Claude contribue, avec son maxi single addition/soustraction, à la relève de la chanson française, tout en lui apportant une once de modernité. Chez lui, le piano et la techno se fondent habilement, invitant autant aux vibrations, qu’à la réflexion. Rencontre.
À travers son maxi single couplé addition-soustraction, Claude questionne les sensations contraires, que peuvent provoquer les relations amoureuses. Doté d’une sensibilité lucide, l’artiste parvient à peindre le trouble des émotions, tout en les rendant dansantes. La poésie rencontre les échos là où les sentiments se traduisent dans le synthé. Celui qui nous disait en 2023 « vivre l’écriture comme une confession », nous donne ainsi l’occasion d’utiliser ses maux, pour avouer les nôtres.
Tu as fait la première partie d’Eddy de Pretto sur un bon nombre de dates. C’est l’occasion de toucher un nouveau public : comment appréhendes-tu ces scènes ?
Claude : Je vais être honnête : au début, je ne voulais pas me lancer dans ces scènes-là. C’est un peu anxiogène comme exercice et d’autant plus difficile quand les gens ne sont pas là pour toi. Premièrement, je n’ai pas l’habitude du live. Deuxièmement, jusqu’ici, j’étais seul sur scène. Découvrir tout cela solo, seul face à un public de gens qui ne sont pas là pour toi, c’est le double piège, ou la double peine, si on peut dire cela comme ça.
En réalité, ça me faisait un peu flipper. D’un autre côté, c’était Eddy de Pretto. Donc il y avait aussi une certaine évidence à l’idée de le faire, de se lancer. C’était une occasion à ne pas rater. D’apprendre à travers Eddy, de le voir évoluer le long du concert sur la scène. De voir comment lui aborde la chose. C’est un artiste exceptionnel, et une réelle chance de le voir se produire en direct plusieurs soirs de suite, avec l’énergie qu’il possède. C’est même complètement dingue !
J’appréhendais pas mal la première partie. Mais finalement, avec le public d’Eddy de Pretto, ça se passe trop bien. C’est un public très bienveillant. Ce sont des gens qui t’écoutent, s’intéressent à ce que tu fais. Ils sont réceptifs. Je craignais le contraire : l’indisponibilité émotionnelle, intellectuelle. Que chacun boive sa pinte quoi (rires). Là, il y avait les pintes, et l’intérêt !
Ton maxi single addition/soustraction vient de paraître : ces premières parties te donnent aussi un avant-goût de la Cigale ?
Claude : Le maxi c’est tout à fait le préambule pour l’album ! Ce sont deux morceaux un peu introductifs de ce qui arrive. Oui, en quelque sorte, préambule c’est le bon mot. Logiquement, ça devrait arriver avant la Cigale, mais ça… c’est hors de mes mains : les dates de sortie, tout ça.
Les premières parties d’Eddy, ont été de belles surprises oui. Une ambiance agréable et qui porte ! Lorsque tu ouvres pour un artiste comme Eddy, tu as aussi la pression d’accompagner le public dans une certaine atmosphère. Celle qui les prépare à la tête d’affiche. Tu peux être une bonne pub ou une mauvaise, donc c’est vraiment à double tranchant. Mais j’ai eu la chance d’être très bien accueilli jusqu’ici !
Après des singles, un EP et ce maxi, est-ce que tu dirais que tu retrouves un processus créatif ? Comment naissent tes morceaux ?
Claude : Depuis le début de la création de l’album, je dirai que oui. Je découvre un cheminement créatif qui devient plus stable avec chaque morceau. Avant l’album, je faisais tout seul. Je n’aimais pas réellement ça, car je n’étais pas à l’aise avec toutes les étapes. Ce que j’aime c’est composer, écrire, topliner, les mélodies de voix. Faire des chansons. Alors que la partie production… ça m’intéresse, mais je n’ai pas le talent nécessaire pour être tout seul à la création d’un morceau.
