À la UneCINÉMA

Journées du scénario 2025 – Les voix derrière les images

Journées du scénario
© SCA

Peut-on être un·e scénariste heureux·se en 2025  ? C’est l’intitulé de l’une des tables rondes qui composaient le programme des Journées du scénario, réparties sur deux jours au CNC – les 3 et 4 avril -, et impulsées par l’association Scénaristes de Cinéma Associés (SCA). Deux jours de réflexions autour d’un métier souvent invisibilisé dans la chaîne de fabrication d’un film. Un programme bien rempli, qui a permis de faire un état des lieux de certains enjeux créatifs, politiques, et économiques, de la profession. Retour sur quelques uns d’entre eux.

Le coup d’envoi de ces journées a été donné avec une tribune écrite contre l’utilisation de l’intelligence artificielle, menace grandissante qui plane sur la création. Dans une lecture de la comédienne Clotilde Coureau, le SCA appelle à subvertir la machine et sa réalité algorithmique. L’association rappelle ainsi que la valeur d’une écriture est l’expérience de celui ou celle qui écrit. Le risque est donc de s’en remettre aux associations mécaniques pour le futur, et d’appauvrir nos imaginaires. Ce que l’on retient aussi, c’est l’importance de l’échec, pour «  échouer mieux  » et y puiser une force créatrice. Un joli cri de cœur, et une ode à la page blanche.

Flou artistique, flou juridique  ?

Les scénaristes ont un statut un peu particulier. Iels ne tombent pas sous le régime de l’intermittence, mais sont payé·e·s en droit d’auteurs. La reconnaissance et la rémunération des scénaristes est une question complexe aujourd’hui, alors que beaucoup d’entre elles·eux restent méconnu·e·s dans leur propre milieu professionnel. Régulièrement, les débuts de projets se font hors contrat, dans un cadre pas toujours bien défini. Il s’agit d’une prise de contact entre un·e réalisateur·ice et un·e scénariste, qui peut déboucher sur des semaines de travail non rémunérées. Cette zone de flou, qui caractérise certains débuts de projets – et de carrières -, accroît le risque de précarité. Le flou peut se perpétuer jusqu’au contrat, qui n’est d’ailleurs pas un véritable contrat de travail, mais l’achat de droits d’auteur. Il est pourtant impératif, comme l’ont rappelé les intervenant·e·s, de contractualiser le plus tôt possible.

Comme l’évoque Maïa Bensimon – déléguée générale du Syndicat des auteurs et compositeurs -, les scénaristes, comme tous les auteur·ice·s, souffrent d’une baisse de rémunération. Cette précarisation du statut d’auteur n’est pas sans potentiellement impacter le reste de l’écosystème du cinéma. La question de la rémunération reste encore un point névralgique. Aujourd’hui, la rémunération des scénaristes reste encore très peu indexée sur le budget d’un film – l’indexation signifiant que la rémunération est proportionnelle au budget d’un film.

VMSS, des chiffres alarmants

Alors que la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode, et de la publicité, vient de remettre ses conclusions dans un rapport accablant, la profession de scénariste est elle aussi touchée par les violences morales, sexistes et sexuelles. Selon un questionnaire du SCA réalisé dans le cadre de cette commission d’enquête, sur 260 adhérent·e·s, 68 % des répondant·e·s ont été victimes de harcèlement moral ; 50 %, d’agissements sexistes ; 20 %, d’harcèlement sexuel ; 11 %, d’agression sexuelle ; et 1,6 %, de viol.

À noter que 94 % des répondant·e·s ont reçu des demandes d’écriture hors contrat, et qu’il y a un lien entre le degré de violence, et l’absence de contrat de travail. Quels outils mettre en place pour prévenir ces violences ? Le SCA, à l’aune de ces résultats, propose plusieurs préconisations. Sont envisagées notamment une clause de protection des violences dans les contrats, et l’intégration des scénaristes dans les dispositifs de formation obligatoire du CNC.

Femme et scénariste

Le risque d’invisibilisation d’une scénariste est aussi plus accru, comme « l’oubli » de l’inscription du nom sur la page de garde. La réticence de certains réalisateurs à créditer une scénariste comme «  co-autrice  » – certains préfèrent la mention «  collaboratrice  » – est aussi un manque de reconnaissance qui sévit. C’est ainsi le statut de créatrice qui est réfuté. Une question d’ordre politique, car beaucoup considèrent les femmes encore comme des accompagnantes, ou bien des secrétaires.

Les femmes scénaristes courent donc un plus grand risque d’être uniquement considérées à leur endroit d’assignation. Elles sont notamment sollicitées pour réécrire des personnages féminins qui manquent d’intériorité ou d’aspérité, ou encore embauchées pour la «  caution femme  » du projet. En 2022, les femmes scénaristes touchaient un salaire inférieur de 31 % que leurs collègues masculins. Un chiffre alarmant, quand l’on sait que l’écart salarial moyen entre hommes et femmes est de 14 %.

Face à l’isolement du métier, qui peut être un facteur aggravant, la formation de collectifs permet de pallier certains risques. Des collectifs de scénaristes comme Les Indélébiles ou La Mafia Princesse œuvrent à l’entraide et à la collaboration artistique.

Un·e auteur·e comme un·e autre ?

