Dans Wesh Rimbaud, Arthur, jeune étudiant en lettres, se trouve fort dépourvu quand son accent le met à nu. Dans un environnement qui le contraint à adapter son phrasé, le jeune homme révèlera ses propres armes. Inspirée d’une expérience personnelle du réalisateur, cette fiction ne manque pas de panache.
Arthur habite dans une ville de banlieue où tout le monde le surnomme Rimbaud, car il a toujours été un élève brillant. Il vient d’ailleurs d’être admis en Hypokhâgne dans un prestigieux lycée, où il pensait s’intégrer sans difficulté. Mais au cours d’un examen oral, son accent va trahir ses origines sociales. Nous avons rencontré Dimitri Lucas et Victor Bonnel, réalisateur et acteur du film, lors du Festival Jean Carmet.
Pouvez-vous nous raconter comment est né Wesh Rimbaud ?
Dimitri : Le projet est né de mon envie de faire un film, quand tellement de gens vont expliquer que ce n’est pas possible. J’ai pioché — comme beaucoup — dans un truc un peu perso, une anecdote qui m’est arrivée plus jeune. J’étais en classe préparatoire littéraire et on m’a reproché ma façon de parler : “Le français, c’est ta langue maternelle ?”. Ce moment, je l’ai vécu sans trop comprendre ce qu’il signifiait. Et puis ça m’est resté.
Bien des années plus tard, quand m’est venue l’envie de faire un court-métrage, j’ai trouvé que c’était un point de départ intéressant. Comment aurais-je dû ou pu répondre au prof qui m’a fait cette remarque ? Quelle aurait été la bonne réponse à apporter ? C’est cette réflexion qui est à l’origine du film. C’était une manière d’incarner tout ça. Avec mes producteurs chez Topshot, on a développé l’histoire.
Une sorte de revanche sur le passé ?
Dimitri : Un peu. C’est aussi thérapeutique, cette manière de donner un dénouement joyeux à un moment qui restait amer en tête. Faire un film, c’est parfois créer une nouvelle réalité. Et ce qui est beau dans l’art, c’est qu’on se rend compte que nos expériences parlent à beaucoup de gens. À la manière de ceux qui écrivent des chansons.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Victor : On m’a présenté le projet et fait lire le scénario. J’ai directement eu envie de passer les essais. De rencontrer Dimitri. De découvrir quelle était la part d’intime dans l’histoire de Wesh Rimbaud. Mon personnage s’appelle Arthur, mais il est surnommé Rimbaud. Il a des appétences pour les lettres. Il vient d’un quartier de la banlieue parisienne, entouré de la bande d’amis avec laquelle il a grandi. Après le bac, il prend une voie qui n’est pas très suivie parmi ses amis : une prépa littéraire. C’est un jeune qui cherche sa place. Qui se rend compte qu’il y a une opposition entre là d’où il vient et là où il veut aller. Que ce soit auprès des siens ou auprès de cette classe préparatoire, il se sent différent.
Comment apprend-on à employer un phrasé que l’on ne porte pas au quotidien ? Est-ce que tu te retrouves plus dans le langage quotidien du personnage ou dans celui qu’il doit chercher à atteindre ?
Victor : Je me retrouve dans les deux, parce que je me rends compte que des manières de parler, on en a autant que des relations. J’ai des cercles d’amis qui viennent d’horizons tr èsdifférents. Je ne parle pas de la même manière, quand je suis avec mes potes ou bien dans un cadre professionnel.
Quand je suis arrivé sur scène au théâtre, on m’a aussi dit « Écoute. Tu ne pourras pas jouer en parlant comme ça. Ce n’est pas possible ». Dans ces moments, tu prends conscience de ta locution, on t’y renvoie. Pour travailler le rôle d’Arthur, la seule chose que je n’aie pas forcément voulue revoir ou préparer, c’est justement cet accent. J’ai vraiment essayé de garder ce phrasé quotidien spontané que je peux avoir avec mes potes.
La diction d’Arthur ne sera pas nécessairement considérée comme “différente” par tout le monde. Pour certain·e·s, ce sera seulement le professeur qui marquera le décalage.
