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Rencontre avec Coline Rio : « De la peine, se crée quelque chose de beau »

Coline Rio © Noémi Ottilia Szabo

Coline Rio signe son retour sur la scène de la chanson française avec un deuxième album encore plus intime que le premier. Disque du passage à l’âge adulte, Maison est un refuge autant qu’un cri d’émancipation.

Il y a un an, Coline Rio nous livrait son dernier EP, Ce qui nous lie. Il était question d’aller vers les autres, de liens, de partage. Mais déjà, elle évoquait aussi le fait de construire « un lieu à soi ». Quatre saisons ont passé, et depuis, l’autrice-compositrice-interprète a trouvé un refuge : sa Maison. Un deuxième album comme un cocon, rassurant, plein de vie et d’élan. Douze titres, douze fondations qui explorent avec une honnêteté touchante l’intimité, les blessures amoureuses autant que la joie et la réparation. Rencontre sur une péniche parisienne, bercée par les légers remous de la Seine.

Comment as-tu vécu la création de ce deuxième album, après avoir sorti ton premier ? Est-ce qu’il y a eu une évolution ?

Il y a quelque chose de la fidélité à soi-même qu’il faut garder. L’objectif est de réussir à faire quelque chose de nouveau, de différent, de surprenant même pour soi, tout en restant fidèle à soi-même. Je trouve que l’enjeu était vraiment là : comment se renouveler sans s’égarer ? Et ça s’est fait très naturellement. J’ai eu beaucoup de choses à dire, un vrai besoin d’écrire. Je n’ai pas eu ce truc de me dire : il faut que j’écrive un deuxième album. Ça s’est fait de manière très fluide.

La réflexion est plus venue de la direction artistique et l’enregistrement. Je suis très contente de la manière dont on a fait les choses. C’est beaucoup plus live que le premier album. Il y a plus de musiciens, plus d’organique. On a poussé tous les curseurs un peu plus loin. On va me reconnaître, c’est sûr, et en même temps entendre une couleur différente !

Ce qui a changé, c’est que pour cet album, la création s’est faite à deux, avec ton co-réalisateur Stan Neff…

Oui ! L’écriture des textes et des mélodies, je l’ai faite toute seule. Mais là où, sur mon premier album, j’ai énormément arrangé mes chansons, cette fois, j’ai fait des squelettes en piano-voix ou guitare-voix, et on a fait les pré-productions à deux. Ça permettait d’être tout de suite dans des très bonnes conditions pour faire les arrangements, en studio. Il y a même certaines prises qu’on a gardées telles quelles sur l’album !

Le disque a été enregistré dans plusieurs lieux : d’abord à la Red House, puis aux mythiques studios Ferber. C’était ton premier enregistrement là-bas pour un de tes projets ?

Oui, j’ai adoré enregistrer aux studios Ferber ! C’était un double évènement. Déjà, il a ce studio, qui est un évènement en soi. Et j’enregistrais un batteur et un bassiste-contrebassiste. On n’avait pas fait comme ça sur le premier album, je n’avais pas eu cette possibilité. Là, c’était vraiment le luxe d’avoir ces deux musiciens incroyables. Ils ont l’habitude de jouer ensemble, donc il y avait quelque chose de très live. Ils jouaient en même temps leurs parties sur des pré-productions pas du tout finies, mais ça nous a permis d’avoir une matière de grande qualité pour avancer sur le disque.

Je suis allée beaucoup plus dans l’amusement avec ma voix.

Coline Rio

Tu parlais de curseurs poussés à fond. Comment est-ce que tu décrirais ta nouvelle identité musicale ?

Déjà, la présence de la batterie, qu’il n’y avait pas sur mon premier album. Il y avait des percussions, mais électroniques, très peu acoustiques. J’avais envie que cet album sonne plus vivant, qu’on sente les musiciens. Il y a aussi un orchestre à cordes de Macédoine, c’est un rêve qui s’est réalisé ! Ça s’est fait en visio, mais j’étais en larmes à distance.

Je suis allée beaucoup plus dans l’amusement avec ma voix, dans la recherche. Je le faisais dans d’autres projets, avant mon projet solo : je chantais en voix scandée, je transformais beaucoup mon timbre et j’adorais ça. Je ne l’ai jamais fait avec mon projet solo, parce que comme c’est très personnel, je me disais : ma voix, il faut qu’elle sorte comme elle sort, je délivre quelque chose qui est trop personnel pour expérimenter. Et là, je me suis dit que j’allais reprendre la voix comme un instrument. J’ai adoré faire ça ! On entend plus les différents timbres que je peux avoir.

Tout le dernier titre, « Refuge », est d’ailleurs parlé. Comment c’est venu ?

C’était très intuitif. J’étais au piano chez mes parents, c’était la nuit, je jouais très doucement. Je n’allais pas très bien, j’avais besoin d’exprimer des choses sur une peine de cœur très forte. C’est comme si je me parlais à moi-même. Le texte est venu sur cette impro de piano, je l’ai écrit d’une traite. Ce texte-là n’aurait pas pu être autrement que parlé, il y avait beaucoup de choses à dire ! Je trouve ça beau qu’il soit à la fin, parce que c’est comme le socle de la maison, tout ce travail sur soi qu’on fait, qui n’est pas terminé.

Il y a beaucoup de textes très profonds dans lesquels j’ai osé dire ce que je traversais, les doutes que j’avais, les peines… C’est un album qui me ressemble beaucoup plus que le premier. C’était moi, mais je ne suis plus la même. L’album est fidèle à qui je suis en train de devenir. Sur le prochain, j’aurai encore changé !

Lors de notre dernier entretien, tu parlais de « chamboulements » dans ta vie. Il y avait une idée de passage à l’âge adulte, de laisser des choses derrière soi… Cet album, c’est un moment charnière de ta vie ?

