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Rencontre avec Mathieu Des Longchamps : « J’ai voulu revenir à mes racines »

Mathieu Des Longchamps - © Filippo Lambertengh

Second album de Mathieu Des Longchamps, Le vert et le bleu est un hymne à ce qui nous entoure. Onze titres folk en français, comme autant de réflexions sur l’humanité et la nature.

Il dit être un grand nostalgique. Né au Québec dans une famille de musicien·nes, Mathieu Des Longchamps a grandi au Panama dans une cabane, « avec rien ». Une enfance entre l’océan et la jungle, teintée d’une liberté qui a allumé en lui une envie d’ailleurs chevillée au corps. Le voyage fait partie intégrante de sa vie, mais aussi de sa musique. Après son premier album Vivo en Panamá paru en 2021, l’artiste nous invite de nouveau à rêver avec Le vert et le bleu. Paru sur le label Baronesa, l’opus comporte onze titres en français. Le tout au son d’une folk élégante et authentique, comme un album photo musical à la fois mélancolique, doux et insouciant.

Comment a débuté la création de ce deuxième album ?

J’avais l’angoisse de la page blanche, pour être honnête. Ça faisait un moment que je n’écrivais plus de chansons, ça me terrorisait un peu. Il a fallu aller chercher ces chansons. Je suis parti au lac de Côme, où j’ai beaucoup écrit dans la solitude. Il y a une envie d’échappée dans cet album, parfois de changer de vie carrément, de vivre dans une cabane… C’est devenu le titre de l’album, Le vert et le bleu, qui est une chanson sur l’idée de vivre entre le vert et le bleu, entre la jungle et la mer.

Moins on a, plus on est libre

Mathieu Des Longchamps

C’est aussi un hommage à ton enfance alors, ce titre d’album ?

Oui, plus on grandit, plus on se rend compte d’où on vient. C’est un peu paradoxal. Il y a des choses qui ne nous quittent pas, comme cet idéal de vivre dans une cabane en bambou comme j’ai vécu petit. Même si ça peut être sous forme de fantasme, de manière un peu déconnectée… en réalité, ça m’habite assez profondément. Le vert et le bleu, c’est un peu ce jardin d’Eden, cet idéal d’absolu. Vivre avec rien, au milieu de la nature. Cette sensation que moins on a, plus on est libre.

Musicalement, c’est un album plus acoustique que le précédent, Vivo en Panamá. Pourquoi cette évolution artistique ?

Je suis revenu à ce que j’étais au départ et à ce que j’ai toujours voulu faire. Mon premier album était beaucoup plus produit, parce qu’un album, c’est la rencontre d’un artiste et d’un réalisateur qui apporte beaucoup de sa patte et de son savoir. Dans ce deuxième album, j’ai voulu revenir à mes racines : je suis un instrumentiste, un guitariste. Je ne viens pas du monde de la production et du studio. J’ai pas mal fait de jazz étant jeune, donc je me reconnais beaucoup dans les éléments acoustiques.

L’album a été enregistré aux studios Ferber. Comment s’est passée cette partie du travail ?

J’ai fait cet album live pour qu’il y ait l’énergie des musiciens qui jouent, c’est très important. La majorité des albums aujourd’hui sont enregistrés piste par piste, il n’y a pas ce truc où on est tous autour d’un micro et on enregistre tous ensemble. Là, on s’est retrouvé en studio avec des super musiciens, ils avaient déjà les titres dans l’oreille, mais on n’avait rien répété. On avait deux ou trois heures pour faire chaque morceau. C’est un processus qui permet quand même de travailler un peu en post-production, où on peut refaire une voix par dessus ou une deuxième guitare. Mais toute l’énergie et toute la rythmique des titres est live.

Autre nouveauté, par rapport à ton premier album qui était en français et en espagnol, celui-ci n’est qu’en français. Ça te permet d’exprimer les choses autrement, de manière plus intime ?

Il y a deux facettes de moi. L’espagnol en représente une, et le français une autre. Les chansons que j’ai faites en espagnol ont été écrites au Panama ou en Espagne, elles sont liées au soleil, à l’été… Il y a quelque chose de plus solaire, de plus heureux. Alors que le français est plus lié au quotidien, à la vie plus dure. D’une certaine façon, les chansons en français sont peut-être plus profondes. Et même si je parle couramment espagnol, je n’ai pas le vocabulaire que j’ai en français. J’ai plus d’outils en français pour aller en profondeur de mes sentiments.

L’album parle de l’intime, mais aussi des autres, avec la question des réseaux sociaux, du confinement… C’est un album qui aide à trouver sa place ?

Ce thème m’obsède beaucoup, l’impact des réseaux sociaux et des téléphones dans nos vies. Ça concerne tout le monde, mais encore plus les artistes qui ont besoin de silence. Quand tu es créateur, tu as besoin de te retrouver seul avec toi-même pour puiser au fond de toi. Tu as besoin que ton cerveau se perde un peu pour qu’il arrive là où il a besoin d’arriver… Et les réseaux nous en empêchent complètement : on est tout le temps sollicité pour regarder des choses.

