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Rencontre avec Jim Bauer : « Être artiste, c’est témoigner »

BB98
Jim Bauer - © Léïna Jung

Porté par ses expériences en tant que musicien de rue à New York, Londres ou encore Paris, la sensibilité de Jim Bauer traverse la modernité. Son premier album BB98 en est le meilleur témoignage. Rencontre.

Bien plus que la simple beauté de sa voix, c’est sa capacité à transcrire des phénomènes sociétaux par ses textes et ses mélodies, qui détonne. Des morceaux à la fois entraînants, berçants, dansants ou mélancoliques. « Le téléphone » – premier titre de son nouvel album BB98, en est la représentation parfaite. Ce morceau reflète la relation addictive que l’humain entretien à l’appareil, y trouvant tant de ressources que d’angoisses. Cet élément capable de créer un empêchement de l’instant présent. Un postulat d’apparence décourageant, porté par un morceau qui crépite pourtant si agréablement à l’oreille.

BB98 est paru suite à un long voyage international. Peux-tu nous raconter l’influence de ce périple sur ta musique ?

J’ai quitté Paris plusieurs fois, pour quelques semaines de voyages. Le tour de l’Andalousie, la Tunisie, le Maroc, Berlin, la Turquie, la Thaïlande. Je voulais m’extirper de ce quotidien parisien. Pouvoir composer en esquivant l’influence parisienne. Ce rapport à la musique qui devient très capitaliste  : beaucoup de chiffres, de likes, de tendances… Ça se tiktokise un peu, si je puis dire. Et c’est ce phénomène-là que j’essaie de fuir, esquiver aussi le regard des autres.

Comment as-tu choisi les destinations à découvrir ? Les chansons de BB98 ne prédestinent pas les voyages, si  ?

L’envie de voir le Sahara d’un côté, mon envie de voir mes origines andalouses de l’autre. Nous avons été au Maroc avec un ami pour enregistrer les morceaux sous forme de guitare-voix. Afin de pouvoir les faire écouter. Lorsque je suis parti, je me suis extrait de l’ordinateur. J’ai tout composé avec le mémo-vocal de l’iPhone. Un refrain dans une mémo, un couplet dans une autre. Parfois j’avais pensé le texte en marchant dans la rue, mais je n’avais rien de concret à faire écouter jusque-là.

C’est bien différent du processus « rendez-vous au studio, aujourd’hui on produit trois morceaux  ».

C’est un peu ce que je vis habituellement, en réalité. Mais c’est une façon de faire industrielle, dans une époque où la musique se fait de plus en plus facilement. D’un point de vue technique du moins. Comparé aux époques passées, c’est moins inédit de parvenir à faire un son. Pour redonner de la valeur aux choses, il faut leur rendre leur rareté. Leur donner du fond. Et c’est par le fond qu’on peut lutter contre la technique.

Après, on peut essayer de se motiver par le rendement comme on veut, ça ne marche pas. Il y a une démarche qui n’est pas très incarnée, quand on se dit « on va en studio, on fait trois morceaux ». C’est en superficie. On fait de la musique, mais il n’y a pas d’histoire derrière le propos. Quelquefois c’est beau, il se passe quelque chose, mais souvent on fait, « parce qu’il fallait faire ». Je ne voulais pas que BB98 soit un album comme ça.

Les rencontres que tu as faites pendant tes voyages, ont-elles influencé les morceaux présents sur BB98  ?

Ce qui m’a influencé, c’est la solitude dans le voyage. Une solitude plutôt bien vécue. Être seul dans un pays, dont on ne connait pas la langue, où l’on ne connaît personne. Où tout le monde ne parle pas anglais. Où l’on passe beaucoup de temps à être seul avec soi-même, à penser. On est dans la contemplation constante aussi. On se mange des paysages en permanence, on découvre des décors que l’on n’avait jamais vu… C’est une sorte d’énorme introspection  : on passe toute la journée à être dans un musée à grandeur nature. Chaque interaction devient importante, prend une ampleur qu’on ne lui accorderait pas au quotidien. Par exemple l’histoire de « Madrid » ce n’est pas grand-chose en réalité.

Je l’ai un peu fantasmée, pour en faire une chanson derrière. Cela faisait des jours, que j’étais seul à Madrid. À une heure du matin, il y a une femme qui vient me voir quand je suis seul au bar. Elle m’aborde en me demandant si ça va et si je veux les rejoindre pour aller faire la fête avec eux. C’est comme ça que je me retrouve à faire la tournée des boîtes de Madrid jusqu’à 4h ou 5h du matin. Et puis elle me dépose à l’hôtel et c’est tout. Fin de l’histoire. Il ne s’est rien passé d’exceptionnel, c’est juste quelqu’un de sympathique qui me parle après 4 ou 5 jours sans parler à personne. Une femme qui a ce comportement hyper généreux de dire « viens avec nous, on sera bien ».

Pour trouver de l’inspiration, je pense qu’il est nécessaire de maintenir sa capacité à l’émerveillement. Et cette capacité-là, elle est un petit peu dépendante de la rareté des choses. C’est difficile de s’émerveiller de choses que l’on voit tout le temps.

Jim Bauer

Peux-tu nous réveler la signification du titre de l’album, BB98 ? Born Bauer, un hommage aux années 90s  ?

Je dirais que 98 c’est un peu l’année de naissance de ma pop culture à moi. La découverte de ce qui nourrira ma culture artistique. C’est à cet âge-là environ, que je découvre Final Fantasy, Daft Punk, Eminem.

