Arthur Fu Bandini n’a sorti que deux chansons mais il impose déjà sa liberté musicale et de penser. Issu du Chantier des Francofolies, nous avons pu échanger avec le chanteur après avoir été envoutés par son live mystique. Rencontre.
Seul sur scène avec guitare, clavier et machinerie, Arthur Fu Bandini – que nous connaissions déjà avec le groupe Moonsters et le duo pop Soleil bleu – convoque tous styles de musique créant une sorte de messe mystique où les spectateur·ices se retrouvent en communion totale. Chaque morceau est différent et semble chasser le précédent. Cette liberté, Arthur l’a acquise et la défend. Le Chantier des Francofolies l’a accompagné dans ce projet solo qui, malgré des influences entre rock et chansons- française, ne ressemble a aucun autre et dont la poésie puissante se libère jusque dans nos oreilles. En attendant d’en savoir plus, Maze a pu rencontrer le chanteur pour parler d’espoir, de résistance et de liberté, évidemment !
Tu as commencé ta carrière musicale avec le groupe Moonsters, puis en duo avec Lou Lesage et le projet Soleil bleu, comment est né ce nouveau projet solo : Arthur Fu Bandini ?
C’est arrivé assez naturellement. Déjà parce que j’ai toujours composé et écrit de mon côté, même avec Moonsters. J’ai toujours amené pas mal de compos et avec Lou pour Soleil bleu aussi. On s’est mis à écrire ensemble ; certains textes venaient de Lou, d’autres de moi. Mais j’ai toujours écrit, surtout des pensées, et composé plein de morceaux. D’ailleurs, j’avais déjà fait des morceaux en français il y a quelques années. J’ai tout mis de côté et là ça fait deux ans et demi maintenant que je me suis remis à écrire. Le covid a amené un changement de rythme pour tout le monde. Un projet que j’arrangeais avait pris fin et grâce à mes parents j’ai pu avoir un studio. C’est une chance énorme. Donc le projet est venu naturellement, c’était un besoin, ça ne se contrôle pas trop.
Tu ressentais le besoin de repartir à zéro avec uniquement des nouvelles chansons ?
Oui, parce que c’est une dynamique l’écriture. C’est un engagement et il faut que ce soit cohérent. Parfois il y a des textes qui traversent un peu le temps ou, en tout cas, notre temps personnel à notre échelle. Puis, après on doit les partager en live donc il faut que ça parle et qu’il y ait un échange sinon ça n’existe pas. Après, peut-être que plus tard je retournerais écouter des trucs que j’ai fait il y a huit ans. Ces pistes sont là et il est possible d’y retourner parce que ce n’est pas forcément retourner en arrière, ça peut amener ailleurs aussi.
Dans « Retrouver le soleil », tu dis que « Ça n’a jamais été mieux avant » et que « La beauté n’appartient pas au passé ». Ça raconte un peu cette idée, non ?
Oui, souvent ce sont des réflexes. Les gens disent facilement, par exemple : « les fruits étaient meilleurs avant, on allait directement les cueillir dans l’arbre, si tu avais pu goûter ces pêches… ». Si on ne garde pas espoir on tombe dans le cynisme. C’est un choix de vie mais il faut le savoir. Moi, j’ai envie de faire le choix de garder un peu d’espoir, d’être optimiste, même si dans le fond je peux être réaliste aussi car il y a des choses qui ne changent pas, malheureusement. Justement dans l’Histoire, il y a beaucoup de choses qui se répètent, notamment des conflits… Et c’est triste de voir que l’homme tombe souvent dans ses travers, dans la recherche du pouvoir, de se laisser enivré par le pouvoir et ça amène de la misère, de la violence…
Je pense qu’il faut quand même toujours résister même si parfois ça peut paraître un peu naïf. Il faut aller de l’avant c’est comme avec les élections récentes. L’extrême droite ne doit surtout pas passer, parce que c’est une espèce de coquille vide qui amène une ultra-violence. Et j’avais plein de potes avant le second tour des élections législatives qui partaient tous perdants mais ça ne sert à rien d’être défaitiste tant que l’on y est pas, ce n’est jamais joué. C’ est une posture que j’ai envie d’essayer de garder, d’alimenter, de développer, de nourrir, et d’apprendre à mieux comprendre.
