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LE FILM CULTE – « Le Seigneur des anneaux : La Communauté de l’anneau » : Exposer sans réciter

Le Seigneur des Anneaux © Metropolitan FilmExport
Le Seigneur des Anneaux © Metropolitan FilmExport

Chaque mois, un·e rédacteur·ice vous propose de revenir sur un film qu’iel considère comme culte. Classique panthéonisé ou obscure pépite disparue des circuits traditionnels de diffusion, le film culte est avant tout un film charnière dans le parcours cinéphile de chacun·e. Ce mois-ci, retour sur Le Seigneur des anneaux : La Communauté de l’anneau.

Le Seigneur des anneaux, plus que des livres ou que des films : une légende. Si J.R.R. Tolkien en a posé les bases, Peter Jackson l’a révélée au grand public en décembre 2001. La Communauté de l’anneau, le premier tome de cette trilogie littéraire qui n’avait jamais réussi son passage au cinéma jusque-là, est apparu dans les salles obscures à travers le monde. Commence alors une aventure qui, pour les spectateur·ices, prendra deux ans à se terminer, avec les deuxième et troisième films sortant respectivement en 2002 et 2003. Le Retour du roi, le troisième volet, obtiendra d’ailleurs onze oscars et égalisera les records de Titanic et Ben-Hur.

Mais ici, nous ne parlerons que du premier de ces trois films. Le succès des suites n’est pas à remettre en cause, mais c’est bien La Communauté de l’anneau qui a fait entrer le public dans cet univers de Fantasy. C’est lui qui l’a émerveillé en premier et qui, sans artificialité, a introduit une saga inoubliable.

Évidemment, il est impossible de traiter de tous les aspects qui font de ce film un chef d’œuvre, mais la récente sortie du catastrophiquement mal pensé Dune, deuxième partie, et la remémoration de la très mauvaise introduction à son univers dans Dune, permet de se concentrer sur ce qui fait de La Communauté de l’anneau une réussite et un film culte : la subtilité et l’efficacité de son exposition liées à une adaptation réfléchie qui a su moderniser sans défigurer.

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À propos des Hobbits

Le Seigneur des anneaux est paradoxalement aussi simple que complexe. Simple, car il reprend énormément d’éléments préexistants du folklore européens (elfes, nains, orcs…). Complexe, car Tolkien a créé un univers dont l’histoire, s’étalant sur plusieurs millénaires, s’apparente à une véritable mythologie. Ainsi, le début du film n’est pas le début de l’aventure. Le réalisateur pose la guerre contre Sauron, l’anneau et son pouvoir mais aussi comment celui-ci est arrivé entre les mains de Bilbon – et le tout, en un temps record. Les grandes lignes sont posées, l’ampleur du film est dévoilée à grands renforts d’effets spéciaux révolutionnaires, les spectateur·rice·s sont happé·e·s dans un univers qui les émerveillent.

C’est un mode narratif brutal, mais nécessaire à l’entraînement in medias res (au milieu des choses) du spectateur. Une fois les explications de la voix off finies, le film change sa façon d’exposer des informations aux spectateur·ice·s. Désormais, ce sont des éléments diégétiques tels que les dialogues ou les décors qui nous transmettent des informations, et ce, sans l’artificialité souvent liée à l’exposition. Ainsi, la mise en abyme de Bilbon écrivant son livre nous append comment vivent ces « petits gens » (une séquence qui rempli de joie tout·e·s celleux qui la regarde), tandis que la magnifique architecture de style art nouveau des elfes met en avant leur lien avec la nature. C’est une véritable immersion qui rend réel les rêves des spectateur·rice·s. Les plans de Fondcombe dans sa vallée sont d’un idyllique rarement égalisé, jamais dépassé.

Mais La Communauté de l’anneau ne s’arrête pas seulement à une compréhension de l’intrigue et des différentes races qui peuplent le monde de Tolkien. De la même manière que pour le présent, le film met en lumière la richesse de son passé. Les personnages discutent et se connaissent déjà, pas besoin de tous les introduire entre eux, les décors laissent transparaître des récits héroïques et tragiques. Il y a eu une vie avant le film, il y en a pendant, il y en aura après.

