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Rencontre avec Bellboy : « On voulait sortir des carcans de la pop sans avoir peur »

Bellboy
© © Morgane Lagneau-Guetta

Avant la sortie en mai de leur second EP, Opéra Partie 2, nous avions discuté avec le duo Bellboy de la première partie du projet : Opéra Partie 1, de leur rencontre, de leurs influences communes et l’univers singulier qu’ils ont créé ensemble. Rencontre.

Avec ce premier opus, Opéra Partie 1, Joseph Cousin et Arthur Azara nous immergent dans leur univers baroque et rétro-futuriste nous contant la rencontre et l’histoire d’amour éternelle entre un Bellboy et une Bellgirl. Clavecins et vocodeurs se mêlent. Voix et expérimentations sonores s’entrelacent. Bienvenu dans la première partie d’un opéra contemporain unique en son genre sous l’influence de François de Roubaix et Sakamoto.

Opéra Partie 1  est votre premier EP et Bellboy, c’est à la fois le nom de votre projet et en même temps celui du personnage de cette histoire qui raconte une sorte d’amour éternel entre un Bellboy et une Bellgirl. Comment est né ce projet un peu singulier ?

Arthur : On avait déjà le nom du groupe. Dans notre imaginaire, le bellboy c’est un personnage et la référence c’était un groom d’hôtel type Spirou. Naturellement, on pouvait se permettre de lui donner une place et de créer une fable autour. La première chanson de l’EP, «  Les créatures de l’univers  », a pris cette tournure,. C’était pour créer une légende autour du groupe.

Comment vous êtesvous rencontrés ?

Joseph : On s’est rencontrés il y a environ 7 ans. Très vite, on a commencé à créer ensemble, à faire de la musique et tout un tas d’autres choses.

Arthur :  Et à être amis ! Ce qui est marrant, c’est qu’on s’est rencontrés comme des amis mais on a toujours fait de la musique ensemble. Nous avons appris à nous connaître en même temps que nous partagions des références communes. Et de fil en aiguille, c’est devenu Bellboy. Un jour, on a eu l’impression que l’on avait maturé toute notre expérience commune et on s’est rendu compte qu’on allait complètement dans la même direction et qu’il n’y avait pas de compromis. 

Joseph : Il y avait un sentiment de liberté, c’est là qu’on a commencé à organiser un peu la création de cet EP et du projet Bellboy en même temps. C’est pour ça qu’il y a ce truc interconnecté avec le nom. Tout est arrivé en même temps, comme un début et en même temps un aboutissement.

Arthur : Il y a un moment où on s’est posé. On avait beau faire de la musique depuis longtemps ensemble pour s’amuser, on avait fait plein de chansons mais on a fait table rase et on est reparti de zéro avec cette idée de nom de groupe, Bellboy et de créer le premier opéra de Bellboy.

Et comment travaillez-vous la composition et l’écriture ensemble ? 

Arthur : On se partage les tâches et on se répond beaucoup. Moi, je suis plus musicien que Joseph mais parfois, je récupère aussi des projets qu’il a fait, même si je suis plus technique. Pour autant, c’est une écoute commune sur tout, tout le temps.

Joseph : En général, on trouve toujours un point de justesse, d’abord avec la première idée de base de la maquette jusqu’à des questions de structure, d’arrangements… Les textes évoluent pendant, parfois après, mais jamais avant. Il y a souvent une création un peu simultanée. On se laisse beaucoup la liberté d’écrire à quatre mains, c’est-à-dire à se renvoyer les textes l’un et l’autre, jusqu’à arriver à quelque chose que l’on valide tous les deux et où on sent que l’on a atteint l’alchimie avec la musique qui va créer l’émotion qu’on cherche tous les deux à ressentir.

Arthur : En tout cas, ce qui est cool, c’est que maintenant, on n’a pas trop de problèmes à être cash entre nous et à se dire quand il y a quelque chose qui ne nous convient pas. Ce qui compte, c’est vraiment la finalité, plus que nos petits travaux, chacun de notre côté. Le but, c’est qu’à la fin, on arrive à un truc qui nous touche tous les deux, le plus possible.