Tu penses qu’en tant qu’artiste c’est important de porter haut et fort ses engagements par sa voix ?
C’est ultra important, je pense que l’art et, de manière générale l’écriture, la parole, l’échange, la communication, le débat – qui manque en politique aujourd’hui – permet de s’écouter, de prendre du temps, de s’oublier. C’est ce que je mets dans mes paroles et mon truc c’est d’écrire et pas spécialement de parler, donc j’essaie de mettre le plus possible ces idées dans mes textes. Par exemple quand je parle de ces enfants qui naissent face à leur faim. C’est quand même dingue de naître et à partir du moment où il y a des premières consciences de se rendre compte qu’on nous a mis dans un monde où c’est la course à l’espace pour les les plus riches.
Mais l’expression « c’était mieux avant » est beaucoup utilisée en musique aussi et quand on écoute ta musique, on se dit qu’il n’y a plus de règles, tu as des influences du passé très marquées mais tu les mélanges à des mélodies très modernes…
J’essaie de ne pas me poser la question du style. Pareil, ça c’est ultra chiant, les playlists et tout ceux qui posent des étiquettes. Sauf que maintenant ils vont être dépassés parce que dans le rap ou la chanson française, tout se mélange et c’est ça qui est intéressant.
Il y a une volonté d’aller contre les cases ?
C’est une tendance à vouloir homogénéiser tout le temps un projet pour le rendre lisible pour vendre mais en fait je trouve que c’est prendre les gens pour plus bête qu’ils ne sont. Chacun a sa sensibilité et peut faire la part des choses. On peut aimer un morceau d’un projet et pas les autres mais au moins ça amène sur des sensations. Il faut ouvrir mais forcément, il y a des influences. On est toujours toustes influencé.es.
Quelles sont tes influences principales quand tu composes ?
J’ai toujours écouté de tout depuis toujours. À la base j’écoutais autant Buddy Holly et Chuck Berry que IAM et NTM. Il y a des exemples aussi d’engagement et de liberté qui m’ont influencé comme The Clash qui est un exemple assez total dans l’engagement social, dans le style. Ce qu’ils ont fait avec leur double album Sandinista !, d’imposer un prix bas pour que ce soit accessible et de mélanger la dub, le punk, le rock… Ils font ce qu’ils veulent et ça fait du bien. Comme Ian Dury aussi ! Actuellement j’adore Viagra Boys, Fat White Family… Ce sont des lives comme ça que j’aime aller voir, des choses qui ne te laissent pas le choix, qui font que tu te lèves, automatiquement, c’est incroyable.
Comment on présente cette liberté-là dans l’industrie musicale contemporaine ?
On réfléchit, on discute, on essaie de sortir des trucs… J’ai sorti que deux morceaux pour l’instant : un guitare voix introspectif et un truc plus arrangé plus ouvert sur autre chose et c’est le live qui est important.
Justement chaque morceau que tu joues en live est totalement différent du précédent, ce qui peut être perturbant car comme tu le disais on est habitué à identifier des styles musicaux…
Après est-ce que ce n’est pas perturbant parce qu’on nous a habitués à rester dans un monde mais ce sont des carcans qui ont été largement imposés.
Comment tu l’as imposé cette liberté ?
C’est aussi grâce au Chantier des Francofolies. Ça fait du bien, parce qu’il y a une équipe qui est tellement bienveillante et à l’écoute. Ils ne veulent pas changer la singularité des artistes avec lesquels ils travaillent mais ils veulent juste proposer des choses pour te faire avancer. Et ça donne confiance, ça aide d’avoir des retours parce qu’il y a des sensibilités qui ont des expériences riches. Pouvoir échanger avec tous les intervenants, les gens, les rencontres faites ici ça fait du bien car c’est concret et ça doit passer avant tout par l’échange et l’humain.
