CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2025 – « Nouvelle Vague » : Cinématographiquement vôtre

Nouvelle Vague
Richard Linklater et le comédien Guillaume Marbeck sur le tournage de Nouvelle Vague © Jean-Louis Fernandez

EN COMPÉTITION – Ode au cinéma et aux cinéphiles, le trente-troisième film de Richard Linklater, Nouvelle Vague, est un hommage inventif et réussi à ce mouvement qui remua codes esthétiques et techniques au siècle dernier.

Le pari du film s’avouait pour le moins risqué. Reconstituer le tournage d’À bout de souffle, en créant un film de fiction qui épouse le style du premier long métrage de Jean-Luc Godard. Le tout, constituant également un documentaire sur la Nouvelle Vague. Car un film est toujours un documentaire sur son temps, et ça, Linklater l’a bien compris. Le réalisateur américain réinvestit ainsi habilement le symbole de la modernité cinématographique qu’est devenu À bout de souffle.

Devenir-cinéma

Présenté comme une génération érudite et joyeuse, Linklater fait de celleux qui composent la Nouvelle Vague des personnages de cinéma extrêmement stimulants à regarder. Le film redonne beaucoup de liberté à ces personnes, désormais devenues des mythes. C’est cette trajectoire de personnes, qui à travers des yeux contemporains apparaissent comme des personnages mythifiés, que Nouvelle Vague incarne. Ce devenir-personnage de cinéma était sans doute écrit pour Jean-Luc Godard, qui ne cessa de penser le cinéma, penser même en cinéma. Godard est résolument passé de l’autre côté de l’écran. Un pur être cinématographique, incarné ici par le comédien Guillaume Marbeck. Sa performance ne verse jamais dans la caricature, mais l’acteur interprète le cinéaste avec beaucoup de subtilité. Il embrasse à la fois tous les attributs de la figure – lunettes de soleil, clope au bec, phrasé -, mais expose les doutes de Godard avec beaucoup de justesse.

À l’épreuve du réel

Comment inventer une forme cinématographique pour parler de celui qui ne cessa de les inventer, de les questionner, de repousser leurs limites  ? Linklater relève ce défi admirablement, en faisant preuve de beaucoup malice. Il est par ailleurs assez jouissif de voir la méthode de travail du réalisateur, que Linklater s’attelle à reconstituer. Celle-ci est faite d’interruptions, d’improvisations et de digressions. Jean-Luc Godard est montré à la fois comme ayant une vision très précise – de son film, du cinéma, de l’art, de la vie -, mais aussi comme un pur improvisateur, en perpétuelle recherche.

Nouvelle Vague montre comment À bout de souffle se construit au fil des idées que parvient à générer l’esprit du jeune metteur en scène. Quand celles-ci ne parviennent pas à se matérialiser dans le réel, il lâche tout. Abandonne pour la journée. Ou bien, il trouve de nouvelles idées. Le rapport au réel qu’il faut tordre, à la contrainte économique, est ainsi consubstantiel au cinéma.

Si la notion de cinéma d’auteur est aujourd’hui beaucoup remise en question, notamment dans le cadre des affaires #MeToo qui pullulent, le film met en lumière l’expérience collaborative dont les films répondant à cette appellation témoignent. On y voit la contribution essentielle du chef-opérateur Raoul Coutard, ou bien la complicité entre les deux acteur·ice·s. Même la maquilleuse de Jean Seberg, dont les services sont refusés, contribue à sa manière au tournage. L’effet de troupe n’annule en rien le génie représenté.

Effet miroir

La présentation du film en sélection officielle à Cannes agit comme un geste réflexif sur le rôle du festival comme institution cinéphilique. Car la cinéphilie est aussi le sujet du film, ce qui en fait sa matière. Le regard amoureux d’un cinéaste sur un autre, lui-même amoureux du cinéma. Les cinéastes de la Nouvelle Vague sont d’abord une bande de critiques. Iels accueillent et encensent Roberto Rossellini dans les bureaux des Cahiers. Cette révérence aux cinéastes et l’amour pour le septième art circulent de part et d’autre, et innervent la création. Entre penser le cinéma et le faire, il n’y a qu’un pas.

À bout de souffle s’inspirait d’un fait divers de braquage et incarnait une célèbre citation, reprise dans le film : « Tout ce qu’il faut pour faire un film, c’est une fille et un pistolet  ». De même, Nouvelle Vague raconte lui la manière dont Jean-Luc Godard, à l’aide du cinéma, a fait braquage sur le réel.

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