La Couleur du chlore est une réalisation aux inspirations plurielles. Tantôt angoissants et souvent oniriques, les images de Clément Dezelus transportent dans un Sud aux teintes rosées. À travers les personnages de Bilal et Ulysse, deux mondes se découvrent et s’apprivoisent. Rencontre avec l’équipe du film : le réalisateur, ses acteurs, Nemo Schiffman et Ryan Daoudi, et sa productrice Anaïs Bertrand.
Dans La couleur du chlore, Bilal vit de petits boulots que lui confie l’application Boy, mais rêve de musique. Engagé pour nettoyer une luxueuse villa, il tombe sous le charme du mystérieux Ulysse, le fils des propriétaires. Cette rencontre va lui ouvrir des horizons inattendus.
Quelle a été l’inspiration derrière l’histoire de La Couleur du Chlore ?
Clément : Tout a commencé avec le tableau de David Hockney, A bigger Splash. Une villa d’apparence californienne avec une grande piscine. C’est une œuvre très lisse, accidentée par la grande éclaboussure d’un plongeon dans la piscine. En voyant cette image, je me suis demandé qui plongeait, ce que ça racontait. Je me suis fait tout un film. Sauf que j’y ai pris goût, puisque j’ai adapté mes idées en une nouvelle. Puis j’ai voulu la décliner en un scénario. J’ai envoyé ça à la boîte de production Insolence. Quelques mois plus tard, ils m’ont répondu. On a travaillé ensemble. Pendant un an, on a écrit, développé des personnages, donné de l’ampleur à cette première histoire.
C’est très inhabituel d’être inspiré par une œuvre picturale et d’en tirer un scénario.
Clément : Oui ! C’est la première fois que ça m’arrive. Je me nourris énormément de l’art graphique. Que ce soit dans la peinture, dans la photo. Aussi la mode, les clips. Toutes ces choses infusent et créent un certain nombre de références dans les images.
Qu’est-ce qui a attiré votre attention de producteurs dans la première version de La couleur du chlore ?
Anaïs Bertrand : Clément nous a spontanément envoyé un texte qui ressemblait à une nouvelle. Sans dialogue. Quelque chose dans l’histoire qui nous plaisait. Ça flirtait déjà un peu avec la DA d’Insolence Productions. Il avait déjà une solide connaissance de l’image, une appétence à la création d’univers par l’iconographie. Chose à laquelle nous accordons une grande importance. À l’image, à sa fabrication, au processus de développement d’une idée. On s’est rencontré, on s’est tapé dans la main, puis on a commencé à faire évoluer le scénario ensemble.
À quoi ressemblait ce travail d’évolution ?
Anaïs Bertrand : À l’origine, le scénario tournait principalement autour de l’acceptation de l’homosexualité. Et puis petit à petit, on a pensé qu’il serait intéressant de ne pas en faire le noyau de la réalisation. On a basculé vers l’histoire de deux garçons issus de milieux différents. Le sujet du film, c’est finalement comment une rencontre peut provoquer le fait que l’un reste et l’autre parte. C’est ce genre de thématiques qu’on aime creuser avec les auteurs chez Insolence.
Ulysse et Bilal sont deux jeunes hommes aux quotidiens bien différents. Qui sont-ils ?
Nemo : Deux jeunes qui se rencontrent par hasard et qui n’auront de cesse de se recroiser. Mon personnage, Ulysse, est un adolescent coincé dans sa grande villa. On ne sait pas trop quelle est sa véritable identité, ni sa véritable réalité.
Ryan : Bilal, c’est un jeune d’une vingtaine d’années qui se débrouille. La plateforme “Boy” lui envoie des missions à remplir. Il se rend chez les gens et accomplit les tâches qui lui ont été attribuées : jardinage, nettoyage, entretien… Il est pianiste autodidacte, mais n’ose plus espérer en faire son métier. L’art, c’est cher, surtout pour lui, issu d’un milieu précaire. En rencontrant Ulysse, il se rend compte qu’un autre monde existe. Il découvre le mécénat, les opportunités que peuvent proposer certaines fondations. C’est une habile façon de dépeindre le fossé culturel et sociétal qui sépare les deux personnages.
