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CINÉBALTIQUE 2025 –  « Toxic » : Insouciance envolée

Image extraite du film Toxic de Saulė Bliuvaitė. On y voit plusieurs jeunes filles, adolescentes, assises sur un banc contre un mur bleu. Elles portent tout un maillot de bain noir et regardent vers la gauche.
© Les Alchimistes

Présenté en film d’ouverture du Festival CinéBaltique, Toxic est le premier long-métrage de la réalisatrice lituanienne Saulė Bliuvaitė. Léopard d’or à la dernière édition du Festival de Locarno, le film illustre brillamment le quotidien d’adolescentes en mal de vivre.

Marija (Vesta Matulyte) et Kristina (Ieva Rupeikaite), 13 ans, errent sans vraiment de but dans une petite ville lituanienne. En quête d’elles-mêmes et d’ailleurs, elles décident de s’inscrire dans une école de mannequinat, avec l’espoir de partir travailler à l’étranger. Rapidement, elles aperçoivent les promesses d’une vie meilleure et sont prêtes à tout pour y accéder, quitte à mettre en péril leur santé physique et mentale. Partant d’un portrait classique de jeunes filles à la recherche de la validation du monde extérieur, Saulė Bliuvaitė offre avec Toxic une réflexion intime sur des âmes d’enfants qui s’envolent.

Miroir, mon beau miroir

Déjà très peu à l’aise dans leurs corps d’adolescentes, Marija et Kristina font de ces derniers une obsession. Dans cette école de mannequinat, tout est mesuré : taille, hanche, cuisse, aucun kilo en trop n’est toléré. Au départ vendue comme une opportunité se faire de l’argent, cette école se révèle être un véritable puits de dépenses. Un établissement qui tente de mettre en lumière une certaine forme de beauté, au milieu d’une petite ville particulièrement repoussante.

Les protagonistes entrent alors dans un cercle vicieux pour perdre toujours plus de poids. Kristina, la plus téméraire des deux jeunes filles, a déjà pris l’habitude de faire semblant de manger. Elle décide d’aller encore plus loin en ingérant des œufs de ver solitaire, commandés sur le dark web. Se faire vomir ou mâchonner du coton pour remplacer la nourriture : tous les moyens sont bons pour maigrir. La réalisatrice pose un regard presque documentaire sur cette quête de la minceur, filmant en gros plan les deux adolescentes.

Le poids n’est pas le seul critère qui entre en compte. L’apparence complète de Kristina évolue tout au long du film. Du piercing à la langue réalisé à la va-vite dans des toilettes au maquillage porté pendant chaque sortie avec des garçons, la jeune fille est prête à tout pour rentrer dans le moule.

Les scènes de nuit, passées à traîner sur des parkings ou à fumer du cannabis au bord d’une rivière, sont non sans rappeler le film de Molly Manning Walker, How to Have Sex – prix Un certain regard au Festival de Cannes 2023. Les garçons sont ici filmés comme de véritables prédateurs, guettant la moindre opportunité pour toucher et embrasser les jeunes filles. Dans Toxic, aucune scène d’agression n’est filmée, mais tout est dans le sous-entendu. Après une soirée trop arrosée, les adolescentes se réveillent, l’une ayant perdu ses affaires, l’autre ayant la braguette ouverte. Le déroulé de la soirée restera flou.

Deux jeunes filles sont allongées sur un lit. L'une a sa tête posée sur le ventre de l'autre, écoutant attentivement. Image extraite du film Toxic de Saulė Bliuvaitė.
© Les Alchimistes

Amitiés salvatrices

Au milieu de ces efforts plus que toxiques flotte néanmoins une certaine forme de sororité entre Marija et Kristina. Marija épaule son amie dans toutes ses décisions, pour le meilleur et, bien souvent, pour le pire. Mais là est la définition même d’une amitié entre adolescentes : quoiqu’il arrive, l’une sera toujours là pour l’autre. Cela se reflète lors de scènes clés du film. Marija, la tête posée sur le ventre de Kristina, tente en vain d’entendre le ver solitaire qui s’y balade.

Les scènes de solidarité entre les deux filles sont filmées de très près. Petit à petit, elles quittent leur innocence enfantine, glissant – trop tôt – vers la vie d’adulte. Elles partagent d’ailleurs de nombreuses cigarettes et bouteilles d’alcool. Grâce à un malin jeu de mise en scène, la cinéaste filme au contraire les scènes plus enfantines (partie de basket, course-poursuite) avec beaucoup de distance. Les âmes d’enfant s’éloignent, tandis que la triste réalité du monde qui les attend se rapproche, dévorante.

Tragique conte d’été, métaphore de l’apprentissage et critique acerbe des diktats imposées par la société sur les jeunes filles,Toxic s’impose comme un film brutal à la réalisation finement réfléchie, portée par de jeunes actrices qui transpercent l’écran.

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