Avec Un contre un, Hugo Fié souligne la force des mots, dans la douleur. Il met en scène une relation fraternelle aux failles certaines. La douceur et le deuil se cotoient, dans un court-métrage à l’image ravissante. Rencontre avec les acteurs du film, Sonia Faïdi, Anthony Goffi et Baptiste Perais.
Depuis le décès de leur mère, Jonathan et Adrien n’ont jamais évoqué cette brutale disparition. Avec leur père, ils tentent de faire leur deuil mais ce silence qui s’installe les ronge de l’intérieur. De son côté, Jonathan est certain que son avenir l’attend ailleurs.
Pour commencer, comment allez-vous ? Heureux de vos quelques jours au festival ?
Anthony Goffi : Très bien ! C’est très flatteur d’être selectionné à Jean Carmet ! C’est très agréable de participer à un rendez-vous qui met à l’honneur les comédienn.e.s de second rôle.
Baptiste Perais : Pour ma part, j’ai un ami qui avait été sélectionné ici il y a 3/4 ans, Igor Kovalsky. Il me disait déjà à l’époque que c’était un festival très familial, où les gens sont très sympas. Et du fait du petit commité, tu as vraiment la possibilité de rencontrer les gens. Je suis très honoré d’être ici pour Un contre un.
Sonia Faïdi : Tout est dit ! Moi je dirai que c’est à travers Diong Keba que j’ai entendu parler de Moulins. Évidemment, ça m’a donné envie d’en être.
Comment êtes-vous arrivés sur Un contre un ?
Anthony : Hugo était second assistant sur la série Promethée dans laquelle je jouais. C’était un tournage très convivial. On discutait beaucoup, notamment autour de la question du budget et de son impact sur une réalisation. Est-ce qu’il est possible de faire un bon film avec peu de moyens ? On en avait conclu qu’avec de bons comédiens et un bon scénario, c’était possible ! Quelques mois plus tard il m’a appelé pour me proposer de passer le casting d’Un contre un.
Baptiste : Un contre un a été développé entre autre pendant une résidence d’écriture organisée par Le Grec. Alain Petiteau – avec qui j’ai tourné il y a quelques années – était également présent à cette résidence. Quand Hugo cherchait un acteur pour le rôle d’Adrien, Alain lui a parlé de moi.
Sonia : À vrai dire, on ne sait pas tout à fait comment je me suis retrouvée sur le projet (rires) . On ne sait plus dans quel ordre ça s’est fait. Est-ce Hugo qui m’a vue jouer et qui en a parlé à Antho ? Ou bien l’inverse ? J’ai passé une audition d’abord seule avec une réplique. Puis avec Antho. On a fait pas mal de scènes, pas mal d’impro. Et puis j’ai reçu un appel d’Hugo.
Les trois en choeur : Et c’est ainsi que l’aventure commença !
Qui sont les deux frères Jo et Adrien ?
Baptiste : Jo est un jeune en recherche d’émancipation qui a récemment perdu sa mère. Passionné par la photographie. Il voue un amour secret à sa voisine. Il a tendance à se cacher derrière son appareil. C’est quelqu’un de très renfermé. Il aimerait pouvoir se confier à son frère aîné, qui est la personne la plus chère qu’il lui reste. Mais il se retrouve face à un frère mutique, taciturne. Qui ne parle pas des choses qui remuent les plaies. Jo, il est perdu dans cette tempête-là. Cette noirceur familiale. Sa seule option pour pouvoir vivre sa vie, c’est de s’émanciper de sa famille.
Sonia : Baptiste joue Adrien, le frère de Jo. C’est l’aîné de la famille. Les deux frères n’ont pas reçu la même éducation. Adrien a commencé à travailler tôt, il est vite devenu responsable de la famille. C’est un mec qui s’est construit sur ces rapports. Il a une bande de potes pour se charrier, mais dans laquelle il n’y a pas de place pour la vulnérabilité, les émotions.
Ce n’est pas un citadin, ce n’est pas un mec de campagne, il est un peu au milieu. On ne lui a pas forcément laissé de place pour qu’il puisse rêver ou se projeter ailleurs dans la vie. Il a juste des besoins pratiques et des ambitions à court terme. Quand leur mère meurt, il a énormément de regrets. En abandonnant sa mère par peur d’affronter cet événement terrible, il a également abandonné son frère.
Le personnage de Sarah est essentiel dans la construction de Jo.
Sonia : C’est une jeune fille provocatrice qui se donne un peu en spectacle. Elle aime recevoir de l’attention. Lorsque Jo lui en donne, d’une manière un peu bizarre, elle est intriguée. Alors elle va à sa rencontre. C’est une rencontre très douce. Sarah a d’emblée des désirs de partir, de l’ambition. Elle a l’espace de rêver. Pour Jo, graviter autour de Sarah, c’est un peu l’éveil d’une possibilité d’une vie ailleurs. Son désir de partir, elle le légitimise.