On regarde la vie des autres par procuration à travers le téléphone. Il y a ce sentiment d’être enfermé dans une vie qu’on ne vit pas vraiment, qu’on s’imagine vivre. En fait, on a les yeux pris dans les pixels et on ne vit pas notre vie réelle. L’album parle pas mal de ça. Quand je parle du vert et du bleu, c’est aussi cette envie de lâcher tout ça et de revenir aux éléments, à rien.

Tu parles aussi beaucoup de maisons, le foyer est quelque chose d’important pour toi ?

Il y a effectivement ce thème de la famille, de la transmission. Je suis papa, j’ai deux enfants. Donc toutes ces questions finissent par arriver : la famille, le devoir… On a des gens autour de nous qui dépendent de nous. Quand tu as des enfants, tu ne vis plus pour toi, tu vis pour eux. C’est un énorme changement de vie. Il y a la question du couple aussi, d’une forme d’habitude quand il y a des enfants… Une chanson qui sortira dans la réédition, « Normaux », parle de ça : on voulait être différents de tout le monde, on est devenu exceptionnellement normaux. Il y a aussi « Perdre son étoile » qui parle d’un couple qui se sépare. C’est une métaphore des enfants dont il va falloir tuer l’innocence en leur expliquant que leurs parents doivent se séparer.

Je suis un grand nostalgique

Mathieu Des Longchamps

À l’écoute, la nostalgie est omniprésente dans l’album…

Je suis un grand nostalgique. J’essaie de m’en défaire un peu mais c’est comme ça, c’est plus fort que moi. Je le serai toujours, même si je m’efforce de regarder devant. Cet album est nourri d’une certaine nostalgie, qui est celle de vouloir revenir à la vie simple, mais il l’est moins que le premier album. Celui-ci parle plus d’envie d’échapper à une certaine condition et de rêve. Même si sur certaines chansons comme « Nos bâtisses », on est en plein dedans.

« Nos bâtisses », c’est un peu comme une photographie de la maison de ta grand-mère en Espagne ?

C’est vrai que j’essaie de décrire les situations que j’ai vécues de la façon la plus évocatrice pour les gens, pour qu’ils soient là où je suis au moment où je l’ai vécu. C’est le cas avec « Nos bâtisses », où je décris au début de la chanson de façon assez simple ce que j’ai vécu, en arrivant sur la terrasse de la maison, avec le linge qui flottait au vent. J’ai réalisé que c’était le dernier moment dans cette maison… Et d’un coup, j’ai été submergé par l’émotion. C’est une chanson qui parle à beaucoup de monde. Elle parle de l’éphémère, des choses qu’on construit et qui sont vouées à disparaître.

Récemment, tu es retourné en Uruguay pour tourner ton deuxième documentaire, Perdre son étoile…

J’ai refait un voyage que j’ai fait quand j’avais 19 ans, où j’avais tout perdu en Uruguay. J’étais parti avec un ami français que je connaissais à peine la veille de Noël. On n’avait pas d’argent, on s’était dit qu’on vivrait de nos guitares. Et le jour de Noël, on s’est fait voler nos guitares et nos sacs. On s’est retrouvés sans rien, mais on a décidé de continuer le voyage comme ça, un peu comme un défi. On a traversé tout l’Uruguay jusqu’au Nord de l’Argentine pendant trois mois, sans argent.

Ça a été le voyage le plus incroyable de ma vie. On a réussi à récupérer des guitares et on a rencontré un troisième gars, avec qui on a monté un trio. On jouait partout et on vivait comme ça, avec nos instruments sous le bras et sans aucun bagage. L’idée du film, quasiment vingt ans plus tard, c’était de refaire ce même voyage et d’aller chercher le troisième. C’est une quête du paradis perdu, une réflexion sur l’amitié, le temps qui passe.

C’est complémentaire pour toi, la vidéo et la musique ?

J’ai toujours eu des images très fortes dans ma tête, depuis longtemps. Je m’étais toujours dit que j’aurais dû faire du cinéma, parce que les images étaient une évidence. C’est peut-être pour ça que j’écris de cette façon. De fil en aiguille, j’ai fini par arriver à la vidéo : au début, je faisais mes clips moi-même. Les deux se lient tellement bien… Ce qu’on peut faire dire à une image quand il y a de la musique, ça décuple parfois l’intérêt d’une mélodie. Pour moi, c’est vraiment une chance de pouvoir tout lier dans ce film. Il y a aussi l’écriture avec une voix off, qui explore des réflexions un peu plus profondes… C’est un genre de film d’aventures musical introspectif !

Concert (21h) et projection de la première partie de son film (20h) en avant-première aux Trois Baudets à Paris le 15 mai 2025.

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