Pour le moment tu es seul sur scène, c’est une volonté ou à termes tu souhaiterais t’entourer d’un groupe ?
Pour l’instant j’apprends encore la prise de parole. Je travaille ma voix et mon engagement. Il y a encore des choses à pousser et j’ai envie aussi de pouvoir aller chercher un truc encore plus live même avec la MPC (Music Production Center, ndlr). Créer, recréer des boucles, m’amuser un petit peu plus, c’est encore une étape que j’ai envie de passer. Puis je commencerai par inviter des amis musiciens sur certains morceaux, ouvrir quand je peux à des moments s’ils sont disponibles. Ensuite, oui, j’ai envie d’arriver à former un groupe parce que c’est vrai le live en acoustique c’est là qu’il y a un truc encore plus palpable. J’ai hâte mais j’ai envie d’être vraiment prêt et que ça se fasse naturellement.
C’est important de prendre son temps pour travailler un projet comme ça ?
J’ai envie de faire confiance au temps parce qu’on se redécouvre un peu chaque jour et on apprend. Il y a des choses qui font leur chemin, parfois inconsciemment et qui ressurgissent d’un coup, peut-être cinq ans après avoir pointé le bout de leur nez.
Il y a une autre influence dans tes chansons, c’est la poésie. On ressent dans tes textes que tu en as lue. Comment ça infuse dans ton écriture ?
Pour moi la poésie, c’est de la philosophie appliquée. En tout cas, c’est le cas des poètes que je lis, avec lesquels j’ai des affinités, ou certains romanciers, mais plus des romans initiatiques comme Le Loup des steppes, Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse. La poésie des poètes, pour moi, ce sont toujours des fulgurances de vécu. Et souvent, ils appliquent soit après, soit avant, ce qu’ils écrivent et en lisant forcément ça vient parcourir des perceptions qui s’ouvrent.
Ce sont des choses qu’on doit aller vivre même si parfois c’est un peu dur, parfois ils sont pas compris ou tu passes à côté ou tu en as l’impression mais il faut garder je pense une vision qui est singulière car ça nourrit. Et ils apportent des nuances sur les choses, sur les mots, à côté desquels on peut passer vite parfois et ça redonne du sens et du poids aux mots. Là où pour certains politiciens finalement les mots sont seulement des billes qu’ils envoient.
Il y a du mystère dans la poésie aussi, car il y a souvent plusieurs lectures et des sens cachés…
C’est à chacun de s’approprier les choses et de digérer comme il veut, tant que ça permet d’avancer à sa manière…
C’est ce que tu essayes de faire quand tu écris ?
J’essaie parce que c’est un besoin. Je me suis mis à écrire des pensées de poésie. Je ne sais pas si j’ai cette prétention-là du tout, mais j’avais ce besoin d’un changement de perception des choses, d’avancer et de comprendre. J’adore la poésie parce que ça résume beaucoup de choses parfois en très peu de mots. C’est direct et ça peut paraître un peu abstrait…
Pour lier les mystères de la poésie à ta prestation scénique, il y a quelque chose de très spirituel dans ton live, comme une messe musicale. Est-ce qu’il y a du religieux dans la création ?
La religion c’est un mystère et c’est mystique. Il y a forcément quelque chose de plus grand tout le temps, de toute façon, on ne sait pas ce que c’est, enfin, moi personnellement je ne sais pas ce que c’est. Chacun fait ce qu’il veut, pense comme il veut, tant qu’on va dans un sens qui est porté par l’amour et que ce n’est pas un argument de prise de pouvoir.
C’est important quand on est ensemble. S’il n’y a pas de public ou de personnes pour écouter, ça n’existe pas. On a la chance de pouvoir être libre de dire ce qu’on veut donc il faut aller au bout et essayer d’apprendre à ouvrir, à créer une harmonie, essayer d’aller la chercher. Ça je pense que c’est un truc qu’on essaie toujours de chercher je ne sais pas quand on le trouve mais moi, c’est le travail que j’ai envie de faire.
Arthur Fu Bandini sera en concert à la Scala le 13 septembre : ici.