C’est rare d’arriver dans un même projet à imbriquer autant des paroles avec des arrangements. Il y a une vraie continuité musicale qui s’opère sur tout l’EP…

Arthur : C’était une volonté. Enfin, il y avait cette recherche dans l’écriture. Et puis, je pense que les textes ont été plus que jamais travaillés, même s’ils paraissent assez simples. Il y avait l’idée que ça coule un peu comme une chanson des Beatles. Nous, en tant que Français, on ne se pose pas trop la question du texte. C’était hyper important pour nous d’avoir des textes qui soient simples mais qui ne se répètent pas ou qui ne soient pas non plus poétiques pour rien.

Joseph : C’est réunis ensemble qu’ils vont créer l’émotion. Ce n’est pas seulement un texte puis une voix qui chante sur une musique. 

Arthur : De toute façon, c’est imbriqué dans la production.

Joseph : On ne cherchait pas ce côté chanteur. On ne voulait pas avoir l’impression qu’il y a un chanteur qui chante sur une musique mais on voulait chercher une forme de neutralité dans la voix. C’est pour ça aussi qu’on a beaucoup joué avec le vocodeur, avec des traitements où on trafique les voix…

Arthur : Et puis, on voulait beaucoup de voix différentes au cours de l’EP. On voulait que ce ne soit pas repérable et que l’intervention d’une voix soit à chaque fois un événement musical et procure une émotion différente, que ce soit une voix de fille, de garçon ou le vocodeur qui est beaucoup plus mécanique. Il y avait toujours l’intention que ce soit musical.  

Oui, finalement, il est impossible de savoir qui nous raconte cette histoire…

Arthur : Non, il y a un truc omniscient. En tout cas, c’est ce qu’on a essayé de faire. 

Joseph : Il y a quand même la grosse voix, en anglais qui vient rajouter des éléments de narration mais ça reste un peu cryptique. Enfin, après, on peut l’interpréter comme on veut, mais en tout cas, pour nous, ça ramène plutôt à des émotions et des références qu’à quelque chose de narratif. 

Est-ce que la première volonté du projet était de nous embarquer dans un univers différent ? 

Joseph : Alors, la toute première volonté, c’était de faire table rase et de composer.

Arthur : Et de faire de la musique qui nous plaise. C’était surtout ça, à la base.

Joseph : Mais ce côté, peut-être narratif, il est arrivé aussi parce qu’on a décidé de commencer par écrire un squelette, une structure, où on avait noté la tracklist avec premier morceau, deuxième morceau, troisième morceau… Et à chaque fois, on indiquait une idée de ce à quoi pouvait ressembler le morceau. Par exemple, c’est parlant pour «  Les créatures de l’univers  », on avait écrit ce morceau comme une introduction à l’univers. Et de ce travail-là, il y a quand même quelque chose qui se rapproche d’une idée de scénario. Enfin, qui a amené quand même à avoir quelque chose qui, finalement, se répondait, s’articulait et qui n’était pas une succession de morceaux qui ne se répondaient pas les uns les autres. 

Arthur : Le projet a été envisagé comme un tout, dès le début, on a suivi une trame. Il y avait besoin de rebondissements et que ce ne soit pas linéaire ou ressemble à un enchaînement de morceaux qu’on avait dans un coin et qu’on a rassemblé ensuite.

Joseph : Et c’est un peu malgré nous que la finalité fonctionne effectivement comme une histoire.

Il y a cet aspect osé d’avoir un EP/album plutôt concept qui raconte une histoire. Aujourd’hui, ce sont plutôt les morceaux seuls qui fonctionnent. Et en même temps, là, vous avez réussi à trouver un équilibre rare où on peut autant écouter votre récit que les chansons séparément…

Arthur : Oui d’ailleurs on ne voulait pas vraiment faire un album concept. Je n’ai pas trop de références d’albums concept, à part des albums de Gainsbourg. Et dans ce sens-là, ce n’est pas l’idée première de raconter une histoire absolument mais c’est arrivé un peu malgré nous de se rendre compte qu’il y a des choses qui se répondaient et une thématique : l’amour vu sous toutes ses coutures.

