LITTÉRATURE

« La Morelle noire » – Potion & Narration

© éditions la Contre Allée

La Morelle noire célèbre la vie de trois femmes rebelles et savantes : une reine, une sorcière et une étudiante. Teresa Moure chamboule le roman historique en offrant une place de choix aux destins féministes. 

Écrivaine, docteure en linguiste et professeure à l’Université de Saint-Jacques-de-Compostelle, Teresa Moure écrit en galicien, militant pour la défense de cette langue et de sa culture. Écrit en 2005, La Morelle noire vient d’être traduit par Marielle Leroy et publié aux éditions de la Contre Allée. Ce patchwork littéraire mêle fiction, philosophie, science et magie dans une langue teintée de réalisme magique et d’éco-féminisme. Un roman qui met en scène trois femmes, lectrices et frondeuses, prêtent à relever les défis intellectuels qui se présenteront à elles.

Une silhouette est en train de lire. Elle tient dans ses mains un épais volume. (…) Elle tourne les pages doucement ; on remarque qu’elle aime caresser le livre. On dirait que lire est une action de son corps entier. (…) C’est bien une femme, il n’y a aucun doute, pourtant elle est en train de lire ; et elle ne lit ni histoire d’amour ni vers légers ; elle lit un ouvrage de médecine.

La Morelle noire de Teresa Moure

Il était trois femmes …

Le philosophe René Descartes (1596-1650) n’est pas le protagoniste principal. Il est le nœud narratif qui unit les trois héroïnes : la reine Christine de Suède, la sorcière Hélène Jans et l’étudiante Inès Andrade. Chacune s’oppose au destin qu’on lui avait prédit et prend le risque de l’émancipation dans une société patriarcale.

Stockholm, 17ème siècle. Christine Vasa, reine de Suède et bisexuelle, est une femme cultivée qui refuse d’enfanter pour donner un descendant à la royauté. Décrite comme « la plus grande tentatrice publique de l’Histoire », elle nourrit une correspondance sur les avancées des sciences avec le philosophe rationaliste, avant de le convier dans son royaume. 

Hélène Jans, intellectuelle, sage-femme et herboriste, a été accusée de sorcellerie. Amante du philosophe, elle a eu avec lui des échanges pointus mais aussi une fille, morte très jeune. Elle rencontrera la reine de Suède, venue lui rendre visite à Amsterdam. Elles forgeront un lien de sororité puissant qui se poursuivra pendant plusieurs années par missives. L’une l’autre, s’encourageant à ne jamais perdre de vue sa liberté. 

Thésarde en philosophie, Inés Andrade est notre contemporaine. Elle consacre un doctorat à Descartes quand elle découvre un mystérieux coffre laissé par une de ses aïeules dans un grenier. Cette malle contient des écrits d’Hélène Jans (recettes d’onguents, remèdes, philtres d’amour), des textes de Christine de Suède et des lettres échangées entre les deux femmes.  

Teresa Moure décrit des femmes qui lisent, écrivent, étudient l’anatomie, identifient les plantes, prennent du plaisir à jouir, cherchent à diminuer la douleur. Facétieuses, ces femmes s’aiment, s’entre-aident et philosophent.

… érudites et libres

En brossant les portraits précis de ces femmes libres, l’écrivaine réalise par la même occasion une critique de la misogynie de l’histoire de la pensée occidentale. Ces femmes sont la preuve que l’Histoire a été tronquée. Même si elles ne sont que rarement, voire jamais, citées ; elles ont souvent participé des révolutions intellectuelles en discutant, en cherchant, en partageant leurs idées avec leurs homologues masculins. 

Terasa Moure définit ses personnages comme des « penseuses de la vie quotidienne » qui reconnaissent le pouvoir des mots  : « écrire des lettres, c’est courtiser avec des mots, et les mots, s’ils sont bien choisis et l’âme bien disposée, peuvent avoir un meilleur effet curatif que les herbes magiques ». Telle une magicienne, elle tâtonne pour composer un maillage textuel qui rende justice à celles qui se sont transmis des savoirs non reconnus. Alors, elle juxtapose récits, incantations, textes philosophiques, recettes médicinales et notes de cours. Elle fait aussi le choix d’une narratrice anachronique. En ponctuant le récit de commentaires caustiques, celle-ci provoque des effets de décalage et d’humour qui ajoutent au caractère réjouissant de l’ouvrage.

La Morelle noire livre une vision lucide et piquante sur la condition des femmes vis-à-vis du savoir. Teresa Moure porte haut l’histoire de ces femmes guerrières sans oblitérer la complexité de leurs existences. Si elles peuvent parler de la souffrance immense que représente la perte d’un enfant, elles échangent tout autant sur le projet d’une langue universelle qui permettrait à tous les peuples de converser ensemble. 

La Morelle noire de Teresa Moure, traduction Marielle Leroy, éditions La Contre Allée, 24euros. 

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