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Francofolies 2024 – Ariane Roy : « Le cinéma m’a plus inspiré que la musique pour le futur album »

Ariane Roy
© Caroline Jollin

À l’occasion des 40 ans des Francofolies de La Rochelle, la chanteuse québécoise Ariane Roy, récipiendaire du prix Felix Leclerc 2023 côté outre-atlantique, est venue cette année se produire sur la scène Rochelle Océan. Rencontre.

En 2022, la chanteuse québécoise Ariane Roy dévoilait son tout premier album medium plaisir, entre rock et chanson. Deux ans plus tard, une tournée, un projet commun avec ses ami·es Lou-Adrianne Cassidy et Thierry Larose (Le Roy, la Rose et le Lou(p)) et la préparation du prochain album, la chanteuse occupait avec son groupe la scène Rochelle Océan. Quelques heures avant, nous l’avons rencontrée pour discuter de maturité, de dualité et de cinéma.

Ton premier album, medium plaisir, est sorti en 2022 et la première chanson s’intitule «  Quand je serai grande  », est-ce que deux ans après tu as le sentiment d’avoir grandi ? 

Ah, moi, je suis une éternelle enfant. Je serai une enfant jusqu’à la fin des jours. Mais oui, j’ai l’impression d’avoir grandi. C’est drôle parce que quand je regarde cet album-là, ça fait seulement deux ans et en même temps ce sont des chansons que j’avais composées quelques années avant. C’est quand même déjà un objet que je regarde avec un autre recul. Parfois, je le regarde avec attendrissement et ça fait du bien de voir que je suis ailleurs. On est tout le temps un peu ailleurs, même si on reste la même personne, évidemment.

Il s’est passé beaucoup de choses depuis la sortie, non ? 

Oui, professionnellement et humainement, ce fut deux grosses années.

En même temps, c’était un peu la thématique de ton album, le fait de grandir avec des morceaux comme «  Apprendre encore  » ou «  Je me réveille », il y avait cette idée d’avancer ?

Ça correspondait à cette période-là. J’ai écrit cet album en pleine pandémie. C’était une période complètement folle, d’introspection, de mal-être par moment et de grande solitude. Il fallait un nouveau souffle et une certaine lucidité par rapport à plein de choses, que je regardais en face pour la première fois. Ça parle beaucoup de ça, de ne plus se voir comme on est. 

Quelque part, c’est faire un pas vers l’acceptation de soi ? 

Avec de l’humour aussi. Il y a une part d’apitoiement dans la dépendance affective, mais aussi un peu d’espoir pour accepter justement ces parties-là avec légèreté. Se dire que même quand c’est décevant ou plus dur à voir, c’est comme ça. 

Il y a de la légèreté et en même temps, il y a ce morceau  assez rugueux, «  Tu voulais parler  »…

Oui, il y a quand même des trucs plus lourds, mais il y a l’idée de les voir avec un autre recul. «  Tu voulais parler  », c’est très étrange. Cette chanson-là, au départ, elle a eu quatre versions… Même musicalement, ce n’était pas du tout la même chose la première fois. Et à un moment donné, on était proches de la fin de l’album, on avait deux mois pour le finir. Puis, je me suis réveillée un matin et j’ai inventé une histoire dans ma tête, totalement fictive, quelque chose de narratif comme un film, j’avais envie que ça soit cinématographique. J’avais inventé une histoire un peu macabre, un peu dure, avec une musique plus ludique, frontale mais qui semble plus joyeuse. Pour moi, ce contraste-là était intéressant. Je suis encore contente de cette chanson-là.

Tu parles de contraste, est-ce qu’on peut parler de la pochette de ton album qui symbolise bien cette dualité ?

C’était l’idée de couper la poire en deux. Il y avait quelque chose de la dualité qui est un thème omniprésent dans l’album, mais aussi dans ma vie. C’est aussi le fait de couper une poire avec une énorme épée, ça n’a pas vraiment de sens. Je pense que ça parle de ces choses-là. Parfois, il y a de l’exagération dans nos perceptions, dans nos sentiments. C’est quelque chose de drôle aussi pour moi et ça me représente.

Quelle est ta dualité ? 