Pour son film Saint Omer, Alice Diop avait déclaré vouloir travailler avec un·e auteur·ice, et non un·e scénariste. Elle avait en effet collaboré avec Marie Ndiaye pour le scénario de son film. Une déclaration pas forcément bien reçue par une partie de la profession, qui s’était sentie heurtée par cette distinction. Un·e scénariste est-il un·e auteur·ice comme un·e autre  ? Légalement, un·e scénariste est un·e auteur·ice, et non un·e intermittent·e du spectacle. Iel est pourtant un maillon essentiel·le, le·a premier·ère personne de la chaîne de fabrication d’un film, qui est une œuvre collective. L’on ne signe donc pas forcément le scénario d’un film de la même manière qu’une autre production artistique.

La notion d’engagement est pourtant beaucoup revenue à l’occasion de ces Journées. Être scénariste revient à mettre son espace mental et son inconscient au service d’un·e cinéaste et d’un film. C’est investir une grande partie de soi, ce qui explique le sentiment de manque de reconnaissance. L’écriture scénaristique est ainsi une pratique particulièrement collaborative. De plus en plus de long métrages sont co-écrits en France, malgré la figure tutélaire du réalisateur-auteur.

Lire un scénario

Lors de la première table ronde de ces journées, intitulée « Qui nous lit ? », la parole a été donnée aux premier·ère·s lecteur·ice·s des scénarii : producteur·ice·s, diffuseur·euse·s, chargé·e·s de commission. L’occasion de mettre en lumière le contrechamp du scénario, et de certains financeur·euse·s. Le scénario est un document de travail qui mêle souvent écriture littéraire et indications techniques. Il faut donc l’aborder comme une étape intermédiaire, qui se dirige vers le film. Ainsi, un·e lecteur·ice est toujours un·e spectateur·ice potentiel·le.

Que l’on lise un scénario pour une commission – comme celle de l’avance sur recettes -, pour une chaîne, une collectivité territoriale, ou un film que l’on produit, la lecture peut différer. De fait, les critères ne sont pas les mêmes. Les fonctions du·de la lecteur·ice l’amènent à prendre en compte, ici, les exigences de parité, là, la ligne éditoriale de la chaîne, et là encore, les retombées économiques sur un territoire. Par exemple, un·e producteur·ice sera davantage guidé·e par son goût subjectif. Selon Alice Labadie, directrice des acquisitions pour Le Pacte – société distributrice des deux dernières Palme d’Or -, « il n’y a pas de recette ». Elle dit fonctionner « au coup de cœur ». La notion de responsabilité est également revenue, notamment vis-à-vis des retours que l’on fait aux scénaristes.

Pour Just Philippot, réalisateur, un scénario ment sur sa capacité à être un bon film. Une contradiction inhérente à l’exercice, entre ce que le film « voudrait être », et la réalité du tournage. Cet éclairage rappelle les multiples écritures qui caractérisent l’avènement d’un film : le scénario, le tournage et le montage.

Écrire l’intimité

La délicate question de la scène de sexe a également été abordée, donnant lieu à une table ronde passionnante. À l’aune du mouvement #MeToo et de ses bouleversements, comment écrire ces scènes en 2025  ? Quels mots utiliser ? D’autant plus quand le dialogue passe davantage par les corps, que par les mots. Aujourd’hui, l’on ne peut plus écrire une phrase aussi lapidaire et vague que «  ils font l’amour  ». Les comédien·ne·s, qui se retrouvent avec la charge complète de l’incarnation, peuvent ressentir dans ces mots une véritable violence. Le comédien Félix Maritaud parle d’endosser « la responsabilité morale d’une scène ».

Le manque de précision et d’indications de mise en scène peut entraîner des dérives sur le plateau. Il faut préciser le degré d’intimité, et rendre compte de l’enjeu narratif de ces scènes. La responsabilité des scénaristes, et des cinéastes, est donc d’inventer et d’étayer une sexualité propre aux personnages du film, afin de bien la différencier de celle des comédien·ne·s, ce dans le but de préserver leur intégrité physique et psychique. Ce discernement est impératif à opérer, souligne la réalisatrice Anna Cazenave Cambet.

Un nouvel horizon créatif

Comment ménager cette zone grise, nécessaire à la recherche et à l’expérimentation dont dépend une œuvre artistique et son processus de création, tout en respectant les limites des comédien·ne·s  ? Ou encore, ménager ce trouble que l’on ressent en tant que spectateur·ice, qui fait la marque des grandes œuvres ? Une question centrale dans la question de l’écriture de la sexualité, qui amène fatalement à la question de l’incarnation. L’intervention de la coordinatrice d’intimité Paloma García Martens montre que ce rôle, plutôt récent sur les tournages français, œuvre à cette recherche et cette expérimentation, notamment en favorisant le partage d’informations avec les comédien·ne·s. La sexualité reste une partie importante et riche de nos vies à explorer à l’écran. Un régime d’images à fabriquer qu’il ne faut pas laisser uniquement à l’industrie pornographique, car le cinéma permet d’écrire la sexualité au-delà de l’érotisme.

Ces journées montrent que la profession de scénariste, à l’image de l’industrie à laquelle elle appartient, continue d’être traversée par tout un lot d’enjeux et de bouleversements profonds. L’occasion de rappeler que la valorisation du cinéma passe par celles et ceux qui œuvrent à sa création.

You may also like

More in À la Une