CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2024 – « Le Deuxième acte » : Stars, système et pensée réactionnaire

Le Deuxième acte © Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma
Le Deuxième acte © Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

HORS COMPÉTITIONMardi soir, le Festival de Cannes s’ouvrait sur le dernier métrage en date du prolifique Quentin Dupieux : Le Deuxième acte. Un geste de programmation dont la portée politique doit être questionnée, en ce qu’il déroule le tapis rouge à la pensée réactionnaire. 

Ça commençait plutôt bien. Avec un discours tout en ironie, Camille Cottin ouvrait ce 77ᵉ Festival de Cannes en lui donnant un certain accent féministe. L’actrice allant même jusqu’à désigner le patriarcat comme le «  plus grand méchant de tous les temps  ». Une cérémonie d’ouverture en mode «  girl power  » donc, avec les participations de Juliette Binoche, Meryl Streep, Greta Gerwig et Zaho de Sagazan, et placée sous le signe d’un féminisme universaliste –  laissant, à ce titre, de côté d’autres grands méchants bien vilains de l’histoire, comme le racisme. Pas de palme de la radicalité donc, mais il n’en reste pas moins que, prononcés dans le temple sacré de la cinéphilie, les mots de Camille Cottin revêtaient une saveur particulière. 

Back to business

Mais les contes de fées n’existent pas, l’histoire du cinéma en a fait la démonstration à de nombreuses reprises. Et le 77ᵉ Festival de Cannes s’est bien vite chargé de rappeler à l’ordre celles et ceux qui auraient eu la naïveté de croire en sa magie, en proposant en film d’ouverture Le Deuxième acte. Le dernier Dupieux étant en effet aussi gênant que réactionnaire.

Dans cette tragédie bien trop moderne, David (Louis Garrel), tanne son ami Willy (Raphaël Quenard) pour qu’il séduise une jeune femme, Florence (Léa Seydoux), follement amoureuse de lui, mais dont il ne veut pas. De son côté, cette dernière souhaite présenter David à son père, Guillaume (Vincent Lindon). Les quatre finissent par se retrouver dans un restaurant isolé, nommé Le Deuxième acte, où ils feront la connaissance de Stéphane, figurant rongé par le stress (Manuel Guillot).

Louis Garrel et Vincent Lindon en train de discuter à l'extérieur du Deuxième acte
Louis Garrel et Vincent Lindon dans Le Deuxième acte © Chi-Fou-Mi Productions – Arte France Cinéma

Quentin Dupieux y engage une réflexion sur la capacité du cinéma à continuer à faire rêver dans un monde qui s’effondre, et sur l’hypocrisie de certains de ses acteurs.  Et il faut admettre qu’en cet endroit le casting aurait pu produire un effet comique irrésistible, si les dialogues n’avaient pas consisté en l’enchainement de propos aussi vains que ridicules. Ainsi de cette comparaison étirée jusqu’à plus soif entre le cinéma et les musiciens du Titanic ayant joué jusqu’à son naufrage définitif, ou encore du «  jeu  » qui se crée autour de l’homosexualité supposée de David. 

Les rares passages pertinents du Deuxième acte sont ainsi ceux qui jouent à fond dans l’autodérision. Vincent Lindon disserte sur la vanité du cinéma dans un monde en crise, avant de retourner sa veste lorsqu’un grand réalisateur américain lui propose un rôle. Et celle qui joue sa fille, Léa Seydoux, demeure complètement hermétique au réel et à ses enjeux politiques. Le jeu avec la façon dont sont perçus – et se comportent – ces acteur·ices par le public a quelque chose d’amusant, il est vrai. Mais ce rire demeure cynique, et ne peut ni éclipser, ni justifier les propos réactionnaires qui traversent Le Deuxième acte.

Star’éac

Le réalisateur prend bien soin de planter le décor dès l’ouverture  ; un très long travelling arrière durant lequel David s’emploie à convaincre Willy de séduire Florence, afin que celle-ci se détourne de lui. Mais Willy, n’est pas dupe  ; si Florence est aussi belle que ce que dit David, pourquoi diable voudrait-il s’en débarrasser  ? «  C’est un travelo ou quoi  ?  » s’exclame-t-il dans un élan de spontanéité vite réprimé par David  : «  Tu ne peux pas dire ça Willy, nous sommes filmés  ». 

Le rideau se lève sur le dispositif qui structure Le Deuxième acte ; notre quatuor d’acteur·ices tourne un film dans le film. Un tour de passe-passe scénaristique que Dupieux semble avoir jugé suffisant pour justifier l’insupportable dialogue transmisogyne dans lequel s’engagent alors David et Willy. Un interminable échange de répliques visant à déterminer ce qu’est une vraie femme pour les deux hommes, en forme de guide pratique de la pensée réactionnaire à propos de l’existence des femmes trans – et de leurs parties génitales.

L’ambition de Dupieux  : permettre à sa clique de stars bien installées dans l’industrie cinématographique, de s’engager dans un exercice réflexif. Qu’est-il encore possible de dire, et de faire, aujourd’hui… du moins aux yeux de tous  ? David dira d’ailleurs à Willy «  Il y a des trucs qui ne se disent pas, ce n’est pas moi qui fais les règles  ». Voilà le spectateur prévenu, les limites semblent avoir bougé. En somme, on ne peut plus dire grand-chose  !

Léa Seydoux soigne Raphaël Quenard dans Le Deuxième acte
Léa Seydoux et Raphaël Quenard dans Le Deuxième acte © Chi-Fou-Mi Productions – Arte France Cinéma

Le grand recyclage

Les défenseurs du cinéaste ont beau jeu prétendre que le film ne se lit pas au premier, mais au deuxième, voire troisième ( !), degré. Il apparait plutôt que le recours à un édifice théorique si élaboré en vue de justifier les pires propos transphobes cache un manque cruel d’imagination. Car non, le dispositif ne justifie pas tout.

Dupieux se voudrait avant-gardiste  ; il ne fait que recycler un imaginaire banalement médiocre. Celui d’une bourgeoisie blanche et patriarcale, qui voit certaines de ses certitudes remises en cause. Le deuxième acte est une mise en forme du backlash – ou retour du bâton – qui sévit après chaque avancée sociale. 

En témoigne cette séquence, un peu plus loin dans le film, où Willy tente d’embrasser Florence par surprise dans les toilettes du restaurant. « Ça va, ce n’est pas un viol non plus  », se défend-il lorsque la jeune femme le repousse. Puis à elle d’asséner : «  Si je raconte ça à la presse, ta carrière est finie  ». L’on aimerait pouvoir rire avec Dupieux de cette industrie malade, incapable de s’organiser collectivement pour prendre en charge les enjeux liés aux violences sexistes et sexuelles qui la structurent. Mais force est de constater que son Deuxième acte n’est en définitive qu’un plaidoyer pour le «  on ne peut plus rien dire  », ou encore pour la «  liberté d’importuner  », pourtant bien bavard et qui finit, comme toujours, par se moquer de celles et ceux qui se battent ne serait-ce que pour exister. 

Les tragédies se composent de cinq actes  ; formons le vœu que celle-ci reste inachevée. 

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