La couleur prend une place centrale dans le film. Les teintes de bleu et de rose portent une atmosphère très douce, mais qui devient quasi-angoissante parfois. Les couleurs vont jusqu’à irradier des personnages. Est-ce qu’il y a une formule à déchiffrer dans ce choix de couleurs ?
Clément : Il y a toute une symbolique des couleurs, oui. Elles portent un message. Le rose est la couleur de l’uniforme de Bilal, mais aussi celle de sa classe sociale. Son quartier et son HLM sont roses. Il est comme emprisonné là-dedans. Lorsqu’il prend la décision finale, il porte tout à coup un polo différent. C’est la représentation de son émancipation en quelque sorte.
Le chlore, c’est une couleur invisible, celle du fantôme. Un peu comme les cheveux de Bilal, qui sont blancs. À force d’être dans le chlore, ils finiront d’ailleurs par infuser vers le vert. Le vert, c’est la couleur d’Ulysse, celle de l’espoir, en quelque sorte.
Est-ce que vous pouvez nous parler de la composition musicale ? Comment a-t’elle été appréhendée ?
Clément : Au début du montage, on travaillait encore avec des musiques de référence. Et puis, Antoine Duchêne — qui est doté d’un immense talent — a composé toutes les musiques originales du film. La seule mélodie qui précédait à la réalisation, c’est celle que Bilal joue au piano. Le thème principal du film.
Nemo, tu as une scène de danse très aérienne dans le film. Comment s’y prépare-t-on, sachant que la composition musicale n’a lieu qu’en post-production ?
Nemo : Le jour où j’ai rencontré Clément, j’ai dû improviser une scène dansée sur une mélodie. Je dansais, et j’ai vu dans ses yeux, dès la première fois que j’ai dansé, qu’on allait travailler ensemble. Je l’ai senti très fort. Et puis, sur le tournage, on a décidé de garder cette même mélodie. Ce n’est qu’après que la bande a été modifiée. Pour moi, lorsque je dansais, c’était toujours la même musique.
La rencontre avec Clément s’est faite autour de cette improvisation ?
Nemo : Je crois que c’est un comédien qui avait parlé de moi à Clément. Ils ont voulu me voir au casting. J’ai d’abord passé le scénario, qui m’avait touché. Et plus tard, c’est vraiment en rencontrant Clément que mon envie de le suivre a été décuplée. Je voulais donner naissance à sa vision que je trouvais déjà très précise.
Ryan : Pour ma part, ce sont les productrices d’Insolence, Anaïs Bertand et Émilie Dubois, qui m’avaient repéré dans Charbon. Lorsqu’elles ont cherché l’acteur pour interpréter Bilal, elles ont pensé à moi. J’ai passé le casting. C’est Clément qui a ensuite confirmé mon entrée dans l’équipe du film.
La couleur du chlore aborde l’individualité, la légitimité à se défaire de ses prédispositions. Comment est-ce qu’on joue cela ?
Ryan : Clément était très à l’écoute de nos retours. Il prenait le temps de revoir les scènes avec nous. D’écouter nos ressentis, nos suggestions. On avait notre mot à dire. Je pense que ça aide à se sentir à l’aise et à jouer en lâchant prise. Avec Nemo, on voulait être au plus près des personnages. Bilal est très calme et posé. Il n’a pas besoin de beaucoup de mots, ce qui le différencie complètement de moi ! (rires)
Nemo : Je dirai que c’est un mélange de propositions entre nous trois. Évidemment, Ryan et moi avons essayé d’être au plus proche d’Ulysse et de Bilal. Je crois que l’emploi des silences a été décisif aussi dans l’approche du jeu. Par exemple, dans la scène au réveil dans le lit, on ressent terriblement la lutte des classes. Ulysse en tant qu’homme très privilégié, ne conçoit pas du tout les problèmes que peut connaître Bilal. Je dirais que c’est à travers les silences que l’on remarque le déséquilibre entre les personnages. Les choses se disent par les regards, par les gestes.
Ryan : Ce qui m’a plus dans La couleur du chlore, c’est que l’enjeu soit la réussite. Que l’histoire d’amour ne soit que connexe et qu’elle se suffise à elle-même. Qu’elle n’ait pas à être justifiée. L’amour est là, mais il est présent comme de l’instantané.
La brève apparition d’Allanah Star représente-t-elle un fantôme de plus, dans ces plans oniriques ?
