HORS COMPÉTITION – SÉANCE DE MINUIT – Avec The Surfer, la sélection parallèle met à l’honneur l’Australie et ses célèbres plages de surf. Après un premier passage mitigé à Cannes il y a cinq ans, le cinéaste irlandais Lorcan Finnegan revient avec une proposition originale et aboutie.
Après une vie passée aux États-Unis à soigner son évolution professionnelle au détriment des liens familiaux – sa femme prépare les papiers du divorce -, un homme (Nicolas Cage), nommé « le Surfeur », revient avec son fils sur sa terre natale, en Australie. Il veut racheter la maison de son grand-père. Perchée en haut d’une falaise, c’est une vaste demeure qui l’a vue grandir et s’essayer au surf. Mike, son courtier, lui signale qu’il manque tout de même 100 000 dollars pour conclure la vente. S’il ne les trouve pas, la propriété sera rapidement vendue à d’autres. Le temps d’une après-midi, le Surfeur met cette situation épineuse de côté en emmenant son fils surfer sur la plage de son enfance. Ils y font alors la rencontre de Scally et de sa bande, les Bad Boys. Ces derniers leur bloquent l’accès, argumentant que seuls les locaux peuvent passer. Pour le père, l’offense est de taille. Quoi qu’il en coûte, surfer sur ces vagues avec son fils devient son unique priorité. Esthétiquement soigné et gorgé de vérité,The Surfer interroge les douloureuses dérives que peuvent entraîner la quête de la justice et une approche étriquée de la masculinité.
Descente aux enfers
Le film s’ouvre sur le père et le fils dans une voiture. Au bout de quelques mètres, le premier énonce gravement ce qui semble être le résultat d’une mûre réflexion : « Personne ne peut arrêter les vagues. C’est de la pure énergie. ». Finnegan va-t-il livrer un conte édictant une sage pédagogie ? Non, car le père du garçon enchaîne : « C’est le speech le plus philosophique que j’aie jamais fait sur le surf en tant que miroir de la vie. ». Ce premier échange illustre exactement ce qui va suivre. Tout au long de son scénario, le cinéaste se joue des codes. Il tourne en dérision le sérieux avec lequel ils sont souvent amenés. Non sans un humour, tantôt cynique, tantôt franchement comique.

La mise en scène de The Surfer a des airs de huis clos – bien que tourné exclusivement en extérieur. Il y a la fameuse plage interdite, son parking et ses toilettes publiques. Qui plus est, ces lieux s’articulent durant tout le métrage sous le seul point de vue du Surfeur. Un parti pris brillant, puisque cette subjectivité permet de renforcer la pénible descente aux enfers de ce père isolé.
L’on assiste à des instants de grande angoisse, d’autres de camaraderie ou bien de fortes altercations, d’autres encore, d’introspection approfondie. Seul face à lui-même, le Surfeur se voit sombrer. Les moyens qu’il a de s’en sortir se réduisent chaque jour davantage. Il faut dire que la majorité des personnes avec qui il interagit ne lui sont pas d’une grande aide. Finnegan n’épargne pas son personnage, et certaines séquences sont d’ailleurs franchement cruelles.
Justice à la dérive
Au fur et à mesure des événements, le protagoniste sombre dans les méandres douloureux de la détresse physique et psychique, repoussant ses propres limites. De la même manière, le réalisateur exploite en profondeur l’esthétique représentant cette décroissance. Pour ce faire, il propose des choix visuels et sonores bien particuliers. Colorée, grainée, l’atmosphère générale réfère directement aux seventies. Les connotations sont tantôt subtiles, tantôt expressément grossies. Ainsi, filmés caméra à l’épaule, des plans très serrés s’insèrent ça et là. Ils insistent sur d’infimes détails du décor, des mouvements précis ou des bouches s’étirant en des rires grondants et moqueurs. Grâce à ce travail, remarquablement soigné, de la photographie et de la composition des plans, le cinéaste assume finement et sans détours son intérêt pour ces visuels. Un moyen de contraster avec la misère croissante qui envahit le Surfeur.
Dans sa volonté de se défaire des clichés, Finnegan met en exergue le grotesque des situations. Scally, le leader des Bad Boys – un choix de nom déjà moqueur de la part de Finnegan – est un être sanguin, violent, profondément misogyne. Érigeant le surf en une religion élitiste, il est farouchement convaincu que glisser sur les vagues se mérite. En témoigne la devise de la bande : « Souffrir, surfer ». Telle une prière, ces hommes répètent ces deux mots en boucle, autour du feu, avant de marquer les nouveaux membres au fer rouge lors de veillées censées les intégrer. Finalement, cela finit par se retourner contre eux, illustrant ainsi la dérision dans laquelle le cinéaste tourne cette masculinité exacerbée.
Sous ses airs légers et expressément moqueurs,The Surfer croise les thématiques. Chacun des personnages suit le sens qu’il donne à sa lubie, et Finnegan avance que ce sens naît d’une réflexion parfois juste, parfois absolument faussée par une idéologie nocive. La force de son scénario est de ne pas transformer et faire aboutir cette quête à une issue larmoyante, ou encore utopiste. Le tout, sans se prendre au sérieux, et démontant en ce sens les amorces conjecturales les unes après les autres.