Livre d’illustrations, Les Divans de Violette Vaïsse est une compilation de vignettes sur l’expérience de la thérapie aussi drôle que perspicace. Rencontre.
Docteur, c’est sérieux, je crois bien qu’on est tous·tes fêlé·es ! Solitude, narcissisme, peur de l’abandon, angoisse ; dans Les Divans, Violette Vaïsse désacralise l’image austère qui colle aux basques de la thérapie pour montrer le potentiel comique de nos névroses. Elle aborde le fonctionnement de notre psyché inquiète, complexe et parfois illogique avec humour et décalage. Face à la finitude, l’autodérision ne serait-elle pas le meilleur des remèdes ?
S’il y a bien une chose que j’ai apprise en suivant une thérapie, c’est qu’il n’y a pas de route sans virages.
Illustratrice, Violette Vaïsse a fait paraître son premier roman graphique aux éditions L’Agrume, La Tempête, en 2O22. Elle est aussi l’autrice, pour la même maison, d’une série d’albums jeunesse autour du personnage Léon, un renardeau farceur et attachant, et de la série de BD jeunesse, Brioche et Tartine, histoire de deux chiens en goguette, pour les éditions La Joie de Lire. L’imagichien est dernièrement paru chez les éditions Nathan.

Quel a été votre premier choc esthétique ?
Je suis très touchée par l’esthétique des couleurs du Maroc où j’ai grandi. Le zellige m’a toujours fascinée. Ce sont des mosaïques qui rassemblent des couleurs très fortes. Du vert, du bleu, du rouge, du jaune. BAM. Tout ça ensemble. J’ai toujours trouvé ça génial.
Vous avez grandi au Maroc puis vous êtes allée étudier en Europe.
Je suis arrivée au Maroc avec ma famille quand j’avais six ans, au CP et, je suis repartie après mon bac à mes dix-huit ans. J’ai fait un an de prépa d’art à Paris puis j’ai fait mes études à Bruxelles, à l’École Saint-Luc. À l’époque c’était une des rares écoles qui proposait un cursus bande dessinée. J’étais assez déterminée. Depuis que j’ai seize ans je sais que je veux faire de la BD. J’ai eu une période où j’ai réfléchi à d’autres options mais, finalement, je crois que l’on revient toujours à ce qui nous parle au cœur.
D’où vient cette détermination ?
J’adorais raconter et dessiner des histoires et, mes parents rapportaient des bandes dessinées de France de la maison d’édition, L’association. À quinze ans, j’ai lu Persepolis de Marjane Satrapi. C’était mon premier choc en BD. J’ai trouvé ça extraordinaire. J’ai été bouleversée et ça m’a tout de suite influencée puisque je me suis mise à écrire une BD sur ma vie d’adolescente au Maroc.
Je racontais les épisodes d’embrouilles avec mon frère, les jeux qu’on faisait au lycée, la vie d’adolescente au Maroc. Ça faisait tellement rire les gens autour de moi, qu’ils me poussaient à en faire d’autres. Tout le monde voulait apparaître dans l’histoire. J’en ai fait une bande dessinée de 120 pages. J’avais seize ans et j’ai failli être publiée.
À ce moment, j’ai compris que c’était possible. Je me suis rendu compte que ça intéressait les adultes. J’adorais cet exercice de narration qui mêle le dessin et les mots. Ça a été une révélation et je me suis promis que dans ma vie je publierais au moins une bande dessinée et un album jeunesse.
L’art avait-il une place importante dans votre famille ?
Je viens d’une famille très créative qui m’a encouragée. Ma mère c’était plutôt les mots et l’écriture et mon père l’image et la fabrication. Il peint et j’ai même découvert qu’il avait fait de la bande dessinée à vingt ans. J’étais sous le choc ! Je me suis dit : finalement, est-ce qu’on ne fait pas que reproduire ce qu’on fait nos parents avant nous ?
Comment est né votre livre, Les Divans ?
Au début, c’était un exercice personnel sans but précis. Je voulais essayer de mêler des images et des mots. J’ai fait ces illustrations simples comme des mini-histoires. Après, je les ai imprimées au format affiche et j’en ai vendues aux copains. Ça a tellement plu que ça m’a moi-même surprise. Avant que ça ne devienne un livre, il a fallu du temps.
Un jour, j’ai rencontré un éditeur, super motivé, qui a décidé d’en faire un livre. Les premières images ont été faites il y a six ou sept ans. Certaines ont été abandonnées et d’autres retravaillées. Entre-temps mon dessin a beaucoup évolué. Quand je mets les deux versions d’une image l’une à côté de l’autre c’est vraiment impressionnant et satisfaisant de voir qu’à force de travail le dessin évolue.

