CINÉMA

CINÉ-CANAPÉ – MARS

Ciné-canapé Mars, Ceux qui rougissent
Ceux qui rougissent © Melocoton

Tous les troisièmes vendredis du mois, les rédacteur·ice·s de Maze vous proposent une sélection de films à (re)voir sur les plateformes VOD. Au programme du Ciné-Canapé de ce mois de mars, l’on retrouve du court, du moyen et du long métrage. Une pluralité de formats, mais aussi de techniques : stop motion, documentaire, fiction.

Wallace et Gromit : La Palme de la vengeance, de Nick Park et Merlin Crossingham (2025)

Chic, alors ! Un nouveau long métrage Wallace et Gromit sur Netflix ! Les champions de la stop motion de chez Aardman Animations offrent un doudou confortable, et sûrement d’assez bonne qualité pour être vu sans mauvaise conscience. Ça commence, et au début, tout y est. La banlieue anglaise, l’affreux gilet vert bouteille de Wallace, la consternation muette de Gromit, les inventions farfelues : la check-list est complète. Alors, d’où vient ce petit arrière-goût d’insatisfaction ? Passée la première demi-heure, ne vient-on pas de se surprendre à penser à autre chose ? Ou pire, à regarder son téléphone ?

Arrive alors la cruelle mais terre-à-terre vipère : la comparaison. Les courts métrages et le premier long consacrés aux deux héros provoquaient une joie mélangée. Du rire et de l’émerveillement, bien sûr, mais aussi… un malaise. Les intrigues parfois noires y étaient pour quelque chose, mais pas seulement. C’est la stop motion elle-même qui provoquait ce vertige : imparfaite, saccadée, et hyper matérielle. L’on croyait à l’existence des personnages tout en reconnaissant bien la texture de la pâte à modeler. Regarder Wallace et Gromit ressemblait à une promenade dans la vallée de l’étrange, profondément dérangeante, donc inoubliable.

Aujourd’hui, les animateurs d’Aardman ont réalisé le rêve qui aurait dû en rester un : la maîtrise parfaite de leur technique. La stop motion est devenue irréprochable, d’une fluidité spectaculaire. Hélas, en perdant son imperfection, elle a peut-être perdu sa raison d’être. Devant Wallace et Gromit : La Palme de la vengeance, une vilaine question ne cesse de tourmenter le spectateur ou la spectatrice. Si ce film n’était pas réalisé en stop motion, mais en images de synthèse… qu’est-ce que cela changerait à son rendu ?

À (re)voir sur Netflix (abonnement)

Enzo Hanart

Ceux qui rougissent, de Julien Gaspar-Oliveri (2024)

Ceux qui rougissent, série écrite et réalisée par Julien Gaspar-Oliveri, nous replonge dans nos souvenirs de lycée. Prix de la meilleure série courte au festival Séries Mania de 2024, le scénario dévoile les coulisses d‘un cours de théâtre. Au fil des huit épisodes, le metteur en scène explore et décortique les étapes de l’adolescence. Il met en lumière la construction de sa personnalité, l’affirmation du genre, l’estime de soi, le rapport à la famille, et l’angoisse face à l’avenir. Dans le gymnase d’un lycée, des élèves répètent la pièce mythique de Shakespeare, Le Songe d’une Nuit d’Été. Mais l’arrivée d’un professeur remplaçant, incarné par Julien Gaspar-Oliveri lui-même, vient bouleverser le fragile équilibre du groupe. Ce changement remet en questions les perspectives de chacun·e.

Portée par de jeunes acteur·ice·s qui jouent leurs rôles éponymes, tel·le·s que Mani Choukrane, Milla Kuentz ou encore Charles Souris, la série déconstruit un à un les stéréotypes que l’on peut avoir des adolescent·e·s. À mi-chemin entre la fiction et le documentaire, Julien Gaspar-Oliveri cherche à déceler la vulnérabilité de chacun·e. Il cherche ainsi à leur permettre de dépasser leur propre timidité. Avec sa caméra, il capture un mouvement de sourcil, un sourire furtif, un regard, ou des expressions simples. Autant d’éléments qui traduisent le monde intérieur bouillonnant de ces jeunes ados. Au fur et à mesure du scénario, les acteur·ice·s se confrontent aux autres, mais surtout à elleux-mêmes. Les épisodes sont courts, mais riches et intenses en émotions. Ils tentent d’apporter des réponses à cette question troublante : c’est quoi, jouer la vie ?

