Un an après son premier EP, Bientôt la nuit et des premiers morceaux dévoilés il y a quelques mois, Claude est de retour avec son premier album, IN EXTREMIS sorti début octobre. Le chanteur dévoile son véritable univers et nous en a longuement parlé. Rencontre.
La voix est plus haute, la techno plus acide, les textes plus intimes. Avec IN EXTREMIS, son premier album, Claude met de côté le personnage qu’il s’était inventé pour présenter un premier opus introspectif qui lui ressemble. Les morceaux instrumentaux de lâché prise succèdent à des textes mordants évoquant tour à tour ses angoisses de l’hypocondrie à l’aliénation en passant par le deuil et le stress de la première fois d’un garçon. Avec cet album riche et complexe musicalement, arrangé avec l’aide d’Alexis Delong (Zaho de Sagazan) le chanteur confirme la singularité de son projet et sa place indéniable dans la nouvelle scène francophone.
IN EXTREMIS est ton premier album. Tu avais sorti un premier EP, Bientôt la nuit, l’année dernière qui était plutôt fluide alors que ton album apparait comme plus complexe et riche. Composé de plusieurs paradoxes, il faut du temps pour l’appréhender, pour le comprendre, que ce soit musicalement ou dans les textes. Il y a cette idée de la rigueur des mathématiques et en même temps il y a quelque chose de plus chaotique. Comment l’as-tu pensé ?
D’abord, j’avais la volonté de ne pas faire deux fois le même morceau. À chaque fois, il y avait la contrainte d’échapper aux astuces et aux stratégies déjà utilisées pour un autre morceau. Il fallait trouver autre chose. C’était un peu comme une page blanche en termes de composition et de production, ne serait-ce que parce que je n’étais plus tout seul, à la différence de l’EP. Pour cet album, il y a plusieurs intentions musicales qui se confrontent entre celles d’Alexis Delong, réalisateur sur l’album, et la mienne. Il y avait tellement de manières d’expliquer chaque chose, d’illustrer chaque texte…
Et puis, il y a des trucs qui nous faisaient simplement kiffer comme faire une intro complètement instrumentale ou faire un morceau de pétage de câble acide, juste après un morceau qui parle de maladie… Les morceaux instrumentaux, on trouvait ça intéressant parce que les textes sont relativement riches et ça permet d’avoir des pauses, des moments où je parle d’un sujet uniquement avec de la musique et où j’évite la surcharge de vocabulaire.
Et La Nausée arrive après La Pression…
Oui c’est ça. C’est la conséquence naturelle du morceau précédent en quelque sorte. La pression, tu paniques, tu stresses et tu exploses.
Tu as peur de la conformité et de l’ennui ?
Complètement ! Pour moi et pour les autres, je ne veux pas faire deux fois la même chose. Je sens qu’il y a un truc qui déconne si jamais je ne propose rien de nouveau. Et même en termes de texte, c’est plus par rapport aux autres. Je ne veux pas faire de la reproduction ni de l’imitation. Je me souviens quand j’ai fait écouter la première maquette à mon label, ils me disaient « Ah mais ça serait bien qu’il y ait un morceau qui parle d’amour un peu adolescent ». J’ai essayé et ça a donné « Signes vitaux »…
À la base, c’était un morceau qui parlait d’amour sans trop de substance et je n’y arrivais pas. C’était tiède et inintéressant. Et pour Alexis, le morceau n’apportait rien de nouveau, les gens allaient s’identifier à 2 %. J’ai tout dégagé et j’ai réécrit un morceau qui parle d’un sujet qui m’est effectivement plus personnel.
Tu étais prêt à te conformer à ce qu’on attendait de toi à ce moment-là ?
Je n’étais pas prêt mais c’est un exercice comme un autre. Je voulais essayer. Parfois ça peut être intéressant de parler de sujets plus tièdes mais il faut les écrire d’une certaine manière et là je n’avais pas l’inspiration ni les expériences personnelles.
Mais est-ce que créer, en l’occurence faire de la musique ce n’est pas justement chercher à ne pas s’ennuyer ?
