Ce petit ouvrage propose une histoire du concept de classe sociale et une cartographie contemporaine des classes en France. Clair et précis, le texte de Gérard Mauger passionnera les lecteurs de sociologie expérimentés comme les curieux et les profanes.
Il n’est pas rare d’entendre la notion de « mépris de classe » fuser dans les conversations. Ce peut être une angoisse, « j’espère que je ne fais pas de mépris de classe », ou une attaque : « ce que tu dis c’est du mépris de classe ». C’est vrai que c’est méchant d’être méchant, et méprisant de mépriser. Mais, s’il n’y a pas de doute sur la définition du mépris, celle de la classe est un peu plus compliquée à élucider. Comme avec chaque mot qu’on se met à employer à tort et à travers, « classe » connaît dans le langage courant une inflation de sens. En gros, ça ne veux plus rien dire.
Il est alors toujours bon de repasser par une bonne vieille définition. C’est le projet du livre Les classes sociales en France de Gérard Mauger. Directeur de recherche et chercheur en sociologie, l’auteur reprend le concept à sa base, marxiste, pour en retracer les évolutions, et voir ce que l’on peut en faire aujourd’hui. Un projet à la fois humble et vaste, publié dans la bien nommée collection « Repères » des éditions La Découverte.
Dans sa définition la plus simple, une classe est le résultat logique d’une opération de classement.
Gérard Mauger, Les classes sociales en France
Pas de classe sans classement
Mauger redéploie une histoire de la lutte des classes, dont le resurgissement sur les pages de ce livre, révèle la relative absence dans le débat médiatique actuel. Or, s’il y a opération de classement, c’est comme aux JO : il y a un gagnant et il y a un perdant. Le premier s’appelle la bourgeoisie, le second s’appelle les classes populaires ou le prolétariat.
Pourquoi ce constat, qui semble élémentaire, a-t-il disparu des discussions politiques ? Pour Mauger, la croissance de l’intérêt pour des enjeux plus individuels et « interclasses » explique en partie ce désinvestissement. Et pour cause, la seule lecture de classe offre une vision partielle de la réalité. Mais le chercheur exprime, en citant Milan Bouchet-Valat et Cyril Jayet, le cœur de son projet sociologique :
L’enjeux d’une sociologie des classes sociales est (…) de réduire la complexité de la réalité pour mieux la comprendre en dégageant ses principes structurants.
Gérard Mauger, Les classes sociales en France
La zone d’indétermination
Un autre facteur a participé à la perte de popularité de la lecture de classe. L’expansion de la « classe moyenne ». Une classe vaste, qui recouvre des réalités très variées, et dans laquelle une majorité de personnes se reconnaissent. Les bourgeois qui ne veulent pas être perçus comme tels se disent de la classe moyenne, et idem pour les prolétaires. La classe moyenne apparaît comme une zone d’indétermination où chacun peut se « cacher » de ses origines sociales.
Au concept de classe moyenne, Gérard Mauger préfère celui de « petite bourgeoisie ». Il remet ainsi le rapport social au milieu du village. Les classes sociales ne sont pas des groupes de personnes juxtaposées les unes à côté des autres. Elles se co-construisent. Les riches le sont parce qu’il y a des pauvres qui travaillent pour eux, et les pauvres doivent l’être pour qu’il puisse y avoir des riches.
Alors, la prochaine fois, bourgeois de tous horizons, cessez d’avoir peur de faire du « mépris de classe » ! Politiquement, votre mépris est bien plus intéressant que votre politesse.
Les classes sociales en France de Gérard Mauger, éditions La Découverte, 11 euros.