À (re)voir sur Arte.tv (accès gratuit)

Marine Fruchart

Car Wash, de Laïs Decaster (2024)

Une jeune femme blonde, en survêtement, lave sa voiture avec un soin qui inspire le respect. En action dans une station-service, elle répond frontalement aux questions simples de la réalisatrice, et se raconte avec une sincérité et un humour désarmants. Le cadre est ingénieux, et le prétexte efficace : à mesure qu’elle nettoie sa voiture, la jeune femme explique le rapport intime qu’elle entretient avec celle-ci. Sa Volkswagen noire est à la fois vecteur de fierté, espace à soi, et outil de drague. À travers ce lien plus affectif qu’utilitaire, c’est sa propre intériorité qu’elle met au jour. Derrière l’apparente superficialité de la discussion se cachent ainsi des enjeux révélateurs des difficultés et préoccupations d’une génération. Parmi elles : l’envie de stabilité, la galère de trouver un boulot avec un bac +5, le casse-tête du célibat, la peur des initiatives dans la drague entre meufs…

12 minutes suffisent à être conquis·e. La fluidité de l’échange, et l’intimité immédiate viennent certainement du fait que réalisatrice et modèle se connaissent bien. Les deux entretiennent une relation sororale dans la vraie vie, doublée d’une relation artistique de longue date. Laïs Decasrer avait déjà filmé sa sœur dans Soirée mousse. Ce précédent court métrage plongeait dans ses histoires amoureuses, et l’ennui du confinement pendant un bain moussant. De cette relation frontale à la caméra, et cette parole directe, se dégage quelque chose de résolument jouissif, et de frais. Un duo à suivre !

À (re)voir sur Tënk (abonnement ou location)

Julie Tronchon

Cléo de 5 à 7, d’Agnès Varda (1962)

Cléo de 5 à 7 raconte deux heures de la journée d’une jeune star de la chanson, Cléo, qui attend les résultats d’analyses médicales. Deux longues heures à tuer, qui détermineront si elle est atteinte d’un cancer. La première partie du film saisit Cléo en tant qu’objet. Une poupée de son qui se complaît volontiers dans le reflet de sa propre beauté, et qui évolue dans des intérieurs cotonneux.

Face à l’angoisse, Cléo enfile une robe noire et délaisse sa perruque. Elle sort marcher dans les rues de Paris, signant là les débuts d’une métamorphose. L’attente que subit Cléo la transforme profondément. À travers sa déambulation, le film chronique le vertige métaphysique de Cléo. La jeune femme passe du statut d’objet à celui de sujet. À ce titre, Cléo de 5 à 7 incarne parfaitement le retournement du regard qu’est le female gaze. La perspective de la mort recouvre tout. Elle force notamment Cléo à soutenir un point de vue sur la ville et son environnement.

Après s’être délestée des artifices de sa féminité – dont son nom de scène, « Cléo » -, il ne reste plus que ça, que le regard que l’on porte sur les choses. Un détour par le parc Montsouris lui fait rencontrer un jeune soldat en permission. Il doit repartir au front en Algérie. Tous deux partagent leur peur de la mort face à un avenir certain. Cette lucidité commune crée un rapprochement. Un moment suspendu qui les place du côté de la vie, et finit par contrecarrer la peur.

Par ailleurs, le film constitue un documentaire passionnant du Paris des années 60. On y découvre une rive gauche animée, populaire, insolite et foraine, à l’image d’un mangeur de grenouille. Seule femme cinéaste de la Nouvelle Vague, Agnès Varda y partage une façon de composer le cinéma à partir du réel. Un impératif qui la pousse notamment à tourner beaucoup de scènes en temps réel, et filmer les vrais trajets de son actrice. Une éthique du tournage et une conception du cinéma qui rend le film toujours aussi moderne, et passionnant à regarder.

À (re)voir sur France.tv (accès gratuit)

Tess Noonan

The Host, de Bong Joon-ho (2006)

Bong Joon-ho, désormais mondialement reconnu pour Parasite, Palme d’Or au Festival de Cannes 2019, vient tout juste de revenir au cinéma avec le très attendu Mickey 17. En 2006, le cinéaste en était à son troisième film, The Host. Un film de monstres, avec son simili-Godzilla-Loch Ness et ses humains inhumains.

