Le comédien du Munstrum Théâtre aidé par son camarade Yann Verburgh à l’écriture, revient avec fantasie sur une légende de son village natal d’Alsace pour mieux raconter son itinéraire de comédien.
Quiconque a déjà mis les pieds au festival « off » d’Avignon sait que les seuls en scène y sont légion : avec leur nombre restreint d’acteurs et leurs faibles besoins en décors, ils sont peu chers à produire et plus faciles à orchestrer qu’un spectacle choral – souvent, d’ailleurs, les textes présentés sont autobiographiques. Autant dire qu’il s’agit de la formule idéale pour se lancer dans le grand bain du théâtre lorsque l’on débute. C’est cette même formule qu’a choisie un comédien loin d’être un bleu, Lionel Lingelser, quarante ans (« je ne les fais pas, hein ? », dit-il, l’air de narguer le public, durant les premières minutes de la représentation) et cofondateur du Munstrum Théâtre, compagnie queer et grande adepte du burlesque, dont le récent 40 degrés sous zéro, avec ses scènes de gores et ses costumes qui empruntent à l’univers drag, a rempli à ras bords la grande salle du Rond-Point quelques mois plus tôt.
Dès lors, comment surprendre lorsque l’on emprunte une voie qui ne réserve plus beaucoup de surprises ? « C’est super dur de commencer un spectacle », tranche d’emblée le quadra, entré en fanfare par l’arrière de la salle (« allez-y, dépêchez vous », nous glisse-t-il à devant les portes, prêt à partir, alors que l’on accuse quelques minutes de retard) avec un grand tambour dans les bras, une longue cape noire sur les épaules et une couronne de roi vissée sur la tête. Plutôt que de raconter directement l’histoire de Lionel, Lionel raconte l’histoire d’Hélios, sorte d’avatar fictionnel de son interprète venu d’un petit village d’Alsace lui aussi, le prénom mégalo en plus.
Mosaïque de personnages
Alimenté par une multitude de « morceaux chosis » sur son itinéraire de comédien, le texte des Possédés d’Illfurth, se prête à toutes les interprétations. Paradoxalement, il faut bien le dire, dire les personnage ne manquent pas dans ce « seul en scène ». Il y a Hélios, évidemment, jeune alsacien timide qui nourrit le rêve d’être comédien, mais aussi le premier metteur en scène qui le fait jouer – sur scène, le comédien interprète tour à tour le rôle de son interlocuteur, dédaigneux et fantasque, et le sien, terrorisé et timide : « Qu’est-ce que tu cherches, exactement ?, lui hurle le metteur en scène. – Je cherche… je sais pas… El Duende… – El Duende ? » Plus drôle encore que cette longue séquence de maltraitance théatrâle, le fameux passage sur les possédés d’Illfurth, légende locale selon laquelle deux petits garçons du village auraient été exorcisés cent cinquante ans plus tôt. Sur scène, Lingelser mime, à grands coups d’accent alsacien, le prêtre qui, au cathéchisme, leur rabattait cette légende en boucle. Avant d’affirmer, revenu à son personnage de metteur en scène – à l’accent espagnol et aux mimiques exagéréments maniérées – clame : « C’est ringard de faire les accents sur scène ! Plus personne ne fait ça de nos jours ! »
Autre prouesse de ce spectacle mis en scène avec quelques bouts de ficelle – pas de décor, presque pas de costume, un seul homme sur scène -, la richesse de son univers et la finesse de son écriture, qui tantôt offre de beaux moments burlesques, tantôt de difficiles confidences. Lors d’une représentation de sa première pièce de théâtre donnée à Illfurth, sur les traces de son enfance, Hélios se remémore les viols perpertrés par Bastien, un garçon de son cours de baskets. L’introspection qui suit est douloureuse : « pourquoi m’a-t-il choisi moi ? », se demande-t-il, constatant qu’il doit en partie la découverte de son homosexualité à un viol. Face à tout le village qui le regarde, Hélios a un trou de mémoire, tombe dans un trou noir (notez la métaphore visuelle), avant d’être secouru par un dragon, la Vierge Marie – une diva capricieuse et accro à la drogue -, puis les petits possédés d’Illfurth… La boucle est bouclée.
Les Possédés d’Illfurth, un spectacle de Lionel Lingelser (interprétation, mise en scène, écriture) et Yann Verburgh (écriture). Au théâtre du Rond-Point du 14 mai au 1er juin 2024. Informations et réservation.