LITTÉRATURE

« Pathemata ou l’histoire de ma bouche » – Journal d’une douleur

© éditions du sous-sol

Pathemata de Maggie Nelson est le journal d’une douleur qui verse, progressivement, vers une réflexion sur la langue, la perte et la recherche de lumière. 

Essayiste, poétesse et universitaire, Maggie Nelson est l’autrice de livres géniaux et multiformes. Une partie rouge fait le récit de l’assassinat de sa tante, Les Argonautes évoque sa vie de couple et de famille rythmée par des propos de la pensée théorique féministe, Bluets est une déclaration d’amour à la couleur bleue. Après son essai, De la liberté (2022), Pathemata est son dernier livre, traduit par Céline Leroy et paru aux éditions du sous-sol. Dans cet ouvrage de non-fiction, Maggie Nelson donne une forme fragmentaire à ce journal qui retranscrit ses errements pour trouver un soulagement à la maladie chronique dont elle souffre. 

Je me lève la première pour être seule et aussi parce que ma mâchoire est trop douloureuse pour que je reste au lit. Tous les matins, c’est comme si ma bouche avait survécu à une guerre : elle a protesté, s’est cachée, a souffert.

Pathemata – Maggie Nelson

Maggie Nelson prend pour sujet central de son livre sa peine : une douleur à la mâchoire dont elle tient le carnet de bord. Elle l’appelle pathemata, terme qui désigne en grec ancien la souffrance et renvoie à un dicton qui affirme que l’on apprend de sa souffrance. Elle mène donc une enquête en consultant plusieurs spécialistes espérant trouver un remède. Pourtant, dans cette recherche effrénée émerge des situations tragicomiques, drolatiques voire malaisantes. Elle rencontre des dentistes dont un évoque la possibilité de se scotcher la bouche durant la nuit pour la soulager. Elle consulte une thérapeute myofasciale qui lui propose une frénéctomie, une opération du frein, ou même un gourou, censé prévoir le futur en entrevoyant simplement la photo Polaroïd d’une patiente. 

Histoires de souffrance

Finalement, son questionnement physique et médical fait émerger une réflexion métaphysique sur la vulnérabilité et la perte : Jusqu’à quel stade puis-je supporter la douleur ? Puis-je être apaisée ? Par qui ? Comment ? Vais-je mourir ? « Je songe que je ne suis jamais bien, je ne suis jamais bien. Quelque chose va systématiquement mal chez moi, peut-être que je suis malade de manière systématique ». Elle décide d’observer les bouches des autres avant de se rétracter ne voulant pas, à son tour, devenir l’objet d’une telle analyse. 

La systématicité de la douleur est palpable dans la manière dont cette souffrance, précise, fait sourdre d’autres maux. Elle évoque des douleurs enfantines, des souffrances morales, des inquiétudes quant à son couple ou dans le lien avec son fils mais aussi le chagrin face à la perte de son père ou d’une de ses professeurs, Christina Crosby. Ainsi, les épisodes de sa biographique passée et présente se succèdent mais elle y entremêle des récits de rêves abracadabrants. À clairevoie, transparaît alors une atmosphère surréelle dans un contexte de crise pandémique. 

Indissociable des sensations physiques qui la traverse, la langue de Maggie Nelson devient une stratégie de survie pour donner de la voix et du sens. Elle entrecoupe sa narration en courts paragraphes dans lesquels son écriture ausculte aussi bien la douleur – non-linéaire, labile, déchirante – que la magie qui peut percer le quotidien.

Pathemata ou l’histoire de ma bouche de Maggie Nelson, traduction Céline Leroy, éditions du sous-sol, 19,50euros.

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