des puissances occidentales. Exploit formel, dans un second temps, en transmettant par ses images, son montage et son rythme, les caractéristiques du jazz et des artistes de ce genre auxquels il rend hommage.








