CINÉMA

« Maman déchire » – Kaléidoscope de la douleur

Emilie Brisavoine dans Maman déchire
© JHR Films

Deuxième documentaire autour de sa famille après Pauline s’arrache, dans Maman déchire, Emilie Brisavoine sonde le mystère maternel et les souffrances du passé.

En proie à de nombreux cauchemars alors qu’elle vient d’avoir un fils, Émilie tente de remonter la généalogie de ses maux. Pour cela, elle enquête sur sa mère Meaud, ancienne clubbeuse punk qui a préféré écumer les boîtes de nuit plutôt que de s’occuper de ses enfants. Meaud est une figure complexe au verbe âpre, aussi touchante que toxique. Une maman qui déchire, autant qu’une présence déchirante. Émilie tente de réconcilier la grand-mère présente et attentionnée qu’elle est devenue, avec la mère rebelle absente de son enfance.

Maman cosmique

S’y déploie alors un langage visuel riche pour donner matière à cette relation, et tenter d’en recoller les morceaux. Un foisonnement d’images et d’esthétiques : images du présent, photos et archives VHS familiales, interfaces Skype, vidéos Youtube, filtre Snapchat. Le film appréhende Meaud notamment comme une entité cosmique. Tantôt trou noir qui aspire tout, tantôt comète dont l’éclat serait trop fort. La cinéaste utilise beaucoup la surimpression, comme une manière de figurer l’emprise que détient le passé sur le présent. La déchirure qui donne titre au film devient ainsi puissance d’expérimentations plastiques. Elle ne cesse de trouver une forme, de tâtonner, de muer. À l’image de Meaud, maman punk qui s’est réinventée dans la nuit. La création est ainsi affaire de filiation. Quelque chose que l’on hérite, empaqueté dans la douleur. Le tout est très bien orchestré par le montage fluide de Karen Benainous.

Les journaux intimes dénichés du passé alimentent une voix off qui redonne la place à la parole et à la colère de l’enfance. La mise en avant de cette parole et de son souffle contestataire est très touchante. D’autant plus quand on voit l’état d’anxiété généralisée qui caractérise Émilie, mais surtout son frère Florian. Celui-ci suit une batterie d’examens durant tout le film, persuadé d’être gravement malade, bouleversé également par l’expérience de la parentalité qui le confronte au passé. Comment faire face à cette douleur ? Tout le film circule autour de cette question. Une fois atteint l’âge adulte, elle devient pourtant difficile à résoudre. Pour Émilie et son frère, l’arrivée d’un enfant fait ressurgir l’enfant qu’iels étaient.

© JHR Films

Retour de l’enfance

La question de l’enfant intérieur occupe une grande partie de Maman déchire. Ce concept psychologique devient un enjeu narratif majeur quand Meaud délaisse le film, après une confrontation entre elle et Émilie, où l’on finit par se heurter littéralement à un mur. La cinéaste s’ en empare avec un mélange d’ironie et de sincérité, invitant le·a spectateur·ice à la suivre dans les chemins de développement personnel qu’elle emprunte. Magnétisme, mysticisme, psychanalyse, vidéos YouTube, toutes les voies sont bonnes. L’aventure thérapeutique est expérimentale elle aussi, et se solde parfois sur des hypothèses un peu scabreuses.

L’enfant intérieur se mue en un avatar numérique à travers un filtre Snapchat, qui redonne à Emilie et son frère leurs traits d’antan. Le chemin de la guérison semble avant tout esthétique pour la cinéaste, plasticienne de formation – Émilie Brisavoine a étudié aux Beaux-Arts. Meaud réapparait. On comprend que la trajectoire du film est d’aller sur le terrain de son enfance. Sonder ses souffrances qui ont agi comme une matrice pour les générations d’après. Tenter de comprendre, et de briser les chaînes d’une douleur transgénérationnelle. Faire émerger l’enfant qu’était sa mère, est peut-être la meilleure façon pour la cinéaste d’arriver au bout de cette douleur.

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