Nourris de diverses influences, Godzi livre avec son premier album Légion Du Noun un disque intimiste et éclectique. Rencontre avec un artiste à la proposition singulière et à la passion dévorante.
Après trois EP – Padre Pio, FATALITAS et FATALITAS (Remixes) -, Godzi enrichit sa discographie d’un premier album. Opus musicalement riche, Légion Du Noun développe une histoire à la noirceur abyssale oscillant entre plusieurs styles. L’occasion pour Maze d’en apprendre un peu plus sur l’univers créatif de l’artiste.
Un premier album dans la carrière d’un artiste est toujours une étape importante. Comment est-ce que tu l’abordes ?
Ça fait un moment que je travaille dessus, ça doit faire à peu près quatre ans depuis le début de la composition. C’est quelque chose qui a pas mal traversé ma vie. J’avais déjà commencé à travailler dessus quand j’ai sorti mon EP FATALITAS. Il y a un côté un peu premier accomplissement d’adolescent de faire un album. Et puis je suis assez content du résultat. Donc je l’aborde plutôt bien même s’il y a l’appréhension de savoir comment il va être reçu.
Tu as des attentes particulières par rapport à cet album ?
Je pense qu’il y a plusieurs niveaux d’attentes. Il y a un niveau d’attente un peu de l’ordre du rêve adolescent où j’ai l’impression que ça va être une révélation mystique pour plein de gens. Je pense que ça relève un peu du fantasme. Objectivement l’attente que j’ai, c’est que ça me fasse passer un niveau. Que les gens puissent voir la multiplicité du projet et mieux comprendre ce qui était abordé dans les EP. Chose qui est parfois difficile quand ce n’est pas sur un long format.
Est-ce que pour cet album tu as eu la sensation d’avoir fait quelque chose de différent de tes EP ? Dans la démarche ou le processus créatif ?
Je me suis imposé d’avoir une épine dorsale pour diriger le projet. Parce que ma musique traverse divers styles en essayant de les rendre personnels. Je voulais que le fait de traverser ces styles ait un sens et que ça ne soit pas juste une compilation. J’ai poussé le côté fil rouge au niveau des thèmes de l’album et ça reste un accomplissement des EP précédents.
En 2024, dans une ère où streaming et playlists sont rois, comment est-ce que l’on réfléchit un format album en tant qu’artiste ?
Ce que j’ai envie de me permettre c’est de ne pas forcément y réfléchir. Je ne pense pas avoir l’intelligence stratégique pour me dire que tel morceau peut aller dans telle playlist. J’essaye de faire des morceaux différents que j’ai envie d’écouter en boucle de manière obsessionnelle. Je suis influencé par mon époque, donc il y a des morceaux un peu plus grand public. Je fais des morceaux qui m’obsèdent à chaque fois.
Légion Du Noun, c’est le titre de l’album qui fait référence à l’océan primordial qui a fait la vie et qui fera la mort dans la mythologie égyptienne. Comment t’est venue cette inspiration ?
C’est un peu une obsession d’enfant. Je suis né dans les années 90 et c’est une période particulièrement influencée par l’Égypte Antique avec des films comme La Momie. C’est quelque chose que j’aimais beaucoup étant enfant et je m’y suis réintéressé plus récemment. Cet album parle beaucoup de jeunesse, d’adolescence et il fait le lien avec des choses qui nous fascinent lorsqu’on est petit sans comprendre pourquoi. Dans la mythologie égyptienne il y a plein de cycles. Le Noun étant le cycle de l’existence j’ai voulu lier tout ça avec le passage de l’enfant à l’âge adulte.
Tout au long de l’album, on a l’impression que le destin de Godzi est scellé. Une sorte de fatalisme plane sur l’album. D’où est-ce que tu tires cette noirceur ?
Ça vient de choses vécues dans l’enfance de l’ordre du deuil, j’ai perdu mon père quand j’avais neuf ans. Ça m’a amené à des réflexions que l’on n’a pas à cet âge-là et une vision plus terne de l’enfance. C’est une vision assez fataliste, mais l’exprimer dans la musique permet de ne pas contaminer ma vie quotidienne. Je pense que cette vision mélancolique du monde est aussi quelque chose qui se transmet de mes parents ou grands-parents. Mais ce n’est pas un absolu.