Pour l’album, je voulais quitter ce format un peu hasardeux et m’entourer de gens doués dans leurs domaines, pour apporter une certaine stabilité aussi. J’ai commencé à travailler avec Alexis Delon, un mec ultra talentueux, qui travaille avec Zaho de Sagazan ou encore Disiz. On a très rapidement senti que le courant passait bien, d’un point de vue à la fois musical et amical.
Avec lui, on a développé notre propre façon de travailler, notre manière de faire de la musique ensemble. Souvent j’arrivais avec un truc pas terminé, mais des idées, des intentions. On prenait une journée en essayant d’aller le plus loin possible dans le morceau. En fin de journée on tentait de repartir de zéro, pour le lendemain. C’était très fertile comme processus. On ne s’attardait pas suffisamment sur une chanson pour se poser des questions. Comme ça, on ne perdait pas la fibre créatrice. On allait le plus loin possible dans un laps de temps assez court. On n’avait pas le temps de perdre du temps. C’était fantastique ! C’est là que je me suis découvert un certain rythme, une tendance. On avait une manière de fonctionner, qui relevait presque de la notice d’utilisation. Mais ce n’est pas une science exacte.
Tu as cette sensibilité qui te permet d’allier poésie lyrique et entrain mélodique. Est-ce que l’un prévaut (à) l’autre ?
Claude : Ce sont deux processus distincts, qui vont à un moment donné, devoir se croiser. Mais je les fais co-exister longuement avant qu’ils ne se rencontrent. Ce que je fais c’est essayer d’aller le plus loin possible dans le processus d’écriture, sans musique. Je ne vais même pas « penser musique ». C’est comme si j’écrivais une note d’intention ou une simple observation dans les notes de mon téléphone. Des sujets parfois tout bêtes, mais sur lesquels j’aurais écrit une cinquantaine de lignes. Je m’oblige à aller au bout et à digresser.
Ensuite, quand je suis sur de la musique, je vais commencer par faire de la mélodie de voix. C’est probablement la chose que je fais le plus facilement. L’écriture j’aime beaucoup, mais c’est réellement de la prise de note, ce n’est pas de la chanson à proprement parler. C’est vraiment écrire des conneries qui ne riment pas, qui n’ont aucun sens. C’est assez étrange et pas très beau à lire.
Une fois que j’en suis là et que je suis très à l’aise sur ce que je chante comme notes, qui n’ont toujours ni sujet ni paroles, alors je vais me demander ce que ça m’évoque. Et c’est là que je vais pouvoir piocher des phrases dans mes notes et essayer de les insérer dans la mélodie. Dès que j’ai ma mélodie de voix, les paroles se profilent relativement vite. C’est un travail de réflexion, de composition, de recherche et de compilation. Des procédés longtemps détachés, avant de se retrouver.
« addition » et « soustraction » : très complémentaires, ces titres abordent les relations, leur complexité. La musique est-elle une forme d’exutoire ?
Claude : Absolument. Pour moi, ce n’est rien d’autre que ça. Je pense que la musique, avec ou sans parole, chanson ou pas chanson c’est obligatoirement un exercice de catharsis, une manière d’évacuer les choses ou de vivre des émotions que tu retiens. C’est vraiment comme ça que je la vis. Ça ne me sert à rien d’autre que ça. Je n’écouterai jamais juste de la musique parce que c’est « dansant-cool ». Et pourtant, il y a des morceaux dansants-cools que je vais écouter, mais ce ne sera pas uniquement pour cet attribut. Ça va me procurer autre chose, ça va me permettre d’expérimenter une émotion que je ne ressens pas assez, par exemple. Je considère que la musique, c’est forcément un exutoire.
Je dirais même, que la meilleure musique, c’est celle dans laquelle tu plonges. Celle qui te surprend par les émotions qu’elle génère. Celle qui ira chercher l’abandon, la tristesse, ce genre de choses. Car ce sont des émotions souvent imprévues, et ce sont justement celles-ci qui nécessitent un exutoire.
Est-ce qu’il y a des musiques auxquelles tu n’es au contraire, pas réceptif ?
