Avec La vertigineuse histoire d’Orthosia, Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige explorent l’histoire passionnante et complexe du Liban, de la Rome antique jusqu’à l’accueil des réfugiés palestiniens.
Sur scène, deux artistes qu’on a plus souvent l’habitude de voir derrière la caméra. Dans La vertigineuse histoire d’Orthosia, les réalisateurs et artistes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige occupent le premier plan. Dans ce spectacle qui prend une forme hybride, entre conférence archéologique et installation artistique, ils occupent presque seuls le centre du plateau. Autour d’eux, un écran en fond de scène, un iPad, des papiers et un grand drap blanc. Le dispositif est dépouillé, comme un écrin pour la parole qui va y être déposée. Tour à tour et pendant près d’une heure et quart, avec tendresse et parfois timidité, les deux artistes racontent la fabuleuse histoire d’Orthosia, une ville antique découverte à la suite du démantèlement d’un camp de réfugiés palestiniens.
Tout commence en 2015, lors que Joana Hadjithomas et Khalil Joreige déménagent. Leur nouvel appartement est situé face à l’un de ces chantiers titanesques dont les promoteurs libanais ont le secret. Mais un jour, le bruit s’arrête. En creusant, les ouvriers ont mis à jour des vestiges que le service des antiquités examine. C’est cette fouille qui leur permettre de rencontrer l’archéologue Hadi Chouer, l’un des personnages au cœur de La vertigineuse histoire d’Orthosia. Ce dernier travaille alors depuis plusieurs années sur un autre chantier sur l’ancien camp de Nahr el Bared, situé au nord du Liban.
D’Orthosia à Nahr el Bared
Jusqu’en 2007, Nahr el Bared accueille plus de 31 000 réfugiés Palestiniens venus s’installer sur place à la suite de la création de l’État d’Israël en 1948. Cette année-là, alors qu’un groupe d’islamistes infiltre le camp, la population est déplacée et les habitations entièrement rasées par l’armée libanaise. Lors du déblaiement, des colonnes de granit sont retrouvées. A la plus grande stupéfaction des archéologues, les fouilles révèlent la présence de l’ancienne cité d’Orthosia, une ville romaine mythique détruite par un tsunami et un tremblement de terre en 551 de notre ère.
Catastrophes naturelles, guerres, exils, c’est toute le passé du Liban qui ressurgit autour de l’ancien camp de réfugiés. Comme souvent dans le travail d’Hadjithomas et Joreige, le passé n’est ni figé ni linéaire. C’est un matériau mouvant, qui vient questionner le présent, bousculer des croyances, interroger le futur. Le spectacle ne s’intéresse pas qu’au vestiges et donne la parole aux différents protagonistes : les archéologues évidemment, mais aussi les familles de réfugiés, un soldat de l’armée libanaise ou une urbaniste chargée de penser le futur camp.

Préserver, reconstruire ou les deux ?
Rapidement, se pose la question de l’avenir de la population réfugiée déplacée. Faut-il, pour poursuivre le travail de fouilles puis l’exploitation touristique des vestiges, reloger les Palestiniens ailleurs, quitte à accentuer encore une fois leur statut de réfugiés ? Serait-il vraiment éthique de favoriser la conservation de « vieille pierres » au détriment de vie humaines ? N’est-il pas important de redonner le plus rapidement possible un toit à ces familles vivant déjà depuis plusieurs années dans des habitats de fortune ? Qui mieux que Joana Hadjithomas et Khalil Joreige pour évoquer avec autant de tendresse que d’attention ce dilemme si libanais ?
In fine, le gouvernement libanais optera pour la réinstallation du camp sur son ancien site et le ré-ensevelissement de la cité antique. On laissera découvrir aux spectateurs tout ce que choix comporte de stupéfaction, de déchirement mais aussi de poésie et d’espoir. Qui sait si, un jour, le Liban sera débarrassé de ses tourments et en mesure de reprendre les fouilles d’Orthosia ? On perçoit que la capacité d’émerveillement habituelle d’Hadjithomas et Joreige butte sur les impasses terribles dans lesquelles leur pays – et la région autour – semblent s’enfoncer. Leurs voix se font souvent chevrotantes et on sent parfois l’émotion de la résignation affleurer. Et pourtant, il suffit de repenser aux archéologues d’Orthosia glissant des petits mots dans les vestiges à l’attention de leurs homologues de dans cent ou deux cents ans pour reprendre, un petit peu, espoir.
La vertigineuse histoire d’Orthosia, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. 1h15 en français, anglais et arabe surtitré. Dans le cadre du Festival d’Automne 2025 à Lafayette Anticipations. Dates prochaines à venir.