Je ne sais pas. Au moment où j’ai décidé que c’était mon occupation principale, c’était super parce que je ne me suis pas posé de questions. C’est devenu mon unique objectif et passe-temps en même temps que ma passion et que mon travail. Ça enlève toutes les autres questions puisque si tu t’ennuies tu dois faire ça. Il n’y a plus d’incertitudes sur ce que tu dois faire de tes journées, c’est quand même assez agréable. Après il y a une part d’ennui, 95 % du temps tu n’y arrives pas et c’est chiant, que ce soit en production, en composition, en écriture, la majorité du temps ce n’est pas intéressant et c’est plus une douleur. C’est-à-dire que même si c’est nul, tu dois écrire et j’aime bien ce côté un peu scolaire aussi qui n’est pas ennuyeux mais plutôt ce sont simplement des moments sans euphorie.
Tes chansons sont des confessions assez intimes et sombres où tu évoques le deuil, l’aliénation, tes angoisses… Est-ce que finalement, cet album n’est pas une sorte de psychanalyse ou de catharsis ?
Catharsis, oui. Psychanalyse, je ne sais pas, parce que je ne pense pas que je cherche à comprendre les sources. C’est juste de la description assez simple de ce rapport à toutes ces choses-là. Effectivement, je trouve ça marrant sur un premier album qui est une présentation de l’artiste de se présenter par ces sujets dont je ne parle pas à mes proches. C’est marrant de les balancer dans une chanson, c’est un exercice particulier en même temps car ce sont des sujets sur lesquels j’ai réfléchi dans la vie, que j’ai analysé dans tous les sens donc le texte vient relativement rapidement pour parler de ces expériences plus intimes et personnelles.
Donc, l’écriture de chansons permet de se confier ?
Oui ! Elles permettent de se confier et de faire cette catharsis, c’est-à-dire évacuer en trouvant une manière de le dire qui soit belle et ça en devient un truc intéressant et pas juste une douleur ou une souffrance qui traîne dans ta tête en permanence. Ça peut devenir joli et même rassembleur si d’autres personnes ressentent la même chose.
D’ailleurs ces pensées tu les balances de manière brute, comment tu écris tes chansons ?
J’écris un peu tout le temps. Je prends des notes en permanence. Tous les soirs, j’ai une alarme qui me dit « écrire ». Du coup avant de me coucher entre minuit et 1h je vais juste écrire tout ce qui me passe par la tête. Dans la journée, je note souvent des mots quand je vois un truc. Je vais noter une phrase descriptive et typiquement le soir ou dans les transports je vais tirer dessus et essayer d’écrire des phrases sans trop réfléchir selon ce que ça m’inspire. Par exemple, j’ai regardé une multiprise, j’écris dans mon téléphone « multiprise » dans la journée, et le soir je vais écrire dessus en réfléchissant à ce que j’ai pensé à ce moment-là…
C’est assez mécanique, je ne pose pas pendant trop longtemps à réfléchir à une phrase, enfin même pas du tout d’ailleurs. Et ensuite quand je fais de la musique, souvent on produit, on compose avec Alexis et je vais avoir des mélodies de voix. Ensuite, je vais aller relire toutes mes notes, les faire défiler, et puis à un moment s’il y a un mot qui attrape mon regard, j’imagine que c’est parce que ça m’évoque quelque chose par rapport à la mélodie et je vais essayer de retrouver les phrases que j’ai écrites dans mon téléphone là-dessus et ensuite je compile, je réécris pour que ça feat bien avec les mélodies.
La musique va découler de ces listes de mots ?
C’est un va-et-vient, une fois que la mélodie colle avec un sujet, il faut que je réadapte les phrases pour qu’elles marchent avec la mélodie.
Vous vous êtes rencontrés comment avec Alexis Delong ?
Il est venu à un concert en janvier 2023, je crois, et il m’a envoyé un message pour me dire qu’il trouvait que c’était intéressant et qu’il pensait que l’on pourrait travailler ensemble. Il voulait explorer et on a fait quelques sessions studio où ce fut évident. On avait les mêmes références, les mêmes manières de travailler, c’était toujours relativement exigeant.