Claude : Oui, sûrement. Là je saurais surtout répondre à la question du genre que je n’écoute pas du tout : la chanson française. Donc le parallèle qui est souvent faire avec mes morceaux, est assez drôle. Je ne le réfute pas du tout : j’écris en français donc il y a indéniablement un premier rapprochement à établir, rien que là. J’aime bien l’idée d’y être rattaché, sans que ça soit une influence. C’est comme par accident.
Mais je ne m’y connais pas, tout simplement parce que je n’écoute pas, ça m’est étranger. Mes références seraient plutôt anglaises je dirais : américaines et british. Comme quoi … !
On remarquait dans ton EP Bientôt la nuit, une certaine attirance pour la nuit. Est-ce toujours ton moment de prédilection pour créer ?
Claude : Je pense que mon attirance pour la nuit est plus figurative que réelle. Je suis très « heure de réveil ? 7h30 ! ». J’ai mes habitudes et j’aime faire les choses selon une organisation.
Je dirais plutôt que la nuit c’est un moment clé de déblocage en termes de création. Notamment pour l’album. On a eu plusieurs résidences de création, avec des amplitudes horaires 10h30 – 2h du matin. La journée c’est un moment fantastique où tu fais beaucoup de choses, c’est une ambiance assez solaire : tu te poses beaucoup de questions, tu prends du recul.
Alors que le soir tu es plus vulnérable, tu as moins de recul. Ça devient relativement automatique : les émotions sont là. Les déclics sont plus naturels, les choses se débloquent. On y trouve des solutions, pour terminer un couplet en 30 secondes, parce qu’on est moins dans cette « grande réflexion ». La nuit amène souvent de la simplicité. Une simplicité fantastique car confortable. Ne plus être dans l’examen permanent de ce que je fais, dans la réflexion et le contrôle.
Participes-tu à la direction artistique de tes visuels ?
Claude : Aujourd’hui c’est quelque chose que je fais, notamment pour l’album. Jusqu’ici, j’ai surtout beaucoup fait confiance, parce que j’aimais savoir que des personnes très calées, puissent s’exprimer artistiquement en utilisant ma musique. J’aimais l’idée d’associer son et image.
Aujourd’hui, je serai moins à l’aise de laisser quelqu’un d’autre s’occuper des visuels car ce ne serait pas moi. Ils ne me représenteraient pas, ne colleraient pas nécessairement avec ma vision des choses. Je ne sais peut-être pas toujours ce que je veux voir. En revanche, je sais ce que je ne veux pas voir !
Donc j’aime avoir une main mise, aussi sur la continuité visuelle. Pour addition/soustraction, je voulais de la cohérence. Donc beaucoup de discussions, d’échanges, de références, … Ça m’a aidé à comprendre que je ne voulais pas de clip. Ça ne m’intéressait pas sur ces morceaux. Je voulais des petits visuels d’une minute qui ont une idée forte. Une idée, très simple, très directe et qui laisse davantage de place à la musique. L’illustration est très simple, très figurative, de ce que tu racontes.
Tu es d’avis que les visuels déconcentrent de la musique ?
Claude : Non. Justement ! Mais de nos jours, il me semble que peu de gens parviennent à faire un contenu authentique, novateur, avec une identité et des idées fortes. À mon goût, c’est souvent de la promotion, de la pure publicité sans trop de valeur. J’aime l’idée des visuels, je trouve ça même génial. Mais aujourd’hui j’ai tendance à les trouver moins pertinents qu’avant.
C’est souvent réduit à juste un beau visuel, avec une belle caméra, c’est bien trimé, c’est un beau grain mais tu ne racontes rien. T’es bien sapé et tu chantes ta chanson. À mon goût ça avait plus de valeur il y a 10 ans. Quand j’étais jeune ado et que je pouvais passer ma journée sur youtube ou à regarder la 17. Pour l’histoire que ça racontait, pour la déclaration artistique. Il y avait des collectifs, c’étaient des réels artistes. Ils ont fait des clips qui ont encore une portée de nos jours ! Bien sûr il y a des exceptions. Mais majoritairement, je trouve que c’est devenu un peu chiant… En espérant que je ne tombe pas dedans !
Claude, le 18 novembre 2024 à la Cigale. D’ici là, à la programmation de nombreux festivals.