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Un raccourci vers les champignons

Le riche univers du Seigneur des anneaux est traité avec une grande subtilité. Mais qu’en-est il de l’histoire des livres ? La Communauté de l’anneau est le premier et le plus long des trois livres qui composent l’épopée de nos amis hobbits. Il a été nécessaire de faire des raccourcis, de couper des personnages et des sous-intrigues. Ainsi, Tom Bombadil disparaît, avec une grande partie des aventures vécues par l’embryon de la communauté entre la Comté et Fondcombe. Cela impacte le radicalement le rythme du film, qui n’a rien à voir avec celui du livre. Rien ne traîne et les moments marquants du voyage s’enchaînent.

Mais est-ce une mauvaise chose ? Ceux qui ont lu les livres le savent, la description détaillée des paysages prend une place importante des centaines de pages que comporte l’ouvrage. En mettant en images le texte, la description disparaît au profit des plans larges, costumes, décors… L’action devient alors primordiale. Mettre de lentes marches en images n’aurait aucun intérêt. Les ellipses constituées de plans en hélicoptère montrant l’avancée des membres de la communauté dans les paysages sauvages se suffisent.

Mais faire des raccourcis peut vite apporter des dissonances et certains éléments importants peuvent se retrouver traités avec un rapidité qui empêche la bonne compréhension de certains enjeux. Le conseil d’Elrond, où commence réellement la quête de Frodon, est un excellent exemple de justesse dans son adaptation. Pour éviter le long monologue de Gandalf, Peter Jackson met en image sa rencontre avec Saroumane. Le conseil peut garder toute son importance : il expose les enjeux géopolitiques et les personnalités des personnages sans ennuyer le spectateur.

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Le miroir de Galadriel

Les personnages de La Communauté de l’anneau sont eux-même sans être eux-même. Ce sont des reflets de leur version dans le livre. Pas tous, évidemment, mais prenons Aragorn. Dans le livre, il se proclame descendant d’Isildur et réclame le trône du Gondor. Dans le film, il rejette son héritage, en est effrayé. C’est un changement brutal mais qui s’explique assez facilement : qui, au XXIème siècle, voudrait voir une apologie de la monarchie, notamment aux États-Unis ?

Évidemment, cela amène des critiques. C’est dénaturer l’œuvre originale, qui souffrait déjà de raccourcis, diront certains. Mais, aurions-nous été autant touchés par les personnages s’ils n’avaient pas des comportements proches de nos standards sociaux ? Merry et Pippin sont les comic reliefs du film mais ne sont pas inutiles, comme c’est souvent le cas pour cet archétype. Ils ne sont pas au centre de la narration, mais ce sont leurs scènes qui créent un attachement aux personnages. Grâce à eux, tous les personnages, même les plus nobles, nous apparaissent sympathiques. Tout comme pour l’univers, le film de Jackson rend vivant les personnages tout en les actualisant grâce à des dialogues bien écrits et des interactions crédibles. À la sortie de la Moria, l’affliction qui s’abat sur la communauté est partagé avec les spectateur·rice·s.

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Adieu à la Lórien

À la fin, lorsque le Mordor apparaît au loin, les derniers mots de Frodon sont les nôtres : «  Sam, je suis content que tu sois avec moi ». Quel bonheur d’être avec Sam, de vivre cette aventure avec tous les personnages, mais nous devons les laisser là. C’est un au revoir et non un adieu, il reste deux films, mais c’est un au revoir forcé. On voudrait rester dans ce monde merveilleux, malgré les terribles événements qui précèdent cette fin. Pourquoi ? Évidemment, pour l’intrigue, pour connaître la suite des événements posés par ce premier volet. Mais aussi pour tout ce qui rend l’univers du Seigneur des Anneaux vivant et attrayant. C’est la force du film (et de la trilogie) qui en fait une adaptation presque inégalable en force. C’est une exposition réussie.

Voilà ce qu’il faut retenir de La Communauté de l’anneau : c’est une classe de maître sur l’exposition. Le réalisateur utilise tous les éléments de la mise en scène pour varier les moyens de transmettre des idées sur ce monde étrange (pas de dialogue explicatif forcé) et, surtout, il donne de la vie au monde. Ce dernier élément est ce qui fait qu’une bonne adaptation de Fantasy ou de science-fiction devient un chef d’œuvre. Si les deux autres films sont eux aussi excellents, La Communauté de l’anneau reste le meilleur de la trilogie. Il est la preuve que tout peut être adapté avec assez d’amour pour une œuvre. C’est un monument, une ode à la fantaisie et un rêve devenu réalité.

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