Avec son 6.58 : Manifesto, la colombienne signe un spectacle envoûtant sur l’impact de la technologie sur nos corps.
Pendant que les spectateurs s’installent, ce soir du mois d’avril dans la grande salle du Carreau du Temple (dans le 10e arrondissement de Paris), six danseurs de la compagnie « Andrea Pena and artists » les fixent. Habillés en survêtements de sport, le petit groupe de performeurs reste stoïque, le visage fermé. Leurs gestes, volontairement mécaniques, sont finalemennt guidés par une voix robotique. Tour à tour, ils sont invités – ou plutôt forcés, si l’on se fie à leurs expressions faciales – par cette même voix à répéter des mouvements sur un des neufs carrés dessinés au sol. Peu à peu, la voix qui les commande devient plus exigente.
« Plus vite », « encore », ordonne-t-elle aux danseurs qui commencent à transpirer à grosses grouttes. Le message est limpide, peut-être même un peu trop : ici, la technologie se confronte aux limites de la performance humaine. Une voix robotique, des corps empiétrés dans des mouvements répétitifs, comme ceux de robots rayés. L’inspiration de cette performance de la colombienne Andrea Pena tient en une question : que fait la technologie à nos corps ? Après l’aliénation, forcément, la libération. Deux des danseurs se retrouvent ainsi au même endroit, l’un d’entre eux ayant pris du retard sur ses mouvements. Ils se regardent avant de s’enlacer, geste aussi charnel que les corps suintants et musclés, dont la puissance érotique est révélée par de puissants éclairages. La voix artificelle est battue, place aux corps, des corps presque nus, des corps érotiques, musculeux, suants. Des corps humains.
Triptyque envoûtant
Présenté pour la première fois en France lors de deux dates au carreau du temple, cette première chorégraphie imaginée par la colombienne Andra Pena, 6.58 : manifesto interroge le rapport de l’homme à l’artificialité à travers ce triptyque, qui met en scène des danseurs qui se libèrent progressivement de l’emprise de la technologie sur leurs corps. Très didactique, cette libération en trois étapes – le spectacle se divise en trois grandes parties, lisibles, que l’on mesure à l’aune de l’allure des danseurs.
Prévisible, mais enthousiasmante malgré tout, cette chorégraphie fait la part belle au déferlement des corps, qui offrent de beaux moments qui trouve son apogée dans un final envoûtant qui allie les danseurs à une soprano. C’est la beauté qui mue les danseurs en véritables êtres humains, dégagés et libres de se mouvoir comme ils l’entendent. Les corps s’agitent, se libèrent, enlèvent leurs vêtements et basculent dans une performance charnelle, que l’on croirait presque spontanée, autant de corps qui captivent le regard et emballent les sens. Là est la grande force de cette proposition, dont le versant théorique a déjà été vu aileurs (chez le franco-belge Damien Jalet notamment) les gestes et la lumière, mêlés, offrent de vrais instants de grâce – le talent des performeurs y est pour quelque chose. Cette première performance se termine comme il a commencé : le regard des performeurs se pose sur le public. Seule différence : ils sont libres cette fois-ci. Une chorégraphe est née.
6:58 Manifesto, un spectacle d’Andrea Pena. Présenté au Carreau du Temple (10e arrondissement de Paris), les 24 et 25 avril 2024. Informations et réservations.