Un an et demi après la sortie de son premier album, Ce qu’il restera de nous, Coline Rio continue de le faire vivre avec un nouvel EP, Ce qui nous lie. Un projet fait de rencontres et de partage, avec quatorze artistes de la chanson française et d’autres univers.
On avait salué Ce qu’il restera de nous, le tout premier album de Coline Rio, en mars 2023. On avait aimé les prolongations avec Ce qu’il restera de nous, et plus encore, sa réédition sortie en novembre. Jamais deux sans trois : l’autrice-compositrice-interprète continue de faire vivre son opus avec l’EP Ce qui nous lie, sorti ce 30 août. Pas moins de quatorze artistes sont invité·es, d’Albin de la Simone à Emily Loizeau, en passant par Voyou ou Laura Cahen. Les sept titres qui composent ce projet résonnent comme autant de rencontres, musicales et humaines.
Après la réédition de ton premier album, qu’est-ce qui t’a motivée à créer cet EP ?
Je suis en phase d’écriture de mon deuxième album, mais j’avais envie de faire vivre plus longtemps le premier. Je cherchais une manière de faire encore exister ces chansons. C’est toujours dur, la « durée de vie » des objets musicaux. J’avais aussi le désir d’ouvrir la porte à d’autres artistes : j’écris de manière très solitaire, je suis seule sur mon projet. Ça me manquait d’avoir du lien, du relationnel, de casser ma petite carapace de solitude. Ça fait aussi partie de moi, le fait de rassembler.
Alors, j’ai listé les personnes que j’avais en tête, les idées de chansons. J’ai mis du temps à écrire, parce que j’avais peur que ce soit trop ambitieux, trop difficile à mettre en place… Ce n’est pas rien d’aller vers les autres, c’est une prise de risque. Et puis, je me suis jetée à l’eau. J’ai écrit des messages à des artistes qui étaient soit des ami·es, avec qui je savais qu’il y avait une connexion, ou des artistes que j’admirais et avec qui j’avais envie de créer une connexion qui n’existait pas encore. À ma grande surprise, j’ai eu des retours positifs à chaque fois. Le désir de faire ce projet a été hyper fluide, toutes les sessions étaient pleines de bonne humeur, de bienveillance !
C’était un désir de sororité pure et dure.
Coline Rio
Ce qui nous lie, c’est aussi la condition féminine, avec ta chanson « Homme »… Neuf artistes féminines (Nash, Poppy Fusée, Emily Loizeau, Camille, Barbara Pravi, La Chica, Laura Cahen, Clou et Raphaële Lannadère) t’accompagnent sur ce titre. Comment a-t-il été travaillé ?
C’était forcément un peu compliqué, car on était très nombreuses, mais tout a marché. Et c’était une évidence pour moi de faire cette collégiale, parce que c’est une chanson qui parle de harcèlement de rue. Les femmes sont principalement concernées, et pour autant, c’est une chanson qui se veut inclusive. Elle n’est pas dans l’agressivité — même s’il en faut dans le féminisme — mais dans ma démarche, j’étais dans quelque chose de bienveillant. C’était un désir de sororité pure et dure.
On en parle beaucoup, il y a de plus en plus de solidarité entre femmes, et là, c’était une manière de le vivre concrètement. J’en avais vraiment besoin dans mon projet. Ça fait énormément de bien ! J’avoue que j’ai beaucoup pleuré au studio… C’était super émouvant d’entendre ma chanson chantée par des artistes merveilleuses, et de voir à quel point ça les touchait et ç’avait du sens aussi pour elles.
Certaines faisaient partie des inspirations que tu avais en chanson française ?
Complètement ! Emily Loizeau et Camille, je les écoute depuis très longtemps. Ce sont des artistes qui m’ont donné le goût de la chanson et de la liberté. Camille peut-être plus dans sa recherche dans la voix, c’est une artiste qui me donne la force d’oser. Je me dis : on a le droit d’exister de plein de manières différentes, j’ai des exemples autour de moi. Emily Loizeau, c’est une des premières chanteuses qui sont venues chanter « Homme », et j’ai fondu en larmes dans le studio, parce qu’il y a quelque chose d’hyper familier. Sa voix fait partie de ma famille : on l’écoute, on la chante ensemble.