Dans une image, j’ai écrit : « Parfois, il faut arrêter de chercher un sens / et simplement prendre une direction ». Au départ, j’avais juste dessiné une personne assise dans un train dans une seule direction. Je l’ai ensuite remaniée en me demandant comment aller plus loin pour que ça soit encore plus fort à travers le dessin. Sur l’image finale, il y a deux personnes dans un train, dos à dos. Cela accentue le décalage car on ne sait pas dans quelle direction va le train. Ce que l’image raconte donc, c’est qu’il n’y a pas de « bon sens » et que le plus important, c’est de faire un choix.
J’ai aussi fait des recherches pour les décors. J’ai apporté des détails et varié le design des objets pour que l’on ne s’ennuie pas. Quand on illustre, on peut avoir tendance à toujours refaire la même chose.
Comment avez-vous travaillé la rencontre texte/image ?
Les phrases sont venues d’abord, je me suis demandée ensuite comment les challenger avec l’image. Je commence souvent avec l’écriture. Dans des carnets, j’écris des choses dans tous les sens : des morceaux de phrases trouvés, des mots glanés dans des romans. A partir de ces fragments d’écriture, je m’amuse à faire des assemblages qui me font marrer. Puis je réfléchis au dessin qui pourrait aller avec. Il y a souvent quatre étapes différentes de travail : l’idée, le crayonné, l’encrage puis, quand cette étape est finie, je scanne le dessin et mets la couleur à l’ordinateur.

Quel est votre usage de la couleur ?
J’ai commencé avec les couleurs primaires et, au fil du temps, elles se sont diversifiées. Je me suis constituée toute une palette numérique qui ne cesse de s’agrandir. Ça a commencé avec un rouge que j’aime beaucoup. Avant j’utilisais le rouge pur très intense maintenant j’en mets un légèrement différent : un rouge brique qui a une pointe d’oranger. Le nuancier me permet de retrouver ces couleurs. En devenant plus à l’aise, je me suis autorisée à aller vers d’autres couleurs et d’autres univers. Je pense que cela se voit particulièrement dans Les Divans parce que chaque page a été pensée comme un univers différent avec son ambiance singulière.
C’est un peu comme un jeu de Rubik’s Cube !
Oui, j’adore assembler les couleurs, il y a quelque chose de très émotionnel. Parfois, je passe des heures sur une image. Je cherche à associer les couleurs jusqu’à ce que cela me plaise et me semble évident. Le fuchsia, par exemple, je trouve que ça pète vraiment dans une image. Parallèlement à ça, il y a des couleurs très dures à travailler comme le vert. Pour qu’une image soit forte, il faut réussir à travailler toutes les couleurs ensemble.
Votre livre aborde la thérapie en un sens très large.
Je n’aborde pas seulement l’expérience qui consiste à aller chez un psy mais j’englobe tout un panel de réflexions. La thérapie intervient au quotidien et pas seulement dans le cabinet du psy. On peut parler avec ses amis, avec sa famille ou avec un inconnu dans la rue. On a tous un regard sur nous-même. Je trouve d’ailleurs que beaucoup d’entre nous se jugent méchamment et sans beaucoup de tendresse.

