Aime-t-on de la même façon selon notre lieu de vie ? La ville, plus particulièrement, est-elle un tue-l’amour ou un terreau fertile ? Dans son essai Foules sentimentales, la journaliste Pauline Machado décortique la notion d’amour à la ville.
On connaît la chanson depuis l’enfance, mais depuis quelques années, le refrain sonne d’une drôle de façon. L’amour, toujours l’amour, égalitaire et inconditionnel vraiment ? Il bruisse dans les pages des essais féministes comme un bruit de révolte, une petite révolution. Il y a parfois une forme de lassitude nous souffle-t-on dans cette course à la rencontre (Dating fatigue de Judith Duportail, 2020) ; il y a aussi d’autres horizons possibles sans romance dans l’équation (Post-romantique d’Aline Laurent-Mayard, 2024). Mais avec ou sans elle, la question de l’amour, véritable révélateur sociologique, continue d’occuper et de fasciner.
Sans tourner le dos à l’amour, Pauline Machado aborde ce sujet vieux comme le monde via un angle d’une évidente richesse. La journaliste et désormais essayiste, s’intéresse à l’amour dans ce qu’il a de géographique. S’il est évident qu’il y a des inégalités de territoire dans l’accès à l’éducation ou à la culture, pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’amour ? Sous forme d’enquête sociologique, l’essai Foules sentimentales décortique les relations amoureuses selon les lieux de vie en se posant une question : ces « foules sentimentales » qui ont « soif d’idéal », sont-elles les mêmes à Paris, Marseille et Brest ?
De la Big Apple à la capitale britannique en passant par la sacro sainte ville de l’amour, et après sondage assidu de mes proches, le constat est le même : rencontrer quelqu’un de bien, quelqu’un qui nous veut du bien dans une grande ville est une galère sans nom. Une galère qui ne laisse pas indemne. […] Pourquoi ? Est-ce la vie citadine qui piétine notre petit cœur ? Se prend-on en pleine face le revers d’une glamourisation évidente de ce que ces quelques agglomérations auraient à nous offrir ? […] Est-on gonflé·e à bloc d’expectatives irréalistes, d’un besoin de compétition nocif même sur le plan amoureux, à cause de l’hyperconsommation et de la surproductivité qui s’y exprime plus qu’ailleurs ?
Foules sentimentales, comment la ville impacte l’amour de Pauline Machiado
Lieux de l’amour
Lorsque nous étions enfants, les contes de fées présentaient déjà la ville, symbolisée en château, comme un eldorado. Il fallait à tout prix aller au château rencontrer le prince et fuir la périphérie floue – le foyer terrible occupé par la marâtre et les demi-sœurs Javotte et Anastasia. Le bal, devenait alors l’acmé de l’histoire, lieu de rencontre et de reconnaissance. Plus tard, le mythe s’est transformé, les limousines ont remplacé les carrosses, le château est devenu ville et les bals se sont changés en soirées. Cendrillon a prit l’apparence de Carrie Bradshaw (Sex and the City, 1998-2004), Anna Scott (Coup de foudre à Nothing Hill, 1999) ou Marissa Ventura (Coup de foudre à Manhattan, 2002). Entre temps il y a eu Madame Bovary, Guerre et Paix, Les Quatre filles du Docteur March, avec toujours cette obsession : la ville et ses foules.
Avec ce premier exemple, Pauline Machado interroge l’éternel couple amour et ville. Chiffres et témoignages à l’appui, elle traque les clichés pour mieux en pointer les failles, souligne les évidences pour qu’on ne les oublie pas. En huit chapitres, elle passe au crible tout ce qui constitue l’amour contemporain et le couple, qu’il soit hétéro ou non : des applications de rencontres au coût de la vie ; des rom-coms au main character syndrome ; des banlieues aux campagnes ; sans oublier l’anonymat citadin salutaire ou cruel.
La ville est une toile inachevée, en perpétuel mouvement. C’est justement ce qui en fait un territoire à la fois fascinant et fertile en nouveaux modes de vie, en nouveaux modes d’aimer. Un endroit où l’on peut se perdre et se retrouver, soi ou avec l’autre, que l’on ne réussit jamais vraiment à maîtriser et qui ne cesse de nous surprendre. On peut se réinventer en ville. Tout recommencer. Ou, à l’inverse, choisir de garder ce qui nous touche, et y ajouter ce qui nous manque.
Foules sentimentales, comment la ville impacte l’amour de Pauline Machiado
L’amour est avant tout géographique : une idée simple qui fait germer de nombreuses pistes. Jonglant entre références à la pop culture, la philosophie et les enquêtes de terrain, Pauline Machado brosse avec légèreté le portrait de l’amour en ville, de ses possibilités et de ses limites. Pour que l’on porte un regard critique au ronron d’un air mille fois entendu.