Par contre, il y avait vraiment l’intention, musicalement, de choses qui reviennent, d’instruments phares : les violons, les chœurs, le vocodeur, le clavecin… C’était quelque chose qui nous tenait à cœur, parce que musicalement, on trouve ça toujours intéressant les albums qui sont un peu la proposition d’un artiste. J’aime bien ce côté laboratoire et de se dire que pour le prochain disque, ce sera peut-être une autre triade d’instruments.

Est-ce que vous voyez le fait de faire de la musique et de composer comme une expérience ? À la fois pour vous et pour celleux qui vous écoutent… 

Joseph : Pour l’émotion, je dirais. On a un rapport à la création qui est de chercher la justesse en cherchant l’émotion donc c’est une expérience, en quelque sorte, oui. Et après, une fois qu’on trouve ça, il y a plaisir aussi à réécouter son morceau et sentir qu’on a atteint peut-être ce qu’on cherchait. C’est ça, la forme d’expérience.

Arthur : Oui, la forme d’expérience, c’est quand on n’arrive pas à se lasser d’écouter le morceau nous-mêmes et qu’on sent qu’il y a un truc qui nous bouleverse d’une certaine manière.

Joseph : Dans l’expérience, il y a l’expérimentation parce qu’il y a ce plaisir à pouvoir s’écarter peut-être du point de départ pour justement rechercher cette émotion parce que c’est un kiff de finalement partir sur autre chose.

Arthur : On voulait sortir des carcans de la pop sans avoir peur. On s’en inspire énormément mais malgré tout il y a l’envie de ne pas répondre à des formats et de se laisser porter et c’est peut-être ça qui donne ce côté expérience. Mais pour nous, c’est juste comme ça. On aurait du mal à se restreindre.

Ce clavecin c’est assez original, parce que le mélange nous place dans un château du XVIe siècle et en même temps, dans un univers galactique. D’où vient l’idée ?

Arthur : Un baroque rétro-futuriste. Je pense que c’est quelque chose qu’on aime bien parce que ça place aussi hors du temps. Musicalement, on aime des choses très électroniques et contemporaines mais aussi des vieux trucs. 

Joseph : Des vieux trucs, voire des très vieux trucs. (Rires). Le clavecin vient un peu de Bach et aussi d’un morceau des Stranglers, «  Golden Brown  ». Et puis dans l’idée d’opéra en particulier, il y a un côté Phantom of the Paradise avec la première chanson de Faust. C’est un tout. Il y a aussi l’album de reprise du Yellow Magic Orchestra au clavecin qui nous avait amusés quand on l’avait découvert. C’est simplement un plaisir de mélanger les choses et puis d’essayer de trouver un truc nouveau.

Justement, quand vous composez, est-ce qu’il y a une recherche de son, une recherche plus expérimentale et musicale avec l’idée d’aller chercher des nouvelles sonorités ?

Joseph : Notamment là, sur cet EP, il y avait cette dynamique-là où on a pris beaucoup de plaisir à triturer des trucs, à aller chercher des sons de voix inédits ou alors qu’on avait envie de s’approprier. Après, je ne sais pas si on fera toujours ça, mais là, c’était un épisode dans cet état d’esprit de proposer une sonorité à part entière qui se rattache uniquement à ça.

Il y a une référence musicale assez évidente dans cet EP, c’est François de Roubaix, non ? 

Arthur : On est super fans. Et je pense qu’il y a aussi un lien pour nous à aimer la musique de film comme François de Roubaix ou Sakamoto. Il a énormément fait d’expérimentations et de choses hors format. Ces compositeurs qui avaient une liberté et qui accompagnaient de l’image ça nous a amené peut-être à avoir aussi ce côté-là, de se laisser emporter dans des structures qui sont plus musicales en général.

Joseph : Et puis, quelque chose aussi qui nous parle chez François de Roubaix c’est son rapport à l’expérimentation et à la création au sein de son lieu, dans son home studio chez lui. Et c’est vrai que ça, pour cet EP, on a eu, je pense, un rapport aussi expérimental du fait que l’on pouvait être dans notre cocon, très libre. 