Bong Joon-ho avait depuis longtemps pour projet de réaliser un film de monstres. Bien sûr marqué par l’impérissable et inépuisable série de films Godzilla, débutée en 1954 au Japon, Bong regrettait que la cinématographie du pays du Matin calme n’ait que trop peu exploité cette veine. En 2000, l’incident McFarland donne au cinéaste un point de départ à ses ambitions mutantes. Tenant le nom d’un Américain qui a ordonné à son assistant de jeter le contenu chimique de 480 bouteilles dans le fleuve Han, l’événement provoque le scandale en Corée. Cette catastrophe sanitaire et écologique ouvre le film.

On trouve dans The Host de nombreux éléments qui ont fait la réussite des films, notamment coréens, de Bong Joon-ho. Une charge politique évidente mêlée d’un savant mélange de genres qui couvre toutes les gammes de l’humanité. Humains médiocres, mais touchants – à moins que ce ne soit l’inverse. Si l’exercice n’est pas aussi abouti que dans ses chefs-d’œuvre Memories of Murder et Parasite, The Host vaut largement le détour et mêle grand spectacle, tension, humour, drame et tragédie.

L’armée, la police, les médecins, les médias, les politiques  : autant d’entités inhumaines que le film ramène au fond à l’altérité radicale qu’est cette grosse bestiole qui habite le fleuve. La bête est à la fois produit et métaphore de l’influence américaine qui vampirise le pays, ce que le film ne prend aucunement la peine de cacher.

Et puis, il y a ce portrait d’une famille qui tient sa petite entreprise, un modeste snack au bord du fleuve. Le grand père est savant mais vieillissant, et dédaigné par son fils, un grand enfant inconscient et médiocre. À ses heures perdues, c’est aussi le père aimant mais irresponsable de la petite Hyun-seo, enlevée par le monstre au début du film. Son frère et sa sœur ne cachent guère leur mépris pour cet encombrant frère. C’est au fond une histoire de famille – qui n’est pas sans présager Parasite – seule contre tous, coincée par un système qui n’offre guère de perspective émancipatrice. The Host relie le grandiose et le politique, incarnés par le monstre, au quotidien et à l’intime de cette famille. Un beau spectacle plein d’émotions.

À (re)voir sur UniversCiné (abonnement)

Matthieu Miséré

Le Pupille, d’Alice Rohrwacher (2022)

Entre deux longs métrages mettant en scène des environnements contemporains, Heureux comme Lazzarro (2018) et La Chimère (2023), Alice Rohrwacher propose une incursion au siècle dernier avec Le Pupille. Conte musical – forme indéniablement maîtrisée par la cinéaste -, ce moyen métrage à l’esthétique soigneusement étudiée compose à partir d’une lettre envoyée par l’écrivaine Elsa Morante à son ami journaliste, Goffredo Fofi.

Sur un ton anecdotique, la lettre évoque le quotidien d’une bande de petites filles orphelines au moment de Noël. La Seconde Guerre mondiale fait rage, et le pensionnat catholique dans lequel elles vivent a vu ses ressources s’amoindrir. Alors que la mère supérieure, Fioralba (Alba Rohrwacher), y fait régner l’ordre d’une main de fer, un événement vient adoucir les préparatifs de la fête. En échange d’une prière pour un amant parti au front, une villageoise (Valeria Bruni-Tedeschi) fait don d’un gâteau pantagruélique. Cette torta inglese devient la clé de voûte du scénario, incarnant la récompense ultime, le cadeau rarissime.

En se plaçant tout du long à la hauteur de ces enfants qui s’amusent à contourner l’autorité, et à mener des activités quotidiennes plus ou moins ordinaires, Le Pupille ne manque pas d’insérer ça et là des références malicieuses et équivoques au contexte politique troublé de la Seconde Guerre mondiale, et aux inégalités sociales de la population italienne. En résulte un film au charme singulier, minutieusement incarné par ses actrices, et délivrant une morale – conte oblige – qui, comme la joyeuse « chanson de la lettre », continue de trotter doucement dans l’esprit.

À (re)voir sur Disney+ (abonnement)

Aude Cuilhé

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