Baptiste : Oui, c’est Sarah qui va inciter Jo à prendre son envol. Lui faire comprendre qu’il doit vivre pour lui-même. Arrêter de vouloir forcément s’accrocher à sa famille. Qui lui devient d’ailleurs peu à peu étrangère, depuis la perte de leur mère, du pilier familial.
Il y a un long plan dans un espace étriqué entre Jo et Adrien. Comment prépare-t-on une telle scène ? Il faut une grande confiance en son partenaire de jeu.
Anthony : L’enjeu de cette scène était particulier. Parce que c’est LE moment où les deux frères parlent enfin. En tant que comédien, on se met une petite pression : c’est un moment clé de la narration. Donc c’est toujours particulier à aborder. On n’a pas envie de rater ce genre de scène. Ce qui nous a pas mal porté avec Baptiste, c’est notre relation, je pense. Comme tu l’as dit, dans une scène comme ça il faut faire 100 % confiance à l’autre. Parce qu’on existe que dans ses yeux.
Baptiste : Il y a tout un langage qui passe par le regard dans ces moments. En règle générale, on répète beaucoup pour préparer un film. Pas tellement pour cette scène-ci. On voulait conserver une sorte de fraîcheur et de vérité dans le jeu. Éviter de figer la scène en s’habituant à certains mouvements, certaines mimiques. On a fait les choses à fond, que ce soit pour le crachat ou pour les coups qu’on se donne. On voulait que ça transpire, que la séquence prenne vie de la meilleure des manières.
L’énergie que ton partenaire de jeu t’envoie, ça te galvanise. C’est une forme de ping-pong. Il y a une porte sur laquelle on frappait. On a fini par bloquer la porte pendant trois quarts d’heure. On s’est retrouvé enfermés dans la chambre, sans savoir quand on allait pouvoir en sortir.
Sarah représente un aspect clairvoyant de la jeunesse. C’est peu commun de trouver des personnages jeunes aussi forts.
Sonia : C’est génial de jouer une jeunesse heureuse. Pour être très honnête, au début je trouvais Sarah marrante. Je la trouvais cool. Les scènes que j’ai faites en casting, c’étaient des scènes de pure drague, limite un peu relou. On faisait se confronter ces deux opposés que sont Sarah et Jo. Cette jeune fille a une liberté trop sympa. C’est réellement agréable à observer en tant qu’acteur.
Baptiste : Tu minaudes pas mal je trouve.
Sonia : Quand il y a du monde autour, complètement ! Au lycée, la référence qu’on avait au départ, c’était quand même Fish Tank. Que ce soit de l’ordre du cas social presque.
En tant que spectateur, on sent pourtant une profondeur dans ce personnage. Elle a une répartie mémorable, un grand recul sur les choses et une touche d’humour plaisante.
Sonia : C’est une personne sensible. Mais ces aspects d’elle-même, elle ne les dévoile que dans le cadre privé. Quand elle est seule avec Jo.
Il y a une un bel emploi du silence dans Un contre un…
Baptiste : C’était une impulsion d’Hugo. Il nous a signifié l’importance de laisser le silence prendre sa place. C’est une manière de personnifier l’absence de la mère aussi, dans cette famille. Chaque phrase a son utilité. Jo cherche des réponses à son état. Tandis que son frère semble avoir banni toute possibilité d’expliquer ses maux. Parce que la perte lui fait trop mal et parce qu’il ne s’octroie par le temps d’y réfléchir. Il fuit.
Sonia : Hugo a très bien su nous diriger, pour laisser le silence parler. Dans la scène où Sarah prend l’appareil photo des mains de Jo, par exemple. Je me souviens que le rythme nous a complètement déboussolés. Antho et moi, on laissait des planètes de silences, là où tout devait se comprendre avec les yeux. On a tellement décortiqué le truc, que ça n’avait plus de sens. Nos silences finissaient par être stratosphériques. Hugo a fini par devoir nous ordonner de jouer carrément (rires). On a passé tellement de temps à trouver le rythme de cette scène.
Baptiste : Le silence permet aussi de signifier l’amour que se portent Jo et Adrien, et même Jo et Sarah. Parce qu’il n’y a jamais de preuves d’amour verbales. Ça se passe surtout dans le regard. Dans le silence.
Un contre un est une véritable ode à la province. Le lit du fleuve, la sortie du lycée, le hangar. Tout est beau, d’une grande douceur. Cette lumière contraste beaucoup avec le sujet du film...
Sonia : On remercie le chef opérateur Hugo Paturel pour son travail. C’est lui qui est à l’origine de l’image. On a découvert le film hier pour la première fois sur grand écran et on a fait le même constat.
Anthony : On a tourné à Épernay en Champagne, et à Reims. La ville d’Épernay permet des plans fixes, très divers et pertinents. Comme celui où mon personnage marche vers la gare juste après avoir rencontré Sarah. À ce moment-même, le train passe. C’était un hasard. Mais moi je m’imagine que c’est comme pour dire que le train est en marche depuis qu’il l’a rencontrée, elle.
