LITTÉRATURE

« La Figure » – Ce n’est pas tenable

© P.O.L

Auteur, chanteur-compositeur et acteur, Bertrand Belin reprend la plume pour écrire un texte aux accents autobiographiques. La Figure met en scène le narrateur et sa voix intérieure dialoguant sur la paradoxale dureté du nid familial et de son chef despotique.

« Me taire, ne rien dire, j’ai déjà essayé. Ce n’est pas tenable. » Face à la violence qui gangrène la sphère familiale, l’auteur-narrateur ne peut garder le silence. Il décide d’agir et de dire. Il réalise ainsi le « portrait critique du théâtre de ses origines ». Après plusieurs romans publiés chez P.O.L dont le premier, Requin (2015), Bertrand Belin revient en ce début d’année avec La Figure, soliloque. L’auteur-narrateur fore ses souvenirs avec colère et ténacité et se livre à des réflexions intérieures, silencieuses et pourtant, fracassantes.

Faire bonne figure

Peut-on toujours et pour toujours faire bonne figure ? Dans ce roman, Bertrand Belin réalise un récit rétrospectif au cours duquel il se remémore ses premières années. Peu après sa naissance, un incendie ravage la maison où habite sa famille nucléaire. Ils partent et vivent un temps dans une tente au milieu d’un champ jusqu’à ce qu’ils trouvent un appartement au deuxième étage d’un immeuble. Pourtant, à ce moment-là – on ne sait pas bien quel âge a le narrateur – ce dernier s’oppose. Il refuse de continuer comme ça. Il refuse de vivre avec eux, comme eux, selon leurs règles. Pour cause ? Le climat explosif et malsain où grouille sans cesse une violence sourde qui, parfois, se matérialise en coups et crises de nerf. Bertrand Belin a cette phrase  : « Respirer c’est déjà trop », trop de bruit, trop d’existence, pour le patriarche. Alors, il reste sur les marches de béton en bas de l’immeuble.

Dans La Figure, l’exercice mnésique ne se fait pas tout à fait seul. Le narrateur est accompagné par la Figure qui apparaît au moment même où survient cette rupture. Mais qui est cette voix ? Elle a les atours de la conscience, d’un autre que soi en soi. Elle est son « Sancho Panza », son « Virgile ». Un guide, en quelque sorte, sans qui il n’aurait pas survécu. Entre eux, ils discutent de cette enfance rude et de cette fuite en avant dont les contours restent flous, mal définis. Pourtant, vivaces. Surgit alors, dans les trames de cette concentration, la douleur de l’ambivalence – « rejet et amour des siens » – comme la désillusion :« J’ai cru pouvoir susciter l’amour. Renverser les forces du mal à moi tout seul. »

Chercher une forme 

La Figure est un récit qui s’écrit en ne cessant d’interroger sa forme. Quelle figure suis-je en train de prendre ? Les phrases s’enchâssent les unes dans les autres. L’auteur commente sa façon de raconter, de contourner ou d’édulcorer. Il s’adresse à nous qui lisons : « Ce n’est pourtant pas pour faire joli cette série de méandres et d’appendices. Au contraire. Je rêve de pouvoir dire les choses clairement ». Il aspire à un propos concis et cru comme l’est la vérité pourtant, les circonvolutions ne cessent. N’est-ce pas là l’unique chemin qui permette de dire ce qu’il y a à dire ? Quelques mots élégants en chemin – peccadille, agapes, amibe, épissure – et les flashs qui récidivent.

Alors, pour que le dire naisse, Bertrand Belin pense une forme qui l’accueille. Il imagine le récit telle une trajectoire. À la fois, ensemble des différentes étapes vécues par un individu mais aussi simple ligne. Symbole du mouvement d’un mobile dans l’espace et le temps qui prend son impulsion et s’arrête à un point d’arrivée. L’auteur fait ce travail : lancer les phrases comme des projectiles pour persister. Il dissipe néanmoins toute confusion. Il n’attend pas de résolution définitive à ses maux. Tout au plus, espère-t-il une « une plage de silence » temporaire dans ce déluge de remémorations douloureuses sans jamais perdre de vue que pour finir, il faut que ça continue. 

La Figure de Bertrand Belin, P.O.L, 18euros. 

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