Le spectacle de Lia Ionel et Wanda Efremov-Bobescu nous embarque dans une quête faite de déracinés, de familles inconnues, et des vies fantasmées. Pour notre plus grand plaisir.
Si nos père ne rêvent plus en roumain, alors, comment rêvent-ils ? Et surtout, de quoi ? Voilà la question que Lia Ionel et Wanda Efremov-Bobescu se posent à propos de leurs pères. Avec ce spectacle, ces deux amies aux racines et aux questionnements communs, interrogent leurs histoires familiales et font défiler les milles questions qu’elles aimeraient oser poser à leurs pères. Que faire lorsque l’on se trouve à cheval entre deux cultures et, qu’au lieu de sentir enrichie, on ne parvient à dépasser l’inconfort et le sentiment de décalage ? Comment se réconcilier avec un héritage passé sous silence ?
Les adultes cachent bien des choses aux enfants. Ils pensent que, puisque leurs facultés ne sont pas encore pleinement développées, il sera facile d’occulter ce qu’ils veulent et construire une vie sans les bagages que l’on traîne derrière soi. Mais l’enfant, même sans avoir les mots pour s’exprimer, voit, entend et, plus que tout, comprend. Petites, Lia Ionel et Wanda Efremov-Bobescu ont entendu, dans le silence de leurs pères, le passé caché, celui qui fait un peu mal au cœur et qui serre l’âme. Pour interroger ce silence, elles ont décidé de se tourner vers ce qu’elles aiment le plus, le théâtre, et de monter sur scène. Le public comme antidote radical au secret et au silence. Danser, chanter, faire du théâtre, c’est aussi la première chose qui les a rapproché de leurs pères, l’un violoniste et l’autre circassien. De ce point commun elles font le point de départ d’une quête bouleversante.
Une ballade au fin fond des racines familiales
Cela commence avec un drap blanc. Un drap qui ne se soulève qu’à la force des questions et de l’incompréhension. Et puis tout éclate. On se retrouve projeté dans tourbillon étourdissant qui mélange petite et grande histoires. D’où tu viens, papa ? Pourquoi ne me parles-tu pas de ce pays que tu as laissé ? Pourquoi n’y allons-nous jamais ? Les deux co-autrices signent un texte aussi subtil que riche qui parvient à percer la couche de secrets et de non-dits. En mêlant objectivité et subjectivité, les deux artistes questionnent l’histoire autant que leurs propres peurs. A la fin, pas de vérité universelle mais “une” vérité, celle de leurs familles.
A chaque culture son lot de stéréotypes, souvent tirés d’une vérité progressivement déformée. Lia Ionel et Wanda Efremov-Bobescuelles, en ont entendu des clichés sur la Roumanie mais ont décidé d’en faire une force. C’est même via eux qu’elles vont se plonger au cœur de leur pays et de sa culture. Il y a donc, au milieu de cette œuvre saisissante de réalisme, un interlude au sein duquel le spectateur va pouvoir se confronter au Comte Dracula. Joan Brunet-Manquat interprète le sombre sire avec passion et sincérité, se mettant totalement au service de l’écriture. Dracula a beau être grand et magnifique, il se soumet pourtant soumis à la quête de vérité des deux jeunes femmes. Il apparaît comme dans un cauchemar, anti-héros qui finit par se transformer en guide mi-ironique, mi-sincère.
Ce qui fait la force de ce spectacle, au-delà de l’écriture, est la formidable symbiose des deux actrices. Elles ont commencé chacune de leur côté, seules face à leurs questionnements. Il aura suffi d’une soirée, d’une danse et d’une chanson, pour que leurs regards et leurs vies se croisent. Ce spectacle est issu de la rencontre de ces deux solitudes qui on trouvé, à deux, le courage de lancer cette quête. Une formidable ode à cette richesse inestimable, y compris quand elle est parfois difficile à apprivoiser.
Nos pères ne rêvent plus en roumain, tous les vendredis à 21h jusqu’au 7 juin au Théâtre la Flèche. Informations et réservations.