Cette question de l’image est intéressante parce qu’elle nous fait revenir à un point que soulevait déjà Hugo sur la préparation du film. Le rapport à l’endroit d’où on vient. Il nous a fait lire des livres tel que Fief de David Lopez. Sur la difficulté de s’extraire d’un endroit, de l’amour de chez soi.
Sonia Faïdi : Leurs enfants après eux aussi de Nicolas Mathieu.
Anthony : Oui ! Épernay, c’est un mélange habile entre quartiers populaires à grandes tours et la ruralité. Ça me fait penser à cette phrase qui a été retirée finalement, mais qu’Hugo voulait que je dise. Une phrase inspirée de Fief…
Sonia : « Il n’y a pas assez de bitume pour qu’on soit des gars de la ville, mais pas assez de champs pour qu’on soit des gars de la campagne. »
Le générique est superbe, avec cette scène de la ville en arrière-plan. Il reprend d’ailleurs tout ce qu’on a évoqué : la ville, la campagne, le silence, le passage du train. Si vous pouviez remercier une personne sur votre chemin vers le cinéma, ce serait qui ?
Sonia : Mon prof d’improvisation au lycée. Guillaume Bonche. Il a vraiment changé ma vie puisqu’il m’a imposé une rigueur que je n’avais pas du tout. Plus tard, il y a eu une période où je cumulais les Cours Florent le soir, avec la fac et le boulot la journée. J’habitais en banlieue, à une heure et demie de tout, et je continuais d’être en contact avec Guillaume.
Un jour je lui ai annoncé que j’arrêtais les Cours Florent. On m’avait conseillé de passer le concours de La classe libre. Mais je répondais que ça ne servait à rien puisque je ne l’aurais jamais. Qu’ils ne voulaient pas de gens comme moi là-bas, que j’étais fatiguée de tout ça. Guillaume m’a engueulée. Il m’a dit « Si tu ne le passes pas, tu ne m’appelles plus ». Pour la faire courte, je l’ai passé et je l’ai eu. Et ça a changé ma vie entière. C’est un peu mon papa de théâtre, Guillaume Bonche.
Baptiste : Une année, alors que je ne voulais d’abord pas passer les concours, je me suis retrouvé contraint à les préparer seul. Si je voulais continuer le théâtre l’année d’après, il fallait me faire violence. J’avais besoins de travailler sur moi-même et de développer mon jeu. À cette période, on ne me proposait que des rôles de mauvais garçon, de tête dure. On m’avait parlé de la MC93, alors j’ai décidé de tenter ma chance. Je passe le premier tour, puis devant les intervenants.
Valentina Fago, l’intervenante principale, n’a pas voulu me prendre. Tous les autres intervenants ont insisté. Elle les a écouté. Aujourd’hui, je peux dire avec beaucoup d’humilité que sans la rencontre avec Valentina Fago, j’aurais certainement arrêté le cinéma. Elle m’a permis de me déconstruire et d’aller travailler au fond de moi. De trouver une sensibilité et une fragilité. De me rendre compte que je peux avoir accès à des textes qui sont très engagés, qui sont complexes. C’est un peu ma maman dans le théâtre. Elle m’a surtout soutenu dans une période de ma vie qui était très compliquée et elle ne m’a pas lâché.
Anthony : Dans mon cas, c’est plutôt l’éveil de la volonté de faire du théâtre, qui s’est fait d’une drôle de manière. Je viens du Sud de la France. Il y a moins de théâtres dans les villes, c’est plutôt quelque chose de scolaire. Mon père m’avait inscrit à un stage aux Cours Florent à Paris. Je n’avais aucune culture du jeu, rien du tout. Plutôt un désir de faire du théâtre. Il s’avère que peu de temps après, Francis Huster passait dans ma ville natale, dans une librairie. J’étais tout gêné, mais mon père ma ‘encouragé à aller le voir et à faire signer son livre. Francis semblait heureux de voir quelqu’un de motivé.
Je lui ai parlé de mon stage à venir. Il m’a dit de lire On ne badine pas avec l’amour de Musset. À la librairie dans laquelle nous étions pour la signature, ils ne l’avaient pas. Francis m’a donné 10 euros et m’a envoyé dans la prochaine. J’y suis allé en courant et suis revenu tout glorieux, avec le bouquin. Monsieur Huster m’a entouré le monologue de fin de Perdican et m’a donné plein de petits conseils. Il a été très chaleureux. La dernière chose qu’il m’ait dite c’était « Vas-y, c’est pour toi ». Et c’est une phrase qui me porte encore, qui me revient de temps à autres.
Sonia sera à l’affiche l’année prochaine deTête brûlée de Maja Ajmia Yde Zellama et de Les Orphelins d’Olivier Schneider. Anthony & Baptiste sont à retrouver dans La série Nos vies en l’air sortie le 25 octobre, réalisée par Jonathan Cohen Berry et Anthony Georges.