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À Lausanne, le vent nouveau du festival Programme Commun

Programme Commun
© Philippe Weissbrodt

Imaginée notamment par Vincent Baudriller, la manifestation propose une programmation commune à plusieurs grands théâtre pour faire émerger de nouveaux talents suisses.

Le soleil brille en ce début de mois de mars sur la terrasse du théâtre du Vidy, grande bâtisse installée aux abords du lac Léman, à Lausanne. Doucement, spectateurs et badauds affluent au gré de la programmation du Programme Commun, ce « festival » imaginé conjointement par les trois grands centres de création de la commune suisse. Le principe est simple : « pas de budget supplémentaire », explique Vincent Baudriller, le directeur de Vidy. Simplement une programmation commune entre Vidy (et sa programmation de pièces issues du circuit public), l’Arsenic (connu pour ses propositions plus radicales), et Les printemps de Sévelin. L’objectif : faire émerger de jeunes artistes aux propositions originales et radicales, dans un pays, la Suisse, où les performeurs peinent souvent à passer les frontières et se faire connaître à l’étranger.

«  L’idée est de stimuler la curiosité des publics, de mettre en avant le dynamisme de la scène suisse à travers des artistes dont nous défendons le travail en dehors même du festival, des artistes ouverts sur le monde qui, souvent, arpentent les territoires d’autres cultures  »,

Vincent Baudriller, directeur du théâtre Vidy Lausanne dans « La Terrasse »

Le premier week-end de festival s’ouvre sur la performance de Melissa Guex – dont le spectacle sera programmé au festival Paris l’été – et sa performance Down – Full Album. Une centaine de spectateurs s’infiltre dans une grande salle vide, aux abords de laquelle sont disposés quelques traiteaux. Pas de chaise, pas de scène, seulement les grandes planches roulantes sur lequelles le public s’installe en silence. Au milieu de la pièce, comme un centre de gravité, le batteur Clément Grin joue à la batterie des airs rapides, qui rappellent les basses d’une soirée techno.

Venue d’un des coins de la pièce, Melissa Guex, maquillage pailleté et mouvements rapides, robotiques, s’avance dans la salle, progressivement. Jusqu’à chasser, au rythme des basses, les spectateurs, du coin où ils se sont assis. Impressionnante, la performeuse passe d’une grappe de spectateur l’autre, jusqu’à ce que tous les spectateurs – à qui les conventions ont toujours imposé une forme de passivité face aux performances – se retrouvent debouts, dansants. Un travail impressionnant, qui conduit la salle, toujours au même rythme, celui de la techno, jusqu’aux jardins en dehors du théâtre. Avant que la performance, feu d’artifice à la main, esquisse une danse de la joie, libératrice, avant d’enferme le public dehors, sous la fine pluie de printemps.

© Claudia Ndebele

Expérimentations

Moins réussies que cette impressionnante première prestation, les autres propositions du festival s’illustrent par leur hétérogénéité. Citons pêle-mêle Rohee, un spectacle hybride autour de la danseuse Rohee Uberoi, spécialiste du bharata natyam, une danse traditionnelle indienne. Depuis le Canada, la performeuse, guidée par le performeur suisse Simon Senn, raconte comment, ensemble, ils ont essayé de capter l’essence de cette danse millénaire. Une manière de mêler technologie et mouvements du corps – leur spontanéité peut-elle devenir une ligne de code ? -, et de comprendre l’essence d’un mouvement.

Cette performance aux airs de conférence est rapidement suivie d’une autre, Ceci n’est pas une ambassade (Made in Taïwan), où trois activites tentent de faire existe sur scène, une ambassade de Taïwan en Suisse – le petit pays, toujours pas reconnu comme tel, en est aujourd’hui privé. Sur scène, les performeurs emmenés par Stefan Kaegi, multiplient les astucieux gestes de mise en scène pour décrire la vie – avec humour parfois – taïwannaise. À l’aide de maquettes projetées sur le mur arrière de la scène, le collectif Rimini Protokoll se prend à rêver de cette reconnaissance politique dont ils sont dépourvus. D’abord enthousiasmante, la proposition se mue en conférence à mesure que ce long spectacle – deux heures, bien plus que le reste de la programmation -, se prolonge. Une question reste en tête : est-ce encore du théâtre ?

Le reste de la programmation, plus courte, plus expérimentale, fait la part belle aux jeunes artistes suisses. Dans son skatepark, la performeuse Géraldine Chollet étire une petite performance (les cinq minutes initiales en deviennent vingt). Arcboutée, recroquevillée sur elle-même, l’artiste se rélève petit à petit, jusqu’à se mettre chanter, à mesure que son partenaire de jeu, hissé sur une trotinette, s’achemine autour d’elle.

D’autres performeurs osent la nudité : face à un public disposé en cercle autour d’eux, le duo formé par Davi Pontes et Wallace Ferreira s’avance, vêtus d’une seule paire de baskets blanches, à coups de petits sauts. Cette chorégraphie, revendiquée « d’autodéfense », explore la représentation des minorités. Le résultat est vague : parfois drôle – les performeurs multiplient les figures cocasses, exposant leurs sexes parfois très près de spectateurs embarrassés -, parfois hypnotique tant la répétition des mouvements est précise. Le moins que l’on puisse dire, et c’est sans doute ici l’objectif de Programme Commun, c’est qu’il y a là une forme d’audace.

Journaliste

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