En quittant Paris, j’ai effacé pas mal de choses que je consommais par conformisme en tant que bon parisien bobo qui cherche à être à la page. Je me suis remis à écouter Eminem, Radiohead, Nirvana. J’ai réinstallé Final Fantasy sur mon téléphone, regardé Pokémon, lu des mangas. Je me suis rendu compte qu’en enlevant le regard extérieur et la pression de la ville et cette ambiance capitaliste, je redeviens le même adolescent. Comme quand il n’y avait pas encore d’enjeu tu vois. Je me suis dit que j’avais envie qu’il y ait cette âme-là dans mon album. Bon ce n’est pas pour autant que je me suis mis à écrire des chansons sur Pokémon non plus hein (rires). Mais je voulais un album qui reprend ce je-m’en-foutisme-là en fait. 98 c’est donc bien pour cette raison : l’année d’encrage de ma pop culture, que je voulais tatouer d’une certaine manière.

BB est arrivé après  : je passe du bébé à l’enfant avec mes premières empruntes pop culture, mes premières inspirations. Cette idée de la propre identité qui s’installe. C’est une façon de réattribuer Bauer aussi dans BB98, là où ma mixtape s’appelait Jim. Je trouvais ça drôle.

Après deux EPs déjà riches en réflexions sur le monde et ses sociétés, cette fois-ci on remarque deux thèmes récurrents  : l’amour et la non-conformité.

Le sujet de l’amour n’est pas que romantique. C’est l’amour d’un art, l’amour d’un ami, l’amour d’un enfant, un amour d’une soirée. Pour moi, ce n’est pas la durée qui fait l’amour. On peut connaître une histoire d’amour d’une soirée.

Dans « Madrid », j’ai mélangé deux histoires : celle qu’on évoquait et une autre que j’ai vécue à Paris. Se positionner dans la peau de deux personnes qui ne se s’aiment pas, mais qui ont besoin de ne pas se sentir seuls. Comme une décision qui dirait « je te choisis comme partenaire ce soir, pour jouer une pièce qui va nous faire du bien à tous les deux, sans qu’on ait vraiment à s’imposer à réfléchir sur l’autre ; ou bien à réfléchir à une suite ».

C’est aussi important de savoir dire bonjour à l’inconnu, que d’apprendre à lui dire au revoir.

Jim Bauer

Il n’y a d’ailleurs que peu de chansons dans l’album qui parlent d’amour romantique au sens strict. « Sentiment de verre » c’est une histoire qui ne marche pas, « Elle » c’est pareil mais j’inverse un peu la version « habituelle » : ici, c’est un mec qui est amoureux d’une fille qui ne veut pas sortir avec lui.

La non-conformité c’est un sentiment qu’on a tous d’une façon ou d’une autre, parce que je ne pense pas que la conformité soit dans notre ADN. C’est d’ailleurs ce qui fait la spécificité de l’être humain  : ce besoin qu’il a, de se distinguer de l’autre. Généralement à travers l’imaginaire d’ailleurs. L’imaginaire pousse à constamment s’inventer.

La place de l’artiste, c’est un peu celle de peindre l’époque dans laquelle il vit  ? Quel que soit son art  ?

Entre autres. Le travail d’un artiste c’est de communiquer de la passion et de s’incarner. De motiver l’incarnation des gens aussi. C’est un peu de délivrer des autorisations. De montrer qu’« être humain c’est ça ». Dire parfois « ce que tu as vécu, sache que je l’ai vécu aussi ». C’est aussi de provoquer. Je pense qu’il y a l’équivalent de deux poles dans la pratique artistique, non-manichéens. Ces poles sont la fédération d’une part et la provocation de l’autre. Certains cherchent à créer une réaction chez l’autre, tandis que les autres cherchent à unir, quitte à ce qu’on soit un peu hypocrite.

Je pense que les deux peuvent être une réussite, il n’y a pas une approche qui prévaut l’autre  : elles n’ont pas le même rôle et les deux sont nécessaires.

Pour moi être artiste ce n’est pas être un exemple, c’est partager une forme de témoignage.

Jim Bauer

Comment vient l’inspiration de tes morceaux  ?

Il n’y a aucune règle. La mélodie d’abord et ensuite les paroles, c’est plus régulier que son contraire  ! Dans la musique anglophones, c’est souvent la musique qui prime sur tout, là où en France ce serait plutôt le texte qui prévaut. En français je dirais que la musique n’est qu’un support pour un texte littéraire. On aborde la chose différemment.

Pour créer, j’ai compris qu’il ne fallait pas tellement penser en termes d’ordres  : qu’est-ce qu’il faut faire en premier, puis en second  ? Non. La création vient de la frustration. Je vais imager  : si je te donne une page blanche, c’est un produit fini. Il ne manque rien. C’est un carré blanc. Sauf que si je fais un trait dessus, alors ça devient un dessin non terminé.

Parce que l’action a été amorcée, mais non terminée  ?

Voilà, et c’est à partir de là, que devra naître l’inspiration. De la frustration de voir un dessin pas fini. Le point de départ compte peu, ce qui compte c’est qu’il y en ait un. Et que ce dernier ne soit surtout pas du vide. Parce que le vide est un produit fini. Il ne crée pas cette impulsion nécessaire à la création.

Vingt secondes de piano ? C’est frustrant. Il faut composer autour. C’est une belle impulsion à la création musicale.

BB98 paru le 02 février 2024. Jim Bauer sera en tête d’affiche à la Boule Noire le 31 mars prochain  !

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