Dans le morceau « Arrachez-moi les dents », tout le clip se focalise sur un chien en laisse et dans les textes tu t’identifies à ce dernier. Cette thématique renvoie directement à la pochette de l’album où tu es toi-même entouré de chiens. Qu’est-ce que cet animal symbolise pour toi ?
C’est une image que j’aime beaucoup en ce moment. J’aime bien cette idée de docilité volontaire. Un chien a un maître donc il y a une hiérarchie. Mais ça n’empêche pas qu’il y ait un amour réciproque. Je trouvais ça plus intéressant que le simple fait d’être soumis à quelqu’un par rapport au salariat et des choses qui régissent notre vie. On peut être satisfait de ce que l’on a, mais on est quand même au bout d’une laisse. Il y a cette idée d’un chien qui peut être violent parce qu’il est blessé ou apeuré. Je trouvais le parallèle avec l’humain assez intéressant.
À l’occasion du festival How To Love, Libération t’a décrit comme étant : « Le fils fou de PNL et Christophe ». Si tu devais mettre des mots sur ta musique comment tu la décrirais ?
Cette formule je l’avais réutilisé parce que je la trouvais assez flatteuse (rires). Je peine depuis que je fais de la musique à vraiment la définir et ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Cette idée de mêler le moderne avec quelque chose comme Christophe qui a traversé le temps ça me plaît beaucoup. Je pense aussi à des artistes comme Bashung qui sont des influences pour moi parce qu’ils ont su se renouveler. J’aime bien définir ce que je fais dans la grande famille de la chanson avec les libertés que ça laisse.
En t’écoutant je me rends compte que la liberté est un facteur important pour toi, notamment dans la création musicale. Si tu avais un conseil à donner à de jeunes artistes ça serait de s’écouter avant tout ?
À titre personnel c’est plutôt ce que j’aurais à dire, beaucoup de gens pensent savoir ce qu’il faut faire. Mais même en étant dans le milieu personne n’a la recette miracle et encore heureux. Ça va dépendre des attentes que tu as, certains artistes ne peuvent pas se permettre de ne pas marcher. Si je devais attendre de ma musique qu’elle me fasse vivre ça serait trop stressant pour moi. À terme, ce qui va me marquer chez un artiste c’est qu’il arrive à repousser les limites et qu’il soit le seul à m’amener sur ces terrains là. Il y a un instinct en nous qui nous dit comment faire évoluer nos projets. Il y a certains conseils qu’on décide de diluer dans notre pensée et d’autres qu’on préfère ne pas trop regarder.
Tu citais Alain Bashung comme inspiration. Mais aussi Françoise Hardy dans la chanson française et SCH ou Kodak Black dans le hip-hop. Quel degré d’influence ont-ils sur toi aujourd’hui ? Que ce soit dans les textes ou le choix des sonorités ?
C’est une bonne question. Comme beaucoup de gens de mon âge j’ai beaucoup écouté de rap et j’en écoute encore beaucoup. J’ai aussi pas mal écouté de chanson française un peu plus sur le tard. Je ne les dissocie pas forcément pour savoir le degré d’influence de chacun. Tu parlais de PNL tout à l’heure et il y a des codes communs, des symboles qu’ils lâchaient au cours des morceaux pour les réutiliser plus tard. C’est quelque chose qui m’a beaucoup influencé mais ça aurait pu venir d’un chanteur. Ce n’est pas le fait même que ça soit du rap mais plutôt qu’ils aient pensé à ça.
L’idée est plus de piocher de manière inconsciente. J’ai souvent l’impression d’avoir développé mon style parce que je n’étais pas assez bon pour faire exactement ce que je voulais faire. Quand je voulais faire un morceau house je n’arrivais pas à copier-coller ce qui avait déjà été fait, il y avait toujours mon univers qui rentrait en jeu. Le fait d’être comparé à PNL ou Christophe ne vient pas de nulle part mais tant que ça reste en influence et pas au niveau du copier-coller c’est le plus important.
En 2023, tu as sorti FATALITAS (Remixes) avec des morceaux rejoués version club, un peu plus électro. En écoutant Légion Du Noun il y a aussi ce côté électronique qui plane sur l’album. Est-ce que c’est un style que tu aimerais développer dans tes prochains projets ?