Typiquement, souvent je composais des boucles de synthé très simples avec juste quelques grilles d’accords. J’écrivais mes textes dessus puis mes mélodies de voix. J’allais voir Alexis avec ce que j’avais et la majorité du temps, ma composition, c’est-à-dire mes accords, dégageait. Il me disait que, mes textes étaient assez intimes et corrosifs alors que mes accords étaient premier degré et malgré tout ce sont des émotions complexes donc il fallait des accords qui reflètent ça. On prenait des morceaux premier degré et on en faisait ensemble quelque chose de plus riche, de plus mature…
Franchement, c’était impressionnant, il prenait ma mélodie de voix, il enlevait mes accords, il se mettait au clavier, il fermait les yeux et il essayait de voir ce que ça lui inspirait lui comme accords. On explorait tellement de trucs, on pouvait faire une balade le matin et l’après-midi on faisait un morceau très énervé qui servirait probablement à rien mais juste c’était cool de le faire. Il y avait aussi la rapidité de production, c’était comme un jeu de question-réponse en permanence car on se comprend juste extrêmement bien musicalement.
Il y a quelque chose qui a fondamentalement changé entre ton EP et ton album, c’est ta voix qui est beaucoup plus haute. Comment tu as travaillé ta voix et quel rapport entretiens-tu avec elle ?
Pour mon premier EP, j’étais tout seul et je ne savais pas ce que je voulais faire. Musicalement, je ne savais pas ce que je voulais dire. J’étais un peu paumé. Je cherchais un personnage. Et un jour Alexis me dit : « tes textes sont ultra personnels, pourquoi t’essayais de chanter comme si tu étais personnage, alors que tu as déjà ta voix de base, tu peux chanter naturellement, sans en faire une pièce de théâtre, ce n’est pas nécessaire ».
J’ai donc arrêté et j’ai commencé à chanter normalement et ça permet beaucoup plus de choses effectivement dans les rares moments où il faut être un peu plus maniéré. Il y a des morceaux où je chante extrêmement doucement, des morceaux où je chante un peu plus poussé, des morceaux où je chante très haut… Par exemple, pour « Baisodrome », l’inspiration de ce morceau c’était Mylène Farmer. Il fallait le chanter de manière un peu fluette et ça permet de faire beaucoup plus de choses.
Justement, « Baisodrome » est un morceau intéressant parce que c’est un sujet qui n’a jamais été abordé de cette manière dans une chanson, la première fois d’un garçon qui cherche comment ça fonctionne et qui demande le consentement. C’est très proche des chansons de Yoa, qui elle aussi va aborder des choses très intimes qui vont de ses angoisses à la sexualité féminine… Comment est né ce morceau ?
Quand j’écrivais les premiers textes de l’album, que je posais les premières bases, je me faisais un exercice tous les jours où je devais écrire deux ou trois textes. J’avais fait une liste de sujets dans mon téléphone et j’avais écrit des petits bouts de morceaux autour de thématiques que j’aimerais aborder dans l’album. « Baisodrome » s’appelait « Garçon » à la base, parce que c’est le premier mot du morceau et je savais que je voulais parler de ça. Il y a un truc qui m’emmerdait, c’est que la sexualité était toujours ou très régulièrement abordée dans les morceaux sous l’angle du plaisir incroyable, d’une sexualité ultra libérée…
Mais dans les faits, la sexualité c’est aussi un apprentissage, qui est long malgré le fait qu’on en parle tôt pendant la récréation, au collège, au lycée… Et c’est un sujet qui est stressant pour tout le monde mais ce stress-là n’est quasiment jamais abordé, en-tout-cas pas dans la musique. Et c’est quand même con parce que c’est une bonne grosse partie du sujet. J’ai simplement écrit mon expérience personnelle là-dessus, le stress que j’ai ressenti et je me disais tu fais un album où tu te confesses sur plein de sujets, ça c’est quand même la chose la plus intime du plus intime, raconte-le en faisant un truc qui soit ouvert et fédérateur. Le morceau était tellement personnel que je l’ai écrit très rapidement.
Finalement cet album c’est un peu un miroir où tu te regarderais toi puis que tu tournerais vers les autres ?
Oui c’est une expérience qui est assez égoïste à la base, même égocentrique. Mais finalement, c’est assez clair qu’on est relativement tous assez similaires les uns les autres, c’est-à-dire tous très individuels et en même temps pas du tout. Donc obligatoirement en parlant de moi, je parle des autres. Si je parle d’un truc très personnel, il faut que les gens puissent le calquer sur une situation à eux. Mais parfois je vais un peu trop loin et là je me dis pour le coup ça ne marchera pas, il faudrait écrire un livre à la place, ça ne sert à rien de le dire dans une chanson.
