LITTÉRATURE

« Technopolice » – Sous l’œil des algorithmes, l’enquête choc sur la surveillance totale

© Divergences

Technopolice, publié chez Divergences, met à nu la montée fulgurante d’un Big Brother urbain, où drones, caméras intelligentes et algorithmes remplacent peu à peu les flics dans les rues. Une dystopie ? Non, une réalité déjà bien installée.

Félix Tréguer, chercheur, activiste, fin observateur des rouages du pouvoir numérique, nous entraîne avec Technopolice dans une enquête glaçante sur la montée d’un monde où la technologie, loin de libérer, devient l’instrument d’une surveillance sans limites. Un monde qui se dessine dans nos villes, sous nos yeux, dans une indifférence assourdissante.

Vers une ville sous domination numérique

Imaginez : une caméra qui analyse vos gestes, un drone qui vous suit, un logiciel qui anticipe vos intentions. Science- fiction ? Pas vraiment. Avec l’émergence de la « technopolice », nos villes se transforment en laboratoires de surveillance à ciel ouvert.

Tout commence en 2017, lorsque l’association La Quadrature du Net documente les premières expérimentations de surveillance algorithmique à Marseille. Très vite, le constat est effarant. L’usage de technologies comme les drones, la vidéosurveillance intelligente ou les logiciels prédictifs explose, avec une ambition claire : contrôler. « Ce n’est pas une évolution anodine », explique Félix Tréguer. Ces dispositifs dessinent une nouvelle forme de pouvoir, froide, invisible, algorithmique. Plus qu’un outil, la technologie devient le cœur d’un projet politique où la sécurité sert de prétexte à une surveillance de masse.

Depuis 2001, c’est le retour en force de l’industrie techno-sécuritaire. C’est tout un tas d’appareils, de technologies, d’artefacts, de politiques publiques qui vont promouvoir cette technologie et une mentalité sécuritaire qui pullule depuis dans la société.

Technopolice, Félix Tréguer

Le mythe de l’efficacité

« Plus de technologie, plus d’efficacité ». C’est la promesse martelée par les promoteurs de la technopolice. Mais cette promesse tient-elle ? Félix Tréguer démonte ce mythe avec une précision chirurgicale. Les caméras de vidéosurveillance, par exemple, ne jouent un rôle décisif que dans 1,13 à 3 % des enquêtes. Quant aux algorithmes prédictifs, ils se révèlent aussi biaisés qu’injustes, renforçant les discriminations au lieu de les prévenir.

Le vrai but ? Rationaliser, optimiser, contrôler. Derrière les discours d’innovation se cache une idéologie : celle d’un contrôle permanent, habillé des atours de la modernité. Et les contre-pouvoirs ? Absents. La CNIL, censée protéger nos droits numériques, reste spectatrice. Pire, elle semble parfois complice. L’usage illégal de la vidéosurveillance algorithmique ou des drones est déjà monnaie courante, avec une stratégie bien rodée : déployer d’abord, légaliser ensuite. Dans ce système, tout est fait pour étendre le champ de la surveillance. Et tant pis pour nos libertés. « Les pratiques se font toujours légaliser a posteriori », rappelle Félix Tréguer. Une fuite en avant où l’innovation justifie tous les abus.

La technopolice, ce n’est pas seulement une histoire de gadgets. C’est un projet de société. Un modèle où l’anticipation des « risques » – quitte à les inventer – sert d’excuse pour surveiller, prédire, neutraliser. Félix Tréguer décortique avec brio cette logique proto-totalitaire. Il cite des exemples frappants, comme les algorithmes utilisés pour détecter des « suspects » avec des taux de correspondance ridicules, ou encore les logiciels de police prédictive qui assignent des « scores de risque » à des quartiers entiers. C’est une société de la méfiance généralisée qui se met en place, où l’individu devient un simple pixel dans la matrice.

Croyant pouvoir faire vibrer quelques cordes sensibles dans l’assistance, nous leur disons enfin que notre refus découle d’une conviction : si nos grands-mères et nos grands-pères avaient dû vivre au début des années 1940 dans un monde saturé des technologies qu’ils fabriquent et promeuvent, sans doute n’auraient-ils pas survécu plus de trois semaines en clandestinité. Et ils n’auraient à coup sûr pas été en mesure d’organiser des réseaux de solidarité dissidents capables de résister au régime nazi. Si nous refusons la Technopolice, c’est parce qu’elle est tout simplement incompatible avec la défense des formes de vie démocratique.

Technopolice, Félix Tréguer

Résister : un impératif

Face à ce constat, Félix Tréguer refuse la résignation. Son livre est un appel à l’action. Il ne s’agit pas seulement de comprendre, mais de se battre. Il évoque les luttes menées par La Quadrature du Net et d’autres collectifs qui œuvrent à enquêter, demander des comptes, mobiliser les outils juridiques.

Technopolice n’est pas un livre neutre. C’est un cri. Félix Tréguer ne mâche pas ses mots. Le futur qu’il décrit n’est pas une fatalité, mais une menace bien réelle, encore évitable. En nous montrant les failles du système, en révélant l’impunité de ceux qui l’alimentent, il nous invite à agir, à résister, à refuser cet ordre numérique autoritaire. Ce livre ne se contente pas de secouer nos certitudes – il nous demande de choisir : accepterons-nous de devenir des pixels sous contrôle, ou reprendrons-nous en main notre avenir ? La question reste ouverte, mais une chose est sûre : le temps de l’indifférence est révolu.

Technopolice par Félix Tréguer, Éditions Divergences, 16 euros

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