C’est une influence qui a toujours été présente, peut-être même plus quand je fais des lives où j’essaye de pousser le curseur un peu plus club. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé cultiver. Avoir un kick droit, une ambiance assez dansante, des phrases qui se répètent, un côté entêtant. Ça fera toujours partie intégrante de ce que je vais faire, je ne pense pas que ça prendra le pas sur le reste. Il y a des moments où j’aurai envie de repasser un peu plus en mode chanson et de mêler les deux. Ce qui était intéressant dans le fait de faire des remixes c’est d’arriver à le donner dans d’autres mains. Pour justement tourner ma musique en club plutôt que ça soit la base.
Dans le dernier morceau « La Chute » tu dis la chose suivante : « Bientôt je n’aurai plus rien à dire, ni à raconter ». Tu as démarré ta carrière en 2018 est-ce qu’en 2024 t’envisage déjà la fin ?
C’est surtout dans la démarche du morceau qui a un côté de cycles. L’album raconte plusieurs histoires et parfois on peut se sentir très mal. Et le moment où l’on arrive au bout, on a l’impression que plus rien ne sert, qu’on ne peut aller nulle part. Ce morceau est l’apothéose de cette idée, avoir l’impression qu’on n’aura plus rien à dire. Ce n’est pas annonciateur d’une fin de carrière. Mais j’ai constamment l’impression d’avoir tout dit. J’ai aussi dépassé le stade de penser que j’ai besoin de mon mal-être pour nourrir ma musique.
Lorsqu’on écoute « Je Perds La Foi », il y a ce côté noir au morceau dans les paroles, mais aussi un côté dansant dans les sonorités. Pour toi, est-ce important que les gens puissent écouter les morceaux en se laissant porter par l’instrumental sans prêter attention aux paroles ?
Carrément, surtout en live. La dernière fois je jouais à Genève et à la fin de mon concert une femme est venue me voir et me dis : « Je dansais mais en même temps je me sentais mal parce que ça donnait l’impression que je me fiche de ce que tu disais ». Et au contraire c’est fait pour ça sinon je ne mettrai pas un kick sur tous les temps, je ne ferais pas en sorte que ça soit dansant. On ne va pas s’arrêter de vivre parce qu’on est triste. S’il y a des gens qui aime ma musique pour les mélodies et qui mettent les paroles de côté ça ne me dérange pas.
Il y a des morceaux plus tournés sur des gimmicks, une ambiance générale. Moi aussi j’écoute de la musique ou je ne vais pas forcément décortiquer les paroles. Je trouverais ça même touchant que des gens puissent s’intéresser aux paroles en rentrant par la mélodie. Ça donne plusieurs lectures possibles.
Concernant la production, tu produis toi-même tes morceaux ou tu es accompagné de beatmakers ?
Je compose sur Ableton. Après sur l’album, j’ai travaillé en studio avec un réal son qui s’appelle Pierre Antoine-Piezanowski avec qui je suis depuis l’EP Padre Pio. C’est une relation que l’on a depuis un moment, on a beaucoup appris ensemble. Il m’a beaucoup guidé au moment des démos et énormément conseillé sur la direction du disque. Ensuite il a été masterisé par Adrien Pallot. Donc il y a des gens qui rentrent dans le processus. Disons qu’à la base les démos je les fais seul, elles donnent déjà bien la direction du morceau. Pierre m’aide beaucoup à prendre du recul dessus. Il y a vraiment un travail de réal son/mix qui permet de donner la touche finale et de passer un niveau plus accompli. Ça permet d’apporter une profondeur et une couleur studio à ma musique.
Quel regard tu portes sur le chemin parcouru depuis 2018 ?
Je suis content sur le sens purement artistique de l’évolution que j’ai eu dans mes morceaux. J’ai l’impression d’avoir plus de maîtrise. D’arriver à mieux exprimer ce que je veux, à être plus efficace dans la composition. Concernant ma carrière, j’ai réussi à construire un personnage plus solide. Et à mieux comprendre ce que je veux y mettre dedans. J’ai beaucoup appris et réussi à aller dans la direction que je voulais. C’est ce que je veux arriver à faire depuis un moment. Créer mon petit univers comme un enfant dans sa chambre avec ses jouets.