Pelikan Blue est l’unique documentaire de la compétition Longs métrages européens de Premiers Plans. Utilisant l’animation comme support visuel, László Csáki dévoile le développement d’un réseau de faussaires de billets de train en Hongrie après la démocratisation du pays.
Pelikan Blue, c’est le nom du film, mais aussi le nom d’un type spécifique de papier carbone. Il s’agit du papier qui est à la base d’un commerce de faux billets de train dans la Hongrie post-soviétique. En effet, trois amis, Ákos, Petya et Laci, voulant voyager en Europe suite à la chute du rideau de fer et la démocratisation de la Hongrie, vont trouver une méthode pour effacer l’encre de ce papier et partir jusqu’en Suède pour dix fois moins cher. À partir des témoignages de ces trois faussaires novateurs, d’imitateurs, d’acheteurs, et même d’un policier, László Csáki signe un documentaire historique d’une grande beauté, permettant d’en savoir un peu plus sur la Hongrie et sa population dans une période mouvementée et peu connue en France.
Fluide, léger et animé
Les documentaires animés sont rares. Il faut dire qu’ils sont le mélange de deux mondes qui semblent ne pas pouvoir cohabiter. Les documentaires cinéma sont peu nombreux et leur diffusion est difficile, aussi leurs budgets sont assez réduits. Dès lors, faire le choix de l’animation comme support visuel du film semble contradictoire, puisque le coût de production augmente considérablement. Aussi, lorsqu’apparaît un de ces films hybrides, le pari est immense. Et, pour Pelikan Blue, ce pari est une réussite totale !
Tout d’abord, l’animation est de toute beauté. Les couleurs vives tranchent avec l’imaginaire collectif de l’esthétique terne et grise des pays soviétiques. Les mouvements sont fluides et les transitions entre les différents espaces-temps, d’une grande créativité, permettent d’accompagner les enregistrements des protagonistes avec énormément d’efficacité. De plus, l’animation n’est pas juste un moyen d’illustrer ce que disent les voix. La mise en scène exploite toute la malléabilité du procédé pour renforcer certaines des émotions vécues par les personnages. En somme, l’animation est un moyen de donner vie aux souvenirs, non seulement à travers la simple représentation visuelle, mais aussi en y ajoutant une déformation née de ce que le témoin a ressenti à l’époque.

Reconstitution historique ?
L’autre force de Pelikan Blue, c’est sa capacité à faire vivre le passé au présent. En effet, les témoignages sont tous racontés au passé. Mais à travers des enregistrements bien réalisés, et quelques dialogues recréés avec ces trois faussaires, le réalisateur réactualise le récit. Le tout prend alors la même forme qu’un roman : le narrateur décrit certaines actions au passé, et les dialogues sont au présent. Cette construction narrative, mélangée à l’animation, permet une forme de reconstitution historique des événements qui brouille les frontières entre fiction et documentaire, voire qui les abolissent totalement, comme en écho à l’ouverture des frontières hongroises. Drôle et éducatif, le film prend la défense de ces faussaires qui ont permis à des milliers de Hongrois, qui n’en avaient pas les moyens, de voyager et de découvrir l’Europe.
Chimère audiovisuelle, autant fiction que documentaire, saga audio et film d’animation, Pelikan Blue est un bijou de créativité qui mérite lui aussi, à l’instar de ses protagonistes, de voyager partout en Europe.