Les Divans sont des petites introspections à propos de la vie. L’être humain est absolument contradictoire. C’est notre beauté mais aussi ce qui nous terrifie. On se dit des choses bizarres, étranges. C’est pour ça que j’ai essayé de mixer des phrases très absurdes et des phrases plus sérieuses pour que chacun trouve ce qui résonne le plus pour lui. En fonction des gens, ce ne sont pas les mêmes images qui marquent. C’est comme les phrases de psy, il y a en qui nous parlent et d’autres pas.
Vous n’utilisez pas de vocabulaire psychiatrique pourtant vous ne tombez jamais dans la psychologie de comptoir.
Ce n’est pas mon métier donc je ne me sens pas légitime de le faire, même si j’aime avoir de l’analyse sur ma vie et celles des autres. Je parle à mon niveau. D’ailleurs, il n’y a pas besoin d’utiliser de mots compliqués pour se faire comprendre. Au contraire, plus c’est accessible, plus on se sent touché. J’aime les formes d’art qui peuvent être saisies tout de suite et provoquer une joie intérieure. J’ai beaucoup de mal avec la poésie par exemple car je trouve que l’interprétation peut partir dans tous les sens et ça me frustre. Dans Les Divans, j’ai cherché l’efficacité du texte notamment en scindant la phrase, en haut et en bas, pour donner du rythme.
Vous démystifiez la figure du psy, austère et silencieux, en ajoutant toujours une pointe d’humour. Dans un des cabinets, il y a punaisé au mur un diplôme en rirothérapie.
Je suis vraiment contente que vous le remarquiez parce qu’en l’écrivant je me faisais rire toute seule. Je trouve que l’humour est toujours une bonne manière de parler de nos souffrances. C’est une grande force de se dire que ça va aller si on peut en rire. C’est la touche d’optimisme.
Pour ce qui est du psy, il peut arriver de prendre son ou sa psy pour un dieu qui saurait tout et pourrait régler tous nos soucis. Pourtant, ça ne fonctionne pas. Désacraliser la place du psy permet de dire qu’on est vraiment tous logés à la même enseigne. Ils restent des humains comme tout le monde.
Est-ce que vous travaillez en silence ou en musique ?
Je n’imagine pas travailler sans musique, ça ne m’arrive jamais. Le son m’accompagne comme un collègue de travail. Quand j’écris c’est plutôt de la musique, et quand je suis en phase de couleur et d’assemblage je peux mettre des podcasts pendant dix heures non-stop.
La musique crée une bulle pour entrer en soi et faire appel aux émotions. Les podcasts me font penser aux cassettes audios qui racontaient des histoires dans l’enfance. J’écoute beaucoup de choses : des podcasts ultra féministes, des trucs plus rigolos ou absurdes – comme Scandales, une série sur les affaires de stars, du petit lait en travaillant – ou des histoires de vie comme le super podcast, Les pieds sur terre. Je pense que ça m’aide à lâcher prise.
Quand je bloque sur une formulation ou une idée, je me suis rendue compte que j’ai souvent besoin de manger. J’ai la sensation que ça me permet de me concentrer. Ça m’apaise et m’aide à aller au bout de mon idée. Écrire c’est comme être sur un fil tendu, on ne sait jamais si on va y arriver. C’est comme une bataille avec soi-même alors, il faut développer des petits tips. Je me dis qu’écouter de la musique, manger et boire du thé peut aider à aller plus loin.
Alors, voici ma dernière question. Vous êtes plutôt thé vert ou thé noir ?
J’ai une passion pour le chaï latte. Du thé noir avec une touche de lait d’avoine et c’est parti ! Je peux boire ça toute la journée. Pas le café parce que, trop de palpitations, et alors mes idées s’entrechoquent.

L’artiste est à retrouver sur Instagram (@violettevaisse).
Les Divans de Violette Vaïsse, éditions L’Agrume, 19,90euros.