Dimitri : Cet aspect-là m’intéresse précisément, car ça a été un grand questionnement : le scénario de Wesh Rimbaud repose sur cette différence dans la diction. Et le risque existe, qu’on passe à côté. On s’est demandé s’il fallait insister sur le phrasé. Mais bon, Arthur a été accepté en prépa. Il ne va pas arriver en s’exprimant complètement en décalage. Ça aurait été ridicule d’aller vers cet excès. Alors, on a joué sur la nuance, qui permet à l’auditoire d’entendre les choses à sa façon. Selon les sensibilités et les cultures de chacun·e.
Le dialogue avec la femme âgée est primordial, puisqu’il marque le tournant dans la confiance en lui du personnage principal. Qu’est-ce que cette femme représente ?
Dimitri : Ce personnage permet d’apporter une sorte de temporalité dans une évolution qui aurait pu paraître rapide. C’est un court métrage. Cette rencontre fait figure de déclic chez le personnage. Dans un premier temps, il ne supporte pas les remarques qu’on lui fait en prépa. Il ne se sent pas du même monde. Et puis il y a une bascule. Il décide de répondre aux remarques, avec ses propres armes. C’est un procédé, ce personnage qui hante une forme de réalité. On pourrait croire que c’est une petite fée qui apparaît comme ça, dans un plan symétrique. Pile au bon moment, pile les bons mots.
Comme un dialogue intérieur finalement…
Dimitri : Oui, il y a un truc un peu assumé, même dans la façon de filmer. Cette scène, par exemple, partait d’une interview d’Ariane Ascaride qui m’avait marquée. Ascaride racontait son vécu dans le milieu, en tant que marseillaise. Il se trouve que son cinéma et celui de Robert Guédiguian m’ont beaucoup construit.
Il y a une certaine fraternité de l’accent à trouver entre ce personnage de femme âgée — qui a fait le choix de gommer son accent — et ce jeune qui est plein de doutes. Dans la vie, on peut se conformer tranquillement. Paradoxalement, ça va donner envie à Arthur de ne pas trop s’adapter non plus.
C’est revigorant cette joute verbale. On n’a envie que d’une chose : que le personnage lui en bouche un coin ! Et vous ? Y a-t-il une personne qui vous a défié à vos débuts dans le cinéma ?
Victor : Hamza Meziani ! Je l’ai rencontré quand j’avais 17/18 ans. J’étais un peu perdu. Je commençais à tourner. J’avais un agent et je passais des castings. Mais j’étais rarement pris. Il m’a fait prendre confiance. C’est grâce à lui que je suis entré en école de théâtre. Que j’ai pris conscience qu’il y avait un métier derrière tout le travail et que j’avais envie d’en être, de me donner. C’était vraiment un nouveau monde, je ne connaissais pas grand-chose au théâtre. Il m’a encouragé à m’accrocher et à rester. Et ça m’a énormément appris.
Il y a beaucoup de choses que je m’étais interdites, notamment cette ouverture au chant et à la danse, ça m’a permis d’ouvrir le champ des possibles. De m’autoriser de nouvelles perspectives, à pousser des murs et à m’affirmer.
Dimitri : Pour ma part, j’ai la chance de vivre avec une femme merveilleuse qui fait du cinéma. Donc j’ai tenté le lobbying intense pour qu’elle me fasse une place dans le milieu. Je remercie donc chaleureusement Amélie Bonnin, avec qui j’ai commencé à co-écrire. Elle m’a aidé à me dire que finalement, ce n’est pas un fantasme le cinéma. On a écrit un court-métrage ensemble, qui a eu une belle vie. Et j’ai compris que je lui devais déjà beaucoup. Que si je voulais continuer à réaliser, il fallait que je m’en donne les moyens moi-même.
Si je suis parvenu à m’autoriser ce premier court-métrage solo, c’est parce qu’elle m’y a encouragé. Dans les milieux « artistiques » on a souvent quelqu’un qui nous file un coup de main au début. Et donc chaque fois qu’on vient à moi, j’essaie d’apporter les réponses que je peux. D’ouvrir les mêmes pistes de réflexions qui m’ont été ouvertes par d’autres auparavant. C’est important de se souvenir de ses débuts et de transmettre les choses.
Victor Bonnel sera au casting de la série d’Igor GottesmanYoung millionaire, de la série OCS La famille Rose d’Enzo Croisier et du film de Sophie Beaulieu La poupée. Dimitri Lucas a coécrit avec Amélie Bonnin le long métrage Partir un jour qui sortira en salles le 1ᵉʳ octobre 2025.