Je suis une personne très contradictoire, qui hésite beaucoup. Je suis tout le temps dans la nuance, mais au final, parfois j’ai du mal à me positionner réellement. J’apprends à le faire, mais ça fait partie de moi, je suis tout le temps dans l’ambivalence. 

Ton instrument c’est la guitare, mais tu as commencé par le violon. Quel est ton rapport à la guitare ? 

J’ai commencé la musique avec huit ans de violon, quand j’étais jeune. Puis, à un moment donné, j’en ai eu marre vers 13-14 ans. J’avais étudié la musique et j’ai continué pendant mes études supérieures. Mais la guitare, pour moi, c’est un truc à côté, puis ça a été seulement au Cégep que j’ai commencé. Le Cégep au Québec, c’est entre l’école secondaire et l’université. C’est à ce moment-là que j’ai pris pour la première fois un cours de guitare. Mais j’ai appris en autodidacte pour composer. Quand j’étais jeune, je m’enfermais dans ma chambre, je reprenais des chansons de Taylor Swift ou de Jean Leloup, un artiste québécois. Et la guitare, c’est plus facile pour pouvoir chanter et s’accompagner soi-même.

À quel moment tu t’es autorisée à chanter, ensuite ? 

Je chantais avant de jouer de la guitare. J’ai fait de la chorale quand j’étais jeune, puis je faisais de la musique à l’école. On faisait plus des chants classiques à ce moment-là, mais au secondaire, on touchait à de la comédie musicale, à la pop… On faisait des petits ensembles, des petits groupes de rock, de pop. C’est à ce moment-là que j’ai plus découvert ma voix. Je chantais beaucoup quand j’étais jeune, mais comme soliste dans la chorale, ce n’est pas la même chose que de chanter au solo. 

Justement, vous êtes une bande d’ami·es musicien·nes au Québec notamment avec Lou-Adrianne Cassidy et Thierry Larose, mais tu chantes aussi avec Les Lunatiques…

Oui, mais je ne suis plus dans les Lunatiques. J’ai du quitté le groupe parce que je n’avais malheureusement plus vraiment de temps. Mais je les adore, j’adore leur musique. Ce n’est pas possible de tout faire. Il faut faire des choix.

Il y a quand même cette idée de collectif, d’amitié, faire de la musique entre ami·es, c’est quelque chose qui compte ? 

Vraiment. Ça donne un sens, je pense, à la musique en général, en tout cas pour moi, dans ma carrière. Ce qu’il se passe avec Le Roy, la Rose et le Lou(p) en ce moment, c’est juste fou, mais le fait d’être ensemble, entre ami·es, même entre meilleurs ami·es. Les relations sont fortes, on vit les choses plus intensément aussi en les partageant ensemble. Parce que vivre quelque chose seul, même quand c’est ultra positif, ça reste quelque chose qui peut être lourd à porter.

Ce sont des rencontres qui se sont faites à travers la musique ?

Avec Lou-Adrianne, on s’est rencontré à l’école dans la cour de récré quand on avait 9 ans, c’était comme ça. Thierry, on s’est rencontré en 2020, on avait fait une résidence de création avec plusieurs artistes, je l’avais rencontré là. Lou et Thierry, c’était sensiblement la même chose et eux ils jouent aussi dans le groupe l’un de l’autre. 

Et justement ce projet-là que vous avez tous les trois Le Roy, la Rose et le Lou(p), l’idée est venue comment ? 

Au lancement du second album de Lou-Adrianne, exceptionnellement, elle m’avait invitée sur la scène, puis elle joue avec Thierry aussi. On était les trois sur scène, et le programmateur des Francofolies de Montréal, à ce moment-là, nous a vu ensemble, puis il a dit : « OK, moi, les trois, je les veux en show ensemble, pour les Francofolies 2022. » On a donc créé un spectacle d’un soir avec nos dix musiciens, parce que nous, après ça, on voulait se réapproprier son idée. On voulait pas faire de compromis là-dessus, puis on a bien fait, parce que finalement, on s’est fait offrir une tournée par la suite. C’était supposé être un soir, finalement ça a continué pendant deux ans. Et puis c’est la dernière tournée de festival cet été, il n’y en aura plus après. C’est la tournée d’adieu.

