Avec 304 jours, Karim Hammiche signe une mise en scène saisissante, inspirée de son expérience personnelle du service militaire et des témoignages récoltés sur ce qui est devenu aujourd’hui le Service National Universel (SNU).
À travers les yeux de trois personnages – un jeune appelé, une femme militaire et une volontaire du SNU – la pièce explore l’absurdité et la dureté du quotidien militaire, mais aussi les rapports de pouvoir et de solidarité qui naissent dans ce microcosme.
Le titre 304 jours fait référence à la durée du service militaire, période ici rapportée à une longue attente et une suffocation. Dans le spectacle, chaque journée est vécue comme une routine qui se répète à l’infini sous l’œil vigilant des supérieurs : faire son lit, courir à l’appel, attendre les ordres. Mécaniquement, jour après jour, la pièce prend le parti de nous mettre en immersion dans une machine à broyer les individualités. Mais c’est aussi là que réside un des paradoxes du spectacle : la longueur de l’expérience, si bien retranscrite, semble parfois jouer contre elle. Certaines scènes semblent s’éterniser, et l’impression de ralentissement devient presque une fin en soi, sans qu’elle n’apporte toujours une véritable profondeur dramatique.

Décor minimaliste et tension palpable
Le choix de la mise en scène est radical. Un décor minimaliste, réduit à un lit, trois sacs et quelques accessoires, encadré par des écrans géants sur lesquels défilent des croquis tout aussi minimalistes de Mathias Bourdelier. Ces images de soldats en rang, de forêts boueuses et de visages perdus en disent long sur l’oppression de cet univers où le temps semble se dilater dans l’attente et l’inaction. L’utilisation des écrans, bien qu’efficace au départ, finit cependant par tomber dans un excès visuel qui apporte une certaine lourdeur, voire un côté kitsch.

Une narration en demi-teinte
Si l’idée de suivre trois personnages incarnant différentes générations d’appelés est porteuse – et structure efficacement le propos – la mise en scène de leurs parcours laisse une impression mitigée. Ariski, Lou et Sandrine tous trois au cœur du récit, sont les figures emblématiques d’époques et de regards différents sur l’institution militaire. La construction narrative autour de leurs trajectoires, bien que prometteuse, se heurte à une difficulté : celle de rendre pleinement crédibles leurs interprétations sur scène. Certaines émotions semblent plaquées, certaines répliques trop attendues pour susciter l’adhésion. Il en résulte une forme de distance qui empêche parfois l’identification.
Cependant, il faut reconnaître que malgré ces faiblesses, les comédiens parviennent à dessiner par moments de beaux élans de fragilité ou de bravoure. Le spectacle offre des fragments d’humanité sincère, et si l’émotion ne jaillit pas toujours avec force, elle affleure suffisamment pour nourrir la réflexion.
De même, l’humour, bien que parfois mal dosé ou décalé par rapport au ton général, n’est pas sans fonction. Ces éclats, même maladroits, agissent parfois comme de petites respirations au sein d’un dispositif pesant, et soulignent, par contraste, l’absurdité de certains codes militaires. Ils offrent aussi un espace de jeu pour les interprètes, et une fenêtre sur le second degré que les appelés eux-mêmes, dans la réalité, mobilisent pour survivre à l’ennui ou à la peur.

Regard aussi contemporain que nécessaire
Malgré quelques maladresses, la pièce réussit à poser des questions pertinentes sur le service militaire et le SNU, et à engager une réflexion sur l’absurdité de cet univers et les rapports humains qui s’y nouent. Les scènes de solidarité entre appelés, les moments de camaraderie qui surgissent dans ce contexte oppressant, sont parmi les plus réussies. L’exploration des rouages du service militaire et du SNU, à travers des personnages qui peinent à trouver leur place, est intéressante et très actuelle.
Si la forme est parfois inégale, l’ambition du spectacle est indéniable, et il parvient à toucher le spectateur en exposant l’absurdité et la dureté de l’expérience militaire, tout en offrant un éclairage humain essentiel.