Arthur : Il n’y avait pas d’enjeux, personne ne nous attendait. On a pris le temps qu’on avait envie dans notre chambre. C’ est un plaisir très intime et très personnel où tout est possible.

Et justement, vous aimeriez faire des musiques de film ?

Arthur : Oui, carrément, on est ouvert : musique de film et musique de jeux vidéo aussi. Ça nous intéresse. 

Il y avait des références cinématographiques précises pour cette EP ?

Joseph : On n’avait pas forcément des choses en tête mais il y a quand même des films qui revenaient. 

Arthur : Quand même dans les paroles, il y a quelques références. Les trois films principaux, ce serait Le Roi et l’Oiseau, Akira, et Sailor et Lula qui est directement évoqué. C’est aussi une histoire d’amour un peu légendaire. Et il y avait aussi, même si ce n’est pas un film, la bande dessinée de Moebius Le Monde d’Edena, dans cette idée-là, des légendes d’amoureux. Finalement, ce ne sont que des choses qu’on a digérées depuis très longtemps.

Joseph : Ce sont beaucoup de références qu’on avait chacun dans notre enfance quand on ne se connaissait pas. Ça arrive souvent qu’on se dise « Toi aussi, tu as été marqué par ça ou construit par ça ? ». Et il y a pas mal de choses dans ce projet-là qui ont été le fruit de ces choses qu’on a digéré chacun de notre côté mais que l’on avait en commun.

Arthur :  Et qui font que l’on a aussi la même sensibilité sur tant d’aspects.

Il y a quelque chose qui est très important de l’enfance dans cet Opéra, partie 1

Arthur : Oui, c’est un thème qui revient et puis même pour nous qui est porteuse d’émotions particulières. Mais au-delà de l’enfance ou l’adolescence, c’est plutôt la nostalgie, une sorte d’émotion douce-amère avec beaucoup de tendresse et en même temps un peu de tristesse. 

Joseph : C’est un thème qu’on a forcément voulu évoquer parce que, par exemple, c’est comme tous les Miyazaki qui traitent de héros d’enfance. Pour nous, c’est naturel. On le ressent énormément dans les émotions que l’on voulait retranscrire.

Et comment avez-vous construit le live ? 

Arthur :  Pour le live, on a fait le choix de faire quelque chose de différent et de conscientiser le fait qu’on allait être deux sur scène. On ne voulait pas faire jouer tous ces arrangements des morceaux qui sont quand même assez fournis en bande pour nous chanter par-dessus comme au karaoké mais essayer de partir du principe qu’on allait jouer le plus possible, comme si on jouait l’entièreté du live en dépouillant. Et revenir à la composition des morceaux, au texte et pour les voix, quelque chose de plus brut avec une boîte à rythme et chacun notre synthé et nos voix. Pour proposer quelque chose d’autre, c’est-à-dire retrouver les morceaux qu’on a écoutés en studio, mais un peu plus intime avec plus de proximité et moins l’artifice des arrangements.

Joseph :  Et puis aussi avec l’idée que ça fera plaisir quand on accueillera un batteur et un bassiste parce que nous on saura très bien jouer les morceaux et qu’il y aura un travail de réarrangement perpétuel à chaque fois qu’on aura des nouvelles idées ou des nouveaux morceaux ou des nouvelles personnes qui puissent nous accompagner sur le live.

C’est quelque chose qui vous plaît, l’instant du live, de la scène ? 

Arthur : Oui, c’est important sur le long terme. Pour s’amuser toujours de la même manière sur les morceaux.

Il y a un aspect très visuel dans le projet Bellboy avec une vraie direction artistique qui illustre votre musique, est-ce qu’à terme vous aimeriez créer un vrai show visuel ? 

Joseph : Pour l’instant, ce n’est pas d’actualité. 

Arthur : Comme c’est encore le début, on se concentre sur la musique et le travail du son du live mais c’est quelque chose que l’on pourrait envisager. Après, je suis un peu partagé entre faire un show son et lumière ou alors faire un concert avec plusieurs instrumentistes qui jouent. Les deux pourraient me plaire, peut-être que je préfère le côté plus classique du concert avec des musiciens. Mais c’est à réfléchir.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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