CINÉMA

« Heroico » – Nacido para matar

Heroico © Paname Distribution
Heroico © Paname Distribution

Ayant fait vibrer le Mexique par son sujet polémique, Heroico, le dernier film de David Zonana, met en lumière les défaillances de l’armée mexicaine. Mélangeant ultra réalisme violent et métaphores poétiques, le réalisateur critique un système hiérarchique, mais aussi la société dans son ensemble.

Au début, Heroico paraît être un remake mexicain de Full Metal Jacket. Mais le film de David Zonana ne peut se résumer à cette comparaison. Ce n’est pas la guerre qui est au cœur de la critique du film, c’est l’armée. Cette critique se développe à travers l’histoire de Luis, un jeune homme mexicain, descendant de natifs, s’enrôlant dans l’armée afin d’obtenir une mutuelle pouvant prendre en charge le traitement de sa mère. Mais ce choix le fait rentrer dans une machine où les plus âgés maltraitent mentalement et physiquement les nouveaux.

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Pour le déshonneur du Mexique

Les histoires de bizutage dans le milieu militaire ne sont pas nouvelles. Toujours violent et dégradant, ce « rite de passage » est à la base d’un système sadique et immoral. Les personnages principaux (Luis, Mario, Suarez et Raton), des « poulains », c’est-à-dire des nouveaux, vont subir ce bizutage, certains plus que d’autres. En effet, si Luis s’en sort plutôt bien, les trois autres vont être les victimes d’Eugenio Sierra, leur supérieur hiérarchique et ses sbires.

Le traitement du personnage de Sierra est un peu cliché, voire bancal par moments. Mais il est avant tout une incarnation de la critique de l’armée. Sa brutalité et son insensibilité sont les conséquences d’un système violent qu’il a subi et qu’il fait subir aux autres. En protégeant Luis, en lui octroyant un traitement de faveur et en le manipulant, Sierra cherche à le modeler à son image, à le rendre aussi sadique et indifférent que lui afin de continuer ce cycle systémique de violence.

Mais Sierra n’est pas le seul à alimenter ce cycle. Le général Arriaga, l’un des dirigeants de l’école militaire, fait lui aussi partie du problème. Lorsqu’un des poulains disparaît à la suite d’un passage à tabac, Arriaga étouffe l’affaire et laisse Sierra continuer son traitement inhumain.

En ayant deux personnages à des niveaux de hiérarchies différents, mais agissant de manière commune, Zonana dénonce un problème qui n’est pas seulement lié à la personnalité de Sierra. Cette violence est ancrée dans les institutions et encouragée, en quelque sorte, par l’armée. La critique proposée n’est pas subtile, mais ce n’est pas le but. C’est un coup de pied dans la fourmilière, un film fait pour choquer et bousculer l’opinion publique. Et cela, Zonana le réussi.

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La patrie d’abord

« La patrie d’abord », disait Vicente Guerrero à ses officiers durant la guerre d’indépendance du Mexique. Cette patrie à défendre avant tout, c’est celle de Luis. Et pourtant ça ne l’est pas non plus. Un magnifique plan résume ce décalage lié aux origines indigènes du jeune soldat : dans un rêve, Luis se jette dans le vide tandis qu’un aigle royal, emblème du Mexique, reste sur place. Tout au long de son histoire, le Mexique a discriminé les natifs. Ils font partie des populations les plus pauvres du pays. Le lieu lui-même met en avant cette colonisation et cette oppression. Une statue représentant un dieu Aztèque trône au-dessus du camp et rappelle que ce lieu appartenait aux populations indigènes.

La critique de la colonisation s’ajoute à celle de l’armée et transforme Heroico. C’est la société mexicaine, toute entière, qui est ciblée. La violence de l’armée est un reflet de la violence de la société, née de la colonisation. Le refus de Luis de parler sa langue indigène avec Raton, lui aussi natif, appuie cette idée d’assimilation qui est une nécessité plus qu’une volonté. Ce second degré de lecture du film, plus discret par rapport à la critique de l’armée, permet au spectateur·rice de se reposer les mêmes questions, mais à l’échelle du pays.

Comment arrêter ce cycle ? Des individu·e·s seul·e·s peuvent-iels s’opposer à un système oppressif ? L’embrigadement est-il évitable ? Luis est-il une victime ou un complice ? Si le réalisateur ne donne pas les réponses à ces questions, c’est parce qu’il veut que la population mexicaine y réponde elle-même. Comme d’autres films traitant de l’Amérique latine, il veut mettre en avant les contradictions nées des mouvements d’indépendance, qui ne reconnaissaient pas les peuples indigènes comme des égaux. Il est éminemment politique.

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Poésie en mouvement

Outre la politique, le film est aussi riche dans sa mise en scène. Les rêves s’introduisent dans le montage et prennent de plus en plus de place dans la narration. Les doutes et les angoisses de Luis perturbent le récit jusqu’à ce que lae spectateur·rice ne sache plus différencier rêve et réalité. Cette dominance des rêves apporte des métaphores visuelles riches et variées, mais alimente aussi la tension du spectateur·rice puisque ces instants sont souvent mis en scène comme un film d’horreur.

Mais ce n’est pas seulement la mise en image des rêves qui est maîtrisée. L’utilisation de la perspective et de la symétrie rend les espaces menaçants et irréels. Les décors font partie intégrante du récit et chaque lieu est imbibé d’une émotion qui touche lae spectateur·rice à chaque apparition.

La forme et le fond sont travaillés ensemble et forment un argumentaire cherchant à convaincre les spectateur·rice·s. Les rêves et la réalité se lient comme des rimes. Les figures de style passent du texte à l’image, les métaphores dominant le tout. En somme, Heroico est une poésie en mouvement. Une poésie engagée.

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