Clément : Allanah est une grande amie. J’avais à cœur de représenter la femme stéréotypée du sud de la France. Un peu extravagante, au physique avantageux. L’idée d’exploiter la physicalité incroyable d’Allanah était une évidence. Nous avons filmé à Cannes et dans ses environs. Bilal est originaire de la cité El Ranchito à la Boca, qui a la particularité d’être toute rose. La maison d’Ulysse est située dans les hauteurs, c’est la Villa Galaxie, dans le massif de l’Esterel.
Il y a une réelle poésie dans les images. Les couleurs et l’effacement cohabitent merveilleusement avec les silences.
Clément : C’est agréable d’entendre cela. Merci. Ce parti pris de s’axer sur les images, leur symbolique et avec des dialogues limités, c’est parfois risqué. En découvrant les autres films de la sélection du festival, j’ai mesuré leurs valeurs ajoutées sur le public. Que ce soit dans la comédie qui fait rire, dans le thriller, qui fait peur. Les gens sont engagés d’une certaine manière, ils réagissent, on les entend. Ils se permettent d’être extravagants dans leur manière de ressentir les émotions du film. Chez nous, c’est un peu moins engageant. Alors je me réjouis d’entendre que le message, même si visuel, se transmet tout de même dans La couleur du chlore.
En parlant du festival : c’est votre première venue à Moulins ?
Clément : Oui ! Et c’est une première sélection pour le film. Donc c’est formidable d’être ici. J’ai rencontré des comédiens que j’ai vus à l’écran et avec qui j’ai envie de travailler. J’ai rencontré Victoria Neto — la réalisatrice d’Embrasure, qui est géniale ! C’est touchant pour moi d’être sélectionné. Et puis c’est aussi la permission de rencontrer plein de passionnés.
Nemo : J’ai été ravi d’apprendre que le film était sélectionné à Moulins. J’ai pas mal de copains qui ont été sélectionnés avant moi et qui m’en ont dit tant de bien. Et puis, cette année est d’autant plus symbolique pour moi, car je suis venu avec ma meilleure amie Sonia Faïdi, qui est sélectionnée avec le court-métrage Un contre un.
Ryan : C’est inédit d’être ici. Mon grand-frère de cœur, Diong, est passé par Moulins il y a deux ans. Il a raflé le fameux doublé de Jean Carmet. Je suis très reconnaissant de marcher dans ses pas en étant sélectionné à mon tour. L’année dernière déjà, je faisais partie de deux courts-métrages (Perdre Léna et Charbon) sélectionnés.
Nemo, Ryan :comment a démarré votre aventure dans le cinéma ?
Nemo : J’ai un souvenir très exact des acteurs qui m’ont mis sur la voie : Fred Astaire et Gene Kelly. Ce sont les deux hommes qui m’ont donné envie de chanter, de danser et de jouer. Mes mentors. Ils sont avec moi tout du long. C’est à cause d’eux que je fais ce métier.
Ryan : Un jour, je sèche les cours. Je vais pour rentrer chez moi, en passant par l’Antenne de jeunesse à Nanterre, dans la cité Pablo Picasso. Nicolas Sene – qui est le directeur de l’antenne, mais également réalisateur – me dit de venir à un casting. Je le passe. Marie Cantet aime mes essais. Je fais le call back, puis je rencontre son père, Laurent Cantet. Il m’a offert un petit rôle dans son dernier film, Arthur Rambo. À la fête de fin de tournage, j’ai rencontré Diong Keba, qui m’a fait part de l’association 1000 Visages. Alors je remercie Dieu pour ces rencontres, puis Nicolas Sen, Marie et Laurent Cantet et bien évidemment Diong Keba.
Nemo sera à l’affiche de trois longs métrages en 2025 : Toutes pour une d’Houda Benyamina qui sort le 8 janvier 2025. Le Roi soleil de Vincent Maël Cardona. La petite dernière d’Hafsia Herzi.
Ryan sera sur les planches pour la pièce de théâtre La tête dans les nuages aux Amandiers le 8 et 9 février prochain. Il fera également partie du prochain long-métrage de Nicolas Sene.
Clément débute l’écriture de son premier long-métrage, qui portera sur « un sujet de société dont on ne parle pas assez. » Mystère !