Et donc il faut parfois revenir à des phrases un peu plus généralisantes. Dans « Signes vitaux » qui est une chanson qui parle du fait d’être hypocondriaque, il y avait des phrases de mon expérience qui étaient très énervées, je suis revenu un peu en arrière dans quelque chose de plus général sur le sujet car le morceau en lui-même est déjà assez particulier.
À quel moment tu t’es autorisé à faire de la musique ?
Quand les gens de la musique m’ont dit qu’il y avait un truc. Ce qui ne veut pas dire que c’est une bonne chose. L’industrie de la musique peut mettre régulièrement en avant des choses qui ne sont pas plus intelligentes que les autres en termes de musique. Mais j’étais relativement naïf et je me suis dit que ça devait vouloir dire que je peux faire de la musique. J’attendais un peu qu’on me donne une porte de sortie pour voir ce que je faisais donc j’ai dit allez let’s go.
Finalement, je pense que c’est moins le talent que la résilience. Je suis un gros bosseur et je n’aime pas ne pas réussir les trucs que je fais. J’ai continué à fond et plus je m’entourais plus j’étais un peu plus serein par rapport aux choix que je faisais et de voir qu’il y avait tous ces gens qui me filaient de l’argent et qui payaient ce que je faisais donc ça voudrait dire que je peux le faire sereinement sans trop me poser la question.
Tu avais un autre projet avant Claude, non ?
Oui, j’avais un autre projet qui était moi qui testait pour la première fois l’écriture la composition. Et en réalité, Claude pour moi, ça commence avec cet album parce que c’est là où je suis plus à l’aise avec ce que je fais musicalement. J’ai fait un premier EP mais j’ai un peu l’impression que c’est maintenant que je me présente musicalement aux gens.
Tu portes quel regard sur cet EP ?
Je le déteste. Musicalement, j’étais paumé, je ne savais pas ce que je voulais faire, je ne savais pas ce que je voulais dire, je ne savais pas comment je voulais chanter, et je pense que c’était une addition d’incertitudes.
Parce qu’il ne te ressemble pas ou parce qu’il ressemble à une version de toi du passé ?
Ça ne me ressemble pas. C’était comme un exercice donc c’était extérieur à moi. Je n’en suis pas très fier mais ça m’a ouvert des portes. Si Alexis a fait cet album avec moi, c’est parce qu’il est tombé dessus avant et qu’il trouvait ça intéressant même s’il y avait du travail. Je le vis vraiment comme une étape vers autre chose mais pas comme un truc important dans ma carrière musicale.
Est-ce que c‘est important de faire danser ton public ? Il y a une bonne part de musique techno dans cet album…
C’est assez marrant comme dualité parce que personnellement toute la musique dansante, techno, house, électronique, break, etc. je ne l’ai jamais vécu en soirée mais tout seul au casque, chez moi ou dans la rue mais jamais comme une expérience dansante. Donc je ne sais pas si c’est important de faire danser les gens mais c’est important de trouver par un style de musique une manière d’évacuer quelque chose, une catharsis… Et parfois, la musique dansante, c’est ça aussi.
Mais là effectivement, avec la préparation des concerts, du live, il y a quand même une bonne partie qui est consacrée à ça, au pétage de câble et probablement à la danse. J’ai un peu hâte de voir, d’expérimenter ça, parce qu’effectivement moi j’ai vu très peu de concerts dans ma vie, je n’allais jamais en soirée, je ne suis jamais allé en boîte… L’expérience dansante de ces morceaux je l’ai découvert sur YouTube, sur Soundcloud, sur Bandcamp et je kiffais mais j’étais assis quoi. Et pourtant j’adorais ça mais c’était plus de la découverte.
Il y a une marge d’improvisation justement dans ce live ?
Il y a une marge d’improvisation et puis j’aime bien parler avec les gens parce que ça enlève le stress et ça permet de désamorcer les tensions. Après, sinon la musique est extrêmement bien préparée. Mais ce sont des musiciens qui jouent des instruments donc automatiquement chacun fait un peu ce qu’il veut avec ses intentions. La part d’improvisation reste minime car la musique électronique est automatiquement quadrillée.