Présentée en ce moment au théâtre de Belleville, L’Ouvrir, pièce sensible et fort bien écrite sur le coming in tardif d’une jeune femme, met en mot les sensations de toute une génération de femmes lesbiennes. Rencontre avec son auteur•rice, Morgan•e Janoir.
Il préfère désormais qu’on le genre au masculin, mais cette pièce autobiographique sur le coming in lesbien d’une jeune fille rangée est bel et bien autobiographique. Dans L’Ouvrir, présenté ces jours-ci au théâtre de Belleville, cette femme s’appelle Alex et est merveilleusement interprétée par Pauline Legoëdec. Comme beaucoup d’autres de sa génération, Alex a scrupuleusement respecté toutes les règles : la voici donc qui arrive à Paris, avec un diplôme en poche, un petit ami, et un poste en CDI. Le monde lui ouvre les bras, mais quelque chose coince… Morgan•e Janoir, l’auteur•rice, nous raconte la genèse de ce très beau texte inspiré de son propre parcours.
D’où est venue l’inspiration de cette pièce au titre assez mystérieux, L’Ouvrir ?
C’est venu d’une frustration de spectateur : je voyais de plus en plus de spectacles sur la vie queer, mais beaucoup moins sur les vies lesbiennes. Et quand ils existaient, ils n’étaient pas toujours écrits par des personnes concernées. Je me dis dit qu’il fallait parler de ça… Aborder les vécus lesbiens par le prisme de la communauté, et pas forcément de l’histoire d’amour. La pièce est inspirée de ma vie et de ma propre sortie de l’hétérosexualité il y a quelques années.
Votre personnage, une jeune femme hétérosexuelle et sans histoire, se découvre soudain l’envie de faire partie du groupe des filles qui aiment les filles, dans le bar de l’autre côté de la rue. Pourquoi avoir choisi de raconter un coming in ?
Le coming out, ça n’est pas très original. En discutant avec le théâtre de Belleville, j’ai réalisé qu’en revanche, on avait eu moins l’occasion de voir des pièces sur le coming in, ce cheminement intime vers l’homosexualité. Le plus souvent, les filles basculent par le biais d’une histoire d’amour et font un coming out, plus ou moins compliqué, auprès de leurs proches. Ce modèle me paraissait un peu daté : personnellement, je n’en ai même pas fait. Mon entourage a fini par comprendre et ça s’est fait naturellement.
Est-ce important, de représenter ce coming in, qui est loin d’être une évidence « innée » pour toutes les femmes ?
C’est d’autant plus important que les femmes vont davantage subir l’injonction à l’hétérosexualité. Il y a quelques chose dans l’éducation que l’on reçoit qui nous pousse à mettre de côté nos désirs pour les femmes — qui, parfois, remonte à très loin —, pour accepter des histoires d’amour peu épanouissantes. Ce sont des parcours importants à montrer. Il faut dire aux femmes que mêmes si elles ont eu des histoires d’amour avec des hommes, comme moi, ça ne veut pas dire qu’à la fin elles ne sont pas lesbiennes. Le message de la pièce, c’est de dire « c’est possible ». D’où son titre, L’Ouvrir. Il s’agit d’ouvrir la porte, des possibles.
Vous insistez beaucoup, dans ce très beau texte, sur le fait que votre personnage est une jeune fille ordinaire, qui a voulu cocher toutes les cases : celle du petit copain, de l’appartement, du premier CDI… Est-ce lié ?
Mon point de départ, c’est mon vécu, avec mon caractère et mon syndrôme du bon élève. Je voulais montrer qu’à cette période de ma vie, suivre le chemin de l’hétérosexualité était un autre moyen d’être une bonne élève. Donc, le fait de quitter mon CDI pour devenir une artiste, c’était quitter ce statut d’éternelle bonne élève. Il y a là le même vertige que lorsque l’on devient lesbienne… Je dirais même que c’est plus flippant de devenir artiste !
Transgresse-t-on toujours la norme, en aimant les femmes ? Pourquoi ?
Je le pense. Il y a encore pour moi dans le fait de devenir lesbienne l’idée d’une transgression. Celles que j’ai rencontré étaient très militantes et ont rapidement politisé leur lesbianisme, il ne s’agissait pas simplement d’avoir une histoire d’amour avec une autre femme. Ce changement de cap très intime vient avec une conscience politique et féministe, transgressive par nature.
C’était important de mettre l’accent sur cette idée de « communauté » queer ?
Absolument, parce que malgré tout, on se sent vite seul•e lorsque l’on est queer et que l’on n’a pas la possibilité d’être entouré•e de personnes qui nous rassemblent. Toutes nos expériences ne sont pas forcément comprises par d’autres, etc… D’autant que lorsque l’on rejoint une communauté, il se passe quelque chose en termes de reconnaissance. Mon personnage, Alex, fait partie d’un groupe (hétéro) mais ne s’y sent pas à sa place. Intégrer un nouveau groupe (lesbie), c’est son moyen de se sentir à sa place. Trouver sa place dans le monde. C’est une expérience géniale, quand on a le luxe de se poser ce genre de questions.
Manque-t-on encore de ce genre de récits ? En avez-vous vous-même manqué ?
Ça va beaucoup mieux ! Ma frustration se tourne plutôt vers le spectacle vivant, dans lequel je travaille et qui représente encore peu nos histoires. En littérature, j’ai été très satisfaite et touchée par les textes d‘Alison Bechdel, et Mirion Malle. Dans Adieu triste amour, Mirion Malle raconte d’ailleurs cette expérience, que je restitue également dans la pièce, de se couper les cheveux pour la première fois. J’étais en train d’écrire L’Ouvrir quand j’ai lu sa bande dessinée, et ça m’a fait du bien de sentir que nous avions eu le même cheminement, en même temps.
Était-ce important de montrer, à travers cette jeune fille qui se découvre, que devenir lesbienne est aussi et avant tout une joie immense ?
Oui. J’ai été très marqué par les récits queers qui finissent toujours de manière tragique. Évidemment, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas édulcorer la réalité et la dureté de nos quotidiens… Seulement, c’est aussi important de pouvoir dire que le simple fait de comprendre qui on est, de l’assumer puis de le vivre, est une expérience profondément joyeuse. Pour reprendre l’exemple précédent, c’est absolument génial de se dire : « Ok, j’ai toujours voulu avoir les cheveux courts et là, je vais pouvoir le faire ». C’est un bonheur que l’on ne soupçonne pas. Ce moment d’émancipation, il n’est pas assez raconté. Je voulais pouvoir le dire, et le redire : les gens ont parfois peur de vivre leur vérité sur plein de choses — dont l’orientation sexuelle —, mais s’assumer est source d’une joie immense. Il vaut toujours mieux se vivre pleinement et se battre, que se cacher et ne pas vivre.
Était-ce important de porter cette nuance-là au théâtre ?
Je l’ai fait surtout pour mes amies lesbiennes, qui ne sont pas mes amies du théâtre. J’en connais beaucoup qui, pour des raisons liées à la classe sociale — le théâtre est toujours très connoté socialement —, n’y vont jamais. Je voulais les y faire venir et leur montrer que c’était possible, d’avoir des pièces qui parlent de nous et de nos vécus. Même si l’objectif du théâtre est de s’adresser à tout le monde, il y a une part de moi qui l’a fait pour mes copines qui pensent que le théâtre ça n’est pas bien, alors que c’est génial du moment que l’on va voir les bonnes pièces.
L’Ouvrir, un spectacle de Morgan•e Janoir. Du 4 au 31 octobre au théâtre de Belleville. Durée : 55mn.