Vous avez sorti un album live pour conserver ce moment avant l’adieu ? 

Oui un album-live en mai dernier. C’est rare aujourd’hui, les albums live, on dirait que ça ne se fait plus. Mais c’est le projet qui était le plus logique pour nous parce que c’est un souvenir qu’on veut avoir, ne serait-ce que pour nous, pour les jours à venir, parce qu’on sait que ce projet-là il n’est pas éternel. On sait aussi que c’est un gros projet dans nos coeur et je pense qu’il y avait un besoin de le capter. 

C’est quoi la suite pour toi… Un second album ? 

Je suis en train de faire un deuxième album, oui. Je travaille dessus tous les jours quand je ne suis pas en spectacle. Il sortira l’an prochain. C’est une primeur que je livre ici, ce sera au printemps prochain. J’ai hâte de le finir. Je suis beaucoup en show en ce moment mais c’est un album qui est très très important pour moi et que j’ai hâte de le dévoiler.

Tu commences à le dévoiler en live ? 

Non, même pas. Aucune. Pour le premier album, j’avais essayé beaucoup de chansons en live. Mais là, aucun dévoilement, c’est très secret. C’est quelque chose que je conserve plus près de moi. J’ai travaillé beaucoup seule sur ces chansons-là. Maintenant, je suis en co-réalisation avec un réalisateur, mais j’ai longtemps gardé ces choses-là pour moi.

Qu’est-ce qui t’inspire quand tu écris ? 

Beaucoup de choses. Mais je dirais que pour cet album-là, j’ai regardé beaucoup de films ces deux dernières années. Le cinéma m’a plus inspiré que la musique pour le futur album. 

As-tu des exemples de films qui t’ont marqué et inspiré dernièrement ? 

Il y en a plein, Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, qui était un de mes films chéris de l’année dernière. Il y avait aussi un vieux film de Ruben Östlund, Snow Therapy. Il y en a tellement, en fait ! Close de Lukas Dhont, aussi. J’en a vu tellement et surtout des films différents mais c’est comme si c’était nouveau pour moi, les films dans ma vie. J’aimais ça aller au cinéma avant, mais là je regardais les films différemment. J’ai adoré All of Us Strangers de Andrew Haigh aussi ! Ce n’est pas nécessairement les histoires qui m’inspirent mais c’est l’émotion que ça crée chez moi de regarder une oeuvre à travers un autre médium que le mien au moins et c’est instigateur d’une flamme créatrice je ne sais pas comment dire les choses mais ça me donne envie de créer.

Ça puise en toi et ça te renvoie des choses de toi-même ?

Quand j’écoute de la musique aussi, ça peut tout le temps être un moteur d’inspiration, évidemment et je pense qu’il faut tout le temps en écouter, le plus possible. Mais c’est comme si, je n’avais pas les mêmes oreilles ou la même vision de spectateur, parce que c’est mon art. Ça fait du bien de changer. Puis, je pense que ça change les canaux créatifs, j’ai fait plus de productions moi-même dans les arrangements, j’ai essayé de prendre plus d’indépendance là-dedans.

Dans ton premier album tu parlais de toi et des autres en même temps dans une sorte d’aller-retour… Pour le deuxième ces inspirations cinématographiques vont-elles créer la même chose ? 

Oui. Pour moi le premier album est très introspectif. C’est intéressant parce que oui évidemment ça parle tout le temps des autres, mais plus par rapport à moi. Le deuxième album sera un peu plus dans la conversation avec les autres, mais vers un dialogue frontal, quelque chose de très clair, je pense, dans la relation, donc j’ai hâte de le finir aussi, là-bas.

Tu préfères être sur scène ou dans la phase introspective de la composition ?

Les deux.Je n’ai pas de préférence parce que quand je suis trop dans l’un ou trop dans l’autre, l’autre me manque. Pour moi, c’est vraiment mon métier ça. Ça ne peut pas être juste du show non plus, à un moment donné, j’ai besoin d’être plus recluse pour retomber dans ma création. 

Ça rejoint la dualité…

Oui, exact. À 100 % ! J’ai besoin de cet équilibre. 

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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