CINÉMA

« Pendant ce temps sur Terre » – Rencontre du 2ᵉ film

© MANUEL MOUTIER - 2023 - ONE WORLD FILMS - CARCADICE - FRANCE 3 CINEMA - AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINEMA
© MANUEL MOUTIER - 2023 - ONE WORLD FILMS - CARCADICE - FRANCE 3 CINEMA - AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINEMA

Après le remarqué J’ai perdu mon corps, Jérémy Clapin revient avec un film de science-fiction en prise de vue réelle, présenté à la dernière Berlinale. Pendant ce temps sur Terre est nourri de louables intentions mais se perd en oubliant sa qualité principale : l’épure.

La jeune Elsa est dévastée d’avoir perdu son frère, astronaute disparu en mission. Elle tourne en rond, et travaille à l’Ephad dirigé par sa mère. Tout change lorsqu’une rencontre extraterrestre lui fait la promesse de pouvoir ramener son ainé regretté, en échange du sacrifice de cinq personnes. Après J’ai perdu mon corps, j’ai perdu mon frère. C’est là encore le vertige du vide et de l’absence qui intéressent Clapin. Hélas, ce film sur la vacuité est peut-être trop rempli.

J’ai perdu mon tramway

Des extraterrestres promettent à Elsa de ramener son frère à condition qu’elle mette à leur disposition cinq corps. Cinq corps que les extraterrestres pourront investir. Ainsi, cette fiction rejoue le dilemme du tramway, bien connu des lycéens qui révisent le bac de philosophie. Face à un tramway s’apprêtant à écraser cinq personnes, un observateur a la possibilité de le faire dévier, pour qu’il n’en écrase qu’une. Peut-on sacrifier une personne pour en sauver cinq  ?

Clapin retourne cette éthique et explore la question inverse. Elsa peut-elle tuer cinq personnes pour en sauver une  ? Pendant ce temps sur Terre pose cette question dans un premier degré très bienvenu. Il ne s’agit pas temps de savoir s’il est éthiquement acceptable de faire le sacrifice, mais plutôt, de déterminer qui est sacrifiable. L’héroïne va étudier toutes les possibilités qui s’offrent à elle. Des vieux  ? Des méchants  ? Ou des esseulés  ?

Le prix de la fiction

La fiction s’interroge sur elle-même. Quels êtres peut-elle sacrifier  ? Quels corps peuvent être digérés pour panser nos blessures  ? Qui doit payer  ? Qui est quantité négligeable  ? C’est un questionnement analogue à celui qui travaillait Killers of the Flower Moon, dernier film de Martin Scorsese.

Clapin répond, consciemment ou non, à ces questions. Le seul personnage assassiné sans remords et sans doute par Elsa, est celui de Franck, qui tente auparavant de la violer. Le viol ici n’est pensé ni structurellement, ni politiquement, mais comme le fait d’un seul individu monstrueux. Franck, le violeur, est une brute épaisse, un ouvrier répugnant, vulgaire et crasseux, qui saute sur une jeune femme esseulée dans la forêt.

Cette représentation ne dit rien de la réalité massive du viol, c’est-à-dire une réalité domestique. Comme dans le rape and revenge, la violence sexuelle est un prétexte à la fiction et aux images spectaculaires. Ici, il sert à justifier moralement la seule image gore du film, à savoir l’émasculation à la tronçonneuse du violeur.  Une image dont on peine à comprendre le rôle dans ce récit, si ce n’est donner des gages en faveur d’une certaine idée du film de genre à la française.

J’ai perdu l’épure

Cette scène cristallise le fait majeur qui empêche le film d’être réellement réussi  : il veut trop en montrer. Pendant ce temps sur Terre ne passe pas loin d’être un beau film sur l’absent et l’invisible.  Où le spectateur pourrait croire que le grand frère perdu n’existe pas. Qu’il est quelque chose de plus grand, d’indécelable, qui fait irrémédiablement défaut aux pauvres créatures humaines.

Mais Clapin ne résiste pas à la tentation de nous faire voir le corps endormi du frère, de nous montrer l’espace, des navettes spatiales, des engins extraterrestres. Le plus souvent dans des séquences d’animation techniquement réussies, mais qui se greffent mal au reste du film.

Un cœur émotionnel bat derrière Pendant ce temps sur Terre, notamment grâce à la remarquable interprétation de Megan Northam. Mais l’émotion ne s’exprime jamais aussi bien que dans l’épure et la clarté de la mise en scène, qui était également la force de J’ai perdu mon corps.

You may also like

More in CINÉMA