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Élodie Font : « Nous, lesbiennes, on se construit avec un regard fétichisé sur notre sexualité »

Elodie Font
La journaliste Élodie Font © Léa Crespi

Après son podcast Coming-in, la journaliste Élodie Font choisit l’écrit pour explorer la sexualité des lesbiennes et tenter de raconter le désir des femmes qui aiment les femmes. 

Dans son essai À nos désirs, Élodie Font fait le récit de la sexualité lesbienne, loin des caricatures sous lesquelles elle est régulièrement présentée, grâce à des témoignages foisonnants. 1200 femmes de 14 à 87 ans se sont confiées à la journaliste en partageant leurs histoires d’amours et de sexe, leurs interrogations et leurs doutes.

Dans la préface de votre livre, vous évoquez le manque de représentation dont vous avez souffert plus jeune. Est-ce pour cela que vous avez écrit ce livre ? 

Disons que c’est un livre qui m’a manqué. Je me suis posée beaucoup de questions sur mon désir, sur le fait d’être lesbienne et ce livre là, je ne l’avais pas trouvé. J’avais vraiment envie de lire un livre de témoignages de ce que représente le désir entre deux femmes dans la vie des lesbiennes. 

Votre livre se construit autour de témoignages que vous avez notamment récoltés grâce à votre compte Instagram. Pourquoi impliquer vos followers dans ce projet ? 

Je suis journaliste de formation donc j’ai eu envie d’écrire un livre d’enquête autour du désir entre femmes. Au bout de quelques semaines de travail, je me suis rendu compte qu’il y avait très peu d’études menées sur la sexualité des lesbiennes. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve un moyen d’avoir une vue plus importante, plus globale de ce que représente le désir chez ces femmes. Quand on a 0 chiffres, on ne peut pas établir des conjonctures, se dire « tiens il y a un mot qui revient souvent ».

« Nous avos besoin d’autres récits autour des lesbiennes, des récits qui ne nous caricaturent pas, qui ne pervertissent pas nos manières d’être »

Élodie Font
Ces témoignages sont d’ailleurs parfois très intimes…

Une partie des femmes qui ont témoigné souffrent du manque de représentation. Il y a vraiment cette idée de solitude chez les femmes lesbiennes : la solitude dans l’émotion, dans les situations de vie…Témoigner, c’était un moyen pour elles de rompre cette solitude. 

C’est aussi pour rompre la solitude que vous avez ajouté votre témoignage aux leurs ? 

Disons que je ne me voyais pas les laisser se jeter à l’eau et moi les regarder au bord de la piscine. Ce qui m’intéressait c’était de rechercher un nous, quelque chose de collectif autour des lesbiennes. Même si on a un récit de vie différent, on peut avoir des points communs et on peut se sentir ensemble. Je voulais donc faire partie de ce nous et m’interroger moi aussi avec ces femmes. 

© éditions La Déferlante
Une des thématiques prégnantes dans votre livre est la sexualité des lesbiennes. Pourquoi ? 

L’imaginaire qui entoure la sexualité des lesbiennes est volé par la pornographie et donc il est volé par un imaginaire hétérosexuel. Nous, femmes lesbiennes, on se construit avec ce regard fétichisé sur nos sexualités et c’est un regard extrêmement pénible. D’un côté, il y a un regard sur nous très sale et de l’autre, il y a aussi l’idée qu’on ne fait pas vraiment l’amour entre femmes parce qu’il n’y pas d’hommes. 

Les lesbiennes elles-mêmes sont pétries de cet imaginaire et de cette sensation que leur sexualité n’est pas légitime. Pour certaines, elles mettent des années à comprendre qu’elles vivent une sexualité réelle. Il y beaucoup de zones d’ombres et on a besoin à cet endroit là de formuler les choses et de pouvoir créer un imaginaire commun qui nous appartient. 

« Témoigner, c’était un moyen pour les femmes lesbiennes qui se sont exprimées dans ce livre de rompre cette solitude. »

Élodie Font
Un autre sujet sur lequel vous vous attardez est la violence dans les couples de femmes. Vous dîtes que c’est un tabou…

La violences des femmes est un impensé de notre société donc à fortiori un impensé dans les couples des femmes. La grande différence dans les violences entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes, c’est que la violence est beaucoup plus psychologique, même si la violence physique existe. Et donc on sait que sortir d’une relation d’emprise est très difficile, d’autant plus quand on ne peut pas la nommer.

Dans votre livre, vous vous interrogez sur l’idée de « réinventer le couple », très populaire dans les récents écrits féministes.

Ce qui revient c’est qu’il y a une vraie envie chez les femmes d’une trentaine et d’une quarantaine d’années de faire famille, de porter un enfant ou d’en accueillir un. Et une fois qu’elles font famille, il y a de vrais questionnements, elles se demandent notamment « comment rester queer ? Comment queerer la famille ? ». Pour ces femmes, c’est une question assez fondamentale parce qu’en étant lesbiennes elles ont quitté la norme et la famille est justement le lieu de la norme.

Élodie Font est une journaliste française.
Dans la conclusion de votre livre vous reprenez les mots de Virginie Despentes « la seule résistance qui compte, c’est d’opposer à une narration hégémonique une contre-narration ». Que voulez-vous dire ?

Quand on voit la situation politique de notre pays, nous avons besoin d’autres récits autour des lesbiennes, à savoir des récits qui ne nous caricaturent pas, qui ne pervertissent pas nos manières d’être. Il y a beaucoup de fantasmes autour des lesbiennes et je trouve que, quelque part, c’est notre devoir, en tout cas j’ai l’impression que c’est le mien, de participer à l’élaboration d’une contre-narration. 

Il y a cette petite musique dans la société qui dit « on vous entend trop, on vous voit trop », ce qui est tout à fait faux. Pour autant le fantasme de la société c’est qu’on nous voit trop donc oui il faut qu’on réponde ! Quand les hétérosexuels parlent de leur famille, de leurs enfants, c’est quelque chose de commun. À l’inverse, quand on est lesbienne, tout de suite il ne faut pas en parler parce que ça appartiendrait à notre vie privée. Mais non, ça appartient à notre vie tout court !

À nos désirs d’Élodie Font, éditions la Déferlante. 19 euros.

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