Oui, et c’est passé par le fait d’accepter que des liens se perdent. C’est le lâcher-prise, aussi sur les gens. L’âge adulte et l’apprentissage du deuil de personnes encore vivantes. On doit apprendre à les laisser partir. C’est aussi ça, grandir : réaliser que tout passe, tout se transforme, et qu’on n’a pas la main sur grand-chose. Mais on a la main sur soi, son bien-être, comment on prend soin des relations… C’est tout ça.

Je suis quelqu’un de très attaché à tout, aux personnes, aux symboles, aux objets… Mais c’est fatiguant, parce qu’on est souvent triste ou déçu que les choses changent, que les gens ne soient plus là. Ça fait partie de ma maturité que d’apprendre à me détacher !

Et aussi d’apprendre à construire de nouvelles choses, ta maison…

La Maison, c’est le lieu intérieur. Apprendre à être assez solide avec soi-même, se sentir bien, être son propre pilier pour ne plus attendre d’une relation. J’ai beaucoup été en couple toute ma vie, là ça fait un an que je ne le suis plus et c’est une force nouvelle. C’est super dur mais super intéressant ! C’est une chance de pouvoir apprendre à être son propre pilier, surtout quand on est amoureux de l’amour.

La Maison, c’est la maison intérieure, se faire face, pour mieux aussi accueillir d’autres personnes dans sa maison. Il y a un côté très développement personnel dans ce disque en fait ! (rit) C’est remettre le phare sur les choses importantes dans sa vie, les mettre en valeur, le lien familial, l’amitié… Avoir un refuge, se sentir bien dans son lieu de vie.

Ça a cristallisé des émotions très vives dans l’album, mais je ne le trouve pas lourd.

Coline Rio

Il y a pas mal de sujets très personnels, qu’on imagine assez difficiles à écrire. Est-ce que le processus de création n’a pas été trop dur ?

Il a été douloureux, oui. Je suis hyper heureuse aujourd’hui de me dire que cet album a réussi à exister. Ça me fait me dire qu’on est capable de faire beaucoup de choses quand on va très mal. Mais ça n’enlève pas la difficulté que ça a été. Ça m’a aidée à aller mieux, mais c’était très dur. Après coup, je trouve ça super intéressant parce que ça a cristallisé des émotions très vives dans l’album, mais je ne le trouve pas lourd. Ce qui est cristallisé, ce sont des émotions brutes, tout l’amour que j’avais. Ce n’est pas juste un disque de plainte, c’est un disque où on essaie de se relever.

Ça a permis une transformation. De la peine, se crée quelque chose de beau. C’est des rencontres, c’est le live, retrouver mes musiciens, la scène… La musique, c’est ma vie, donc ça retourne la situation. Ce n’est pas mettre de côté le négatif, c’est le transformer. Et en ça, cet album me fait du bien. Il est lumineux.

Et il y a des émotions entre guillemets positives que tu as voulu mettre en avant, comme « La gentillesse », en duo avec Barbara Pravi ?

Oui. « Ma maison », c’est une recherche très active et pleine de fougue du lieu à soi. « Ami-amant » c’est une chanson qui célèbre l’amour universel, sans limites, sans genre. « La nouvelle lune », c’est célébrer la vie malgré les temps, la politique, tout ce qui se passe dans notre monde… Cet aspect-là de retour à la vie m’a fait beaucoup de bien pour pouvoir avancer.

« La nouvelle lune » a un côté générationnel, elle fait écho aux dernières manifestations que l’on a connues en France. L’actualité t’inspire aussi ?

À fond ! Cette chanson est complètement sur l’actualité. C’est un appel au rassemblement positif et à la lutte par le vivre-ensemble et le collectif. Se retrouver, ne pas broyer du noir. Danser, rire, quand on peut. En manif, j’ai vu quelqu’un avec une pancarte « Nous sommes la rage d’un monde qui s’effondre ». C’est fou, parce que dans ma chanson je dis : « Nous sommes le cœur d’un pays qui se bat », j’utilise le mot « rage ». Je trouvais ça génial, c’est hyper ancré ! J’espère que cette chanson fera écho.

On devine plusieurs références féministes dans ton album : un lieu à soi et Virginia Woolf, « Les louves » et le livre Femme qui court avec les loups

C’est complètement lié à ce livre de Clarissa Pinkola Estés que j’ai lu l’été dernier, il m’a fait beaucoup de bien. J’ai adoré sa manière d’écrire, il y avait des mots-clés qui ont fait écho en moi. C’est un hommage aux femmes et à la louve qui est en nous. J’ai aussi eu Une chambre à soi sous le coude, ça m’a nourrie. J’ai adoré cette phrase de Virginia Woolf : « Toute femme se doit de s’acquérir d’une chambre pour écrire un livre de fiction ». Il faut une autonomie, un espace loin des charges mentales, pour se retrouver face à soi-même et écrire.

La tournée approche. Comment a été pensé l’album pour la scène ?

Mon grand-frère Lancelot sera à la batterie, il y aura Laure au violoncelle et à la guitare, et Matthieu aux synthés-basse-clavier. Je serai au piano et à la guitare. Les arrangements sont super différents de l’album parce qu’on a décidé de tout faire en live. On crée d’autres arrangements, je joue beaucoup plus de guitare. On s’est amusé·es  ! Il y aura quelques chansons du premier album, elles seront très différentes aussi.

Coline Rio – “Maison”

Coline Rio sera en concert le 4 novembre 2025 à Nantes (44) au Stéréolux (release party), puis en tournée dans toute la France et en Belgique. Elle se produira également à la Cigale (Paris) le 4 juin 2026.

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