LITTÉRATURE

« Si les forêts nous quittent » – Faire sédition

© Hélice hélas éditions

Un groupe de militants raconte le mystère qui entoure la disparition d’une des leurs, Ginkgo. Si les forêts nous quittent de Francesco Micieli est le récit choral d’un soulèvement interrompu et de la volatilisation inexpliquée d’une femme.  

« Nous sommes tous tombés amoureux d’elle. Pour elle, nous voulions sauver le monde. » Saïd, Selina, Anina, Marcel, Alfi, Bounine, Sara, Esther, Daria et Mati. Tous racontent leur admiration et leur engagement auprès de Ginkgo. Francesco Micieli est auteur et homme de théâtre. Pour donner corps à ce groupe, il convoque le souvenir de son engagement anti-nucléaire de jeunesse autant que de sa récente rencontre avec des jeunes réfugiés. Il choisit une forme polyphonique qui donne à sentir les valeurs de lutte, d’amour et d’horizontalité. À la croisée de l’écofiction, de la fable et de l’enquête policière, Si les forêts nous quittent galope de témoignages en témoignages pour dire l’agrégation possible des forces.

Figure fédératrice, Ginkgo provoque un élan de communion. Contre le désespoir ambiant, elle en appelle à se battre pour sortir d’une paralysie généralisée. Alors, ils graffent, libèrent les animaux, détruisent des ponts. Pourtant engagés dans leur lutte contre l’inaction politique et la destruction de la Nature, Ginkgo disparaît soudainement. Cette histoire de solidarité se raconte dans un après-coup. C’est comme si, écrite à l’encre invisible, elle se révélait progressivement sous l’effet du chagrin que chacun de ses membres, dispersés, nous confient.  

Il fallait se battre

« Nous avions noté beaucoup de phrases de nos lectures pour en faire cadeau. » Réseau de jaillissements poétiques, les récits des personnages résonnent avec les paroles de penseurs et de penseuses (Emily Dickinson, Virginia Woolf, Theodor W. Adorno, Walter Benjamin, Gregory Bateson) mais aussi avec des chansons dont des extraits ponctuent le texte (Arcade Fire, Andrea Laszlo de Simone, Pink Floyd). Ces liens discrets intertextuels sont pareil au mycélium, ce réseau sous-terrain qui interconnecte les espèces végétales entre elles.

Pour voir le monde, il faut pouvoir le nommer. « La politique, au contraire, soutient les mécanismes de défense qui nous empêchent de saisir la réalité. Elle soutient le déni. Elle soutient toute défense moyennant laquelle, tout en voyant la réalité, on la minimise. » Penser notre langage est nécessaire. Déceler ses pièges et ses puissances ; voilà ce qui transparaît de la fiction de Francesco Micieli. 

Alors, ces jeunes gens écrivent le Manifeste du Watter, nom du bar qui les accueille, et qui désigne aussi leur cercle. Sous l’arbre de ce bar d’une ville suisse, ils se regroupent, se parlent, sous-pèsent leur vocabulaire, font germer des phrases. Ils interrogent les mots. Ils récusent, par exemple, le qualificatif de romantisme naïf qui paraît amenuir les causes de leur mobilisation ; ou nomme, Ginkgo, du nom de cet arbre car celle-ci n’a jamais révélé son prénom.

Récit d’une double disparition – celle d’une femme et celle de la Nature –, Si les forêts nous quittent est aussi l’histoire d’un soulèvement collectif qui, refusant l’idéalisation, ausculte aussi bien ses élans, ses fragilités, sa puissance de cohésion que son essoufflement. 

Si les forêts nous quittent de Francesco Micieli, trad. Christian Viredaz, Hélice Hélas éditions, 96p., 14euros.

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