Sur les sept titres de l’EP, cinq sont des reprises de ton premier album, comme « Ma mère » ou « On m’a dit ». Il y a aussi une reprise d’Albin de la Simone et une de Françoise Hardy. Comment se sont faits ces choix ?
C’était assez évident. Avec Albin, on avait déjà chanté « Ma mère », il m’avait invitée à un concert au musée d’Orsay. Quand on s’est retrouvés pour réfléchir, il m’a dit que cette chanson lui parlait à 100 %, et on n’a pas cherché plus loin. J’ai adoré le fait d’entendre une voix masculine sur cette chanson qui se veut très féminine, sur le lien mère-fille et le lien des femmes.
Pour « L’amitié » de Françoise Hardy, je m’étais dit : ma maman, c’est la seule qui n’est pas une amie au sens propre du terme. On a un lien de sang, qui est différent. Je voulais créer une sorte de bulle privilégiée avec elle, que ça soit autre chose… mais qu’on parle de l’amitié, du lien global de cet EP. En plus, il se trouve que c’est une chanson que chante ma mère depuis qu’elle a 16 ans. Je l’ai connue grâce à elle. On ne voulait pas choisir au hasard, mais prendre une chanson qu’on chantait déjà ensemble, pour que ça ait un vrai sens vis-à-vis de nous deux.
J’avais l’impression de me faire un cadeau, de faire une pause dans le temps.
Coline Rio
Qu’est-ce que ça faisait de chanter avec ta mère en studio ?
On était super émues. On s’est mises face à face pour chanter, donc on se regardait. D’habitude, ma mère chante toujours avec sa guitare, mais là, elle avait les mains libres. Et on s’est rendu compte qu’on avait presque exactement le même dialogue corporel et qu’on finissait en miroir quand on chantait, avec la main qui se lève, c’était une chorégraphie le truc !
Au début, c’était très drôle, puis il y a eu beaucoup d’émotion, ma mère a pleuré, on a dû s’arrêter… Moi, j’étais dans une posture accueillante, je voulais qu’elle soit bien. Je me suis retenue pour être la personne qui garde le cap. Mais à la fin de la journée, je me suis lâchée aussi, j’ai pleuré, c’était super émouvant comme moment. Après coup, je me suis dit que j’avais créé un souvenir précieux sur une relation que j’aimerais voir durer pour toujours, même si ce n’est pas le cas. J’avais l’impression de me faire un cadeau, de faire une pause dans le temps.
Tu t’es demandé si tout ça n’était pas « trop ambitieux ». Comment as-tu réussi à te lancer ?
Je pense que mon entourage a aidé. Mes ami·es proches et mon équipe m’encourageaient. De manière générale, ça arrive tout le temps d’avoir des chutes de confiance en soi, je pense que tous les artistes sont sujets à ça, à se dire « Je suis nulle, personne ne va avoir envie de bosser avec moi »… Et puis je me suis dit que les gens avaient le droit de me dire non, et que ça ne serait pas grave. Au contraire, c’est chouette de proposer. De toute manière, qu’est-ce qui pouvait m’arriver de grave ? Rien ! (elle rit) Je n’avais rien à perdre, et finalement, très bonne surprise : je n’ai eu aucun refus !
Je suis en train de me construire mon chemin à moi.
Coline Rio
Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ton prochain album ?
Je suis à fond dessus ! Je suis partie deux semaines cet été pour écrire, j’avais déjà une dizaine de chansons, mais j’en voulais plus. Maintenant, j’en ai entre quinze et vingt. Globalement, ce que je sens, c’est que c’est énormément axé sur un lieu à soi, sur le fait de créer son espace. Depuis deux ans, j’ai un peu chamboulé ma vie, en lançant mon projet solo, en quittant mon groupe Inuït, qui avait quelque chose de très rassurant…
Je suis partie de Nantes à Paris, j’ai quitté aussi mes ami·es, il y a eu plein de choses très chamboulées dans mes socles de vie. Et ça parle aussi des racines, des ancêtres. Quand on construit un lieu à soi, on va un peu fouiller dans le passé, ce qu’on a vécu, pour savoir où on va et d’où on vient. Des questions sur la famille, les blessures, le chemin intérieur… Je suis en train de me construire mon chemin à moi.
Coline Rio sera en tournée jusqu’au 5 avril 2025, et en concert au Trianon à Paris, le 24 septembre 2024.