LITTÉRATURE

« Pépite » – Dessiner les jours et les nuits

© Justine Thévenin, 2023

Huis clos ouvert aux fracas du monde, Pépite de Sarah Hassenforder met en scène deux jeunes femmes en colocation. Au creux du quotidien, elles s’entourent et s’interrogent. Comment s’aimer, se parler, vivre ?

« Tu te souviens du premier jour ? ». La pièce s’ouvre et, déjà, c’est le dénouement de l’histoire. Rina et Saskia se quittent mais Saskia, avant que Rina ne parte, lui demande de se remémorer ce qu’elles ont partagé. Au sein du salon de leur colocation, se rejoue l’histoire qu’elles ont vécue depuis leur rencontre jusqu’à l’annonce de leur séparation. Sarah Hassenforder nous percute dès la scène d’exposition. Autrice dramaturge, elle publie Pépite aux éditions Blast. Cette pièce, écrite en 2020, compose un diptyque avec la pièce, Billie & Bonnie. Elle a déjà écrit, Abribus, un texte pour la jeunesse et publié City Stade aux éditions Tapuscrit – Théâtre ouvert. 

Ordre & révolte

Comment ménager des espaces de survie dans un monde violent qui paraît sans issue  ? Au cœur de leur « appartement pourri » au « loyer trop cher », un salon avec un canapé défoncé, de la fumée de cigarettes, des piles de bouquins. Saskia et Rina se découvrent d’abord, se croisent ensuite, se rapprochent, se racontent, s’engueulent, se heurtent, se réconfortent. Elles font des pâtes, « pesto ou bolo », sortent, boivent. Rina, étudie. Saskia, a des relations sans lendemain. Une sensation de vacuité plane. Leur affinité féministe tente de colmater les failles avec les moyens du bord. Elles cherchent à bâtir une forteresse, de bric et de broc, de gestes et de mots, pour obtenir un peu de douceur, pour pouvoir dire ce qui les indigne. 

l’anxiété généralisée la peur de ne pas avoir de quoi bouffer l’envie de liberté les cassages de gueule les murs en pleine face les premiers amours les projets d’avenir l’avenir incertain la peur de ne pas trouver sa place dans le monde et de ne plus avoir de monde où trouver sa place

Pépite – Sarah Hassenforder

Silence & répartie

Pépite est l’histoire de deux voix. Parler n’est pas si simple. Pourtant, elles prennent la parole. Elles lui donnent corps. Elles activent sa puissance. La forme théâtrale choisie par l’autrice montre moins l’évidence de la conversation que le « grand silence » depuis lequel naît toute phrase prononcée. La parole est arrachée. Un cri déchire la toile.

deux voix / qui commencent à parler / tout doucement / comme pour ne pas déranger / deux voix qui se découvrent / qui s’appréhendent / qui s’affrontent / qui apprennent / qui s’aiment

Pépite – Sarah Hassenforder

Les dialogues, rapides, touchent juste. Si elles s’écoutent, jouent de l’art de la répartie, se charment ; d’autres fois, elles se froissent, ne se comprennent pas, se blessent, ne peuvent pas dire ce qu’elles voudraient. Les silences ont une éloquence palpable. Plusieurs scènes se déroulent sans aucune parole échangée témoignant parfois d’un malentendu parfois d’une compréhension secrète, tendre et muette. Ensemble, elles regardent un film, dansent, ne font rien :« SASKIA et RINA sont sur le canapé. La tête de SAKSKIA est posée sur les cuisses de RINA. L’une lit, l’autre est sur son smartphone. Elles respirent en même temps ».

Usant de la condensation, Sarah Hassenforder ramasse l’histoire en une centaine de pages. Celle-ci est d’autant plus impactante qu’elle fait le pari de ne conserver que le strict nécessaire – un lieu, deux femmes, une parole, du silence – pour mettre, au coeur, le lien qu’elles se fabriquent. Shot fictionnel, Pépite se lit d’un trait avec, pour effet, un afflux instantané d’émotions mêlées. 

Pépite de Sarah Hassenforder, éditions Blast, 104p., 12euros.

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