Après Les roses noires et Les charbons ardents, Hélène Milano revient avec un nouveau documentaire, centré cette fois sur l’adolescence et l’éducation. Un film soutenu par l’ACID et présenté à Cannes l’an dernier : Château Rouge.
L’éducation est un sujet sensible en France. Les différentes réformes proposés par les gouvernements des dix dernières années n’ont cessé d’alimenter des débats houleux, ainsi que le mécontentement des professeur·e·s qui n’y voient que de la poudre aux yeux. Les appels à l’aide de ces derniers se multiplient, et certain·e·s réalisateur·rice·s de documentaires se font leurs portes paroles, en mettant en images les problèmes qu’iels vivent, mais aussi ceux des élèves. Hélène Milano a décidé de s’attaquer à ce gros morceau, toujours dans sa volonté de donner une voix à ceux qui n’en ont pas. Elle invite les spectateur·rice·s dans le collège Clemenceau, du 18ème arrondissement de Paris, et dresse le portrait de seize jeunes en difficulté afin de montrer les inégalités et la violence d’un système parfois sourd et aveugle aux cris de détresse d’adolescent·e·s dépassé·e·s.
Les enfants perdus
Le collège est une période charnière pour les jeunes. La troisième est d’autant plus importante puisque qu’iels doivent faire leurs vœux d’orientation. D’énormes responsabilités pèsent sur les épaules de ces adolescent·e·s et les images d’Hélène Milano vont révéler toutes leurs angoisses, leurs remords et leurs difficultés. Certain·e·s n’arrivent pas à rester concentré·e·s, d’autres ont des problèmes familiaux, Kamel – le plus jeune – a du mal à gérer ses émotions… L’équipe pédagogique du collège essaie tant bien que mal d’aider ces jeunes mais, malgré leurs efforts et leur patience, iels ne peuvent combler les trous d’un système qui abandonne les plus démunis.

C’est effectivement une histoire de classes sociales que Château Rouge met en avant. Manel et Samy, deux élèves, le disent d’ailleurs très ouvertement. Ne venant pas de classes sociales aisées et n’étant pas performants en cours, iels sont envoyé·e·s dans les filières professionnelles, et voient leurs rêves sacrifiés afin de remplir les rôles dont personne ne veut. Les rendez-vous avec la conseillère d’orientation se transforment en un matraquage oppressif leur rappelant toujours leur inéluctable destinée.
Visages, dérushage
Cependant, malgré l’indéniable force métaphorique de ces rendez-vous répétés, il se dégage de ce collage de rushes vidéo une certaine sensation d’illisibilité et de brouillon. En effet, Hélène Milano aime enchaîner plusieurs moments de la vie quotidienne des adolescent·e·s. En classe, dans la cour, lors des rencontres parents/professeurs, les discussions s’enchaînent et donnent des indices sur leurs vies quotidiennes et leurs problèmes. Mais, entre ces moments, apparaissent des interviews ayant une image et un son extrêmement travaillés. Ce sont ces instants d’ouverture des jeunes envers la caméra qui transmettent toute la tristesse du film. Iels livrent aux spectateur·rice·s leurs rêves, leurs regrets, leurs peurs, et surtout prouvent qu’iels comprennent l’injustice d’un système qui pousse des enfants à décider de leur avenir alors qu’iels n’y sont pas prêt·e·s.

Ces échanges sont trop rares, trop peu mis en avant. Ils se perdent dans un flot ininterrompu d’images brutes où les adultes parlent plus que les élèves. Se dégage alors du film une sorte de dissonance qui ne cesse de refaire surface : il faut donner la parole à ces jeunes, mais cette parole, iels ne l’ont presque pas.
Une alarme ignorée
Reste toutefois que Château Rouge est un film important. Il fait partie d’une longue liste de documentaires proposant une plongée dans le monde de l’Éducation Nationale (Être et avoir, La Loi du collège, Ça baigne), et propose lui aussi une conclusion plutôt négative. C’est une sonnette d’alarme qui, comme les autres, reste ignorée. Si la forme ne plaira peut-être pas à tout le monde, le fond résonnera avec beaucoup de celleux que le système scolaire a abandonné·e·s et relégué·e·es au rang de main-d’œuvre à tout faire, en sacrifiant leurs rêves sur l’autel du capitalisme. Adieu le football, adieu le journalisme. Bonjour la vente et le secrétariat ! Et surtout qu’iels ne se plaignent pas, c’est déjà une chance pour elleux de pouvoir accéder à ces études.
Château Rouge, réalisé par Hélène Milano et distribué par Dean Medias, au cinéma le 22 janvier.