Sorti en 1955, La Toile d’araignée de Vincente Minnelli est une œuvre pivot au sein de sa carrière. Tout en respectant le cahier des charges de la MGM, il mélange les genres, préfigurant le style de sa seconde partie de carrière.
Le médecin Stewart McIver (Richard Widmark) s’efforce de diriger une clinique psychiatrique avec de nouvelles méthodes. Il doit faire face à de nombreuses contradictions et réticences de la part de ses patients, confrères, intendante. L’écosystème de la clinique est chamboulé lorsque les rideaux du salon doivent être changés. Les ressentiments se cristallisent autour de ce bout de tissu, jusqu’à la chute.
Interprétation des rêves
Les années 1950 marquent le triomphe de la psychanalyse aux États-Unis qui infuse toutes les strates de la société. Le cinéma ne fait pas exception avec Hitchcock ou Cukor, par exemple. Au début, cette discipline est plutôt l’apanage des films noirs, permettant de complexifier l’intrigue par les différentes interprétations permises. Notamment avec Hantise (1944), dont le titre original, Gaslight, illustre l’irruption de la psyché en tant que matière scénaristique. Enfin, la psychanalyse permet d’intégrer des symboles, et des doubles sens, plus ou moins subtils. L’exemple le plus marquant et influent est Soudain l’été dernier de Mankiewicz (1959).
La notion de refoulement des souvenirs y est clairement exploitée. Catherine (Elizabeth Taylor) revient à la raison après sa redécouverte de la vérité enfouie dans les tréfonds de sa mémoire. Sebastian, le fils de Mrs Venable (Katharine Hepburn), la tante de Catherine, est un prédateur pédophile ayant utilisé d’abord sa mère, puis sa cousine comme appât. Sa mort est décrite rétrospectivement. Il est dévoré par des enfants mendiants. L’invraisemblance du rebondissement renforce son aspect symbolique. Sebastian est toujours de dos dans les analepses. La psychanalyse est clairement simplifiée, voire dévoyée. Mais Soudain l’été dernier est l’exemple type de son traitement vis-à-vis des thèmes, de son mode de narration rétrospective, et de la thérapie par la mise au premier plan des traumatismes.
Voile et volage
Le film de Vincente Minnelli est beaucoup plus direct. Finalement, il ne contient que quelques touches de psychanalyse. Pourtant, l’idée du rideau pourrait se prêter facilement à toutes sortes de rebondissements. D’ailleurs, la version des patients dessinée par Steven (John Kerr), un peintre névrosé, est représentée comme la planche de salut pour l’artiste en perdition. Mais les rideaux de l’intendante Miss Inch (Lillian Gish), ou de l’épouse de McIver, Karen (Gloria Grahame), ne sont presque pas représentés.
En effet, les rideaux ne sont rien en tant qu’objet. Dans le film, seule compte la personne qui les mettra. Minnelli se débarrasse complètement de la mise en scène des bouts de tissus. Miss Inch veut imposer les siens pour faire valoir son ancienneté, son importance historique, dans une institution qui change. Karen entend participer à la vie professionnelle de son mari qui la délaisse.
La continuité dialoguée est limpide, et quasiment dépourvue d’ambiguïté. L’histoire de La Toile d’araignée pourrait tout à fait être interprétée comme un vaudeville. Les personnages sont assez caricaturaux et réductibles à un adjectif. Charles Boyer est un collègue jaloux, Lauren Bacall, l’infirmière encourageante.

Virement de bord
Minnelli rend son film moins manichéen en mélangeant les genres. D’abord, il utilise des acteurs et actrices plutôt en seconde partie de leur carrière, voire complètement passé·e·s de mode, comme Charles Boyer. Widmark, Grahame et Bacall sont plutôt affiliés au film noir. Ce dernier est indéniablement lié à La Toile d’araignée, dont la popularité a passé depuis quelques années. Boyer et Gish représentent les deux premiers âges du mélodrame, avec le parlant pour l’un, et le muet pour l’autre. Le seul fait d’utiliser de tels interprètes pour les faire évoluer dans une histoire dans le goût du moment le rend curieux.
La Toile d’araignée opère aussi un changement dans la carrière du metteur en scène. Renommé pour ses comédies musicales (Brigadoon (1954), Tous en scène (1953)), il s’essaie, en fin de carrière, au mélodrame. Il enchaîne, en quatre ans, Comme un torrent, Celui par qui le scandale arrive, Les quatre cavaliers de l’Apocalypse. Étonnamment, il utilise exactement la même stratégie de sélection d’acteur·ice·s que pour La Toile d’araignée.
Calme et flamboyance
Sur le plan de la mise en scène, Vincente Minnelli est un représentant de l’école classique Hollywoodienne. Cela passe par le découpage au service de la clarté, et l’effacement de l’auteur face à l’industrie. Mais, contrairement à la plupart des très grands cinéastes de son époque, son style est beaucoup plus inégal. Par exemple, Tous en scène contient son lot de petites bonnes idées, mais il n’y a vraiment qu’une scène marquante : Dancing in the dark. En fait, sa direction est logiquement très liée aux films musicaux, qui sont des sortes de films à sketch.
Dans La Toile d’araignée, Minnelli a plus de difficultés à justifier certains excès de virtuosité. Il en résulte une histoire plus calme, mais plus grinçante. L’Eastmancolor reste, mais le ton de ses films évolue vers le tragique. La Toile d’araignée est le témoin de la difficulté d’Hollywood à s’adapter, des prémices de la crise des années 1960, et de la fin de son âge d’or.
La Toile d’araignée est disponible sur le site de la Cinetek, à la demande.