CINÉMA

« Dune : deuxième partie » – Poésie sans ver ni prose

© Warner Bros. Entertainment Inc.

Repoussé par la grève des scénaristes, attendu par une communauté de plus en plus impatiente, Dune, deuxième partie est enfin arrivé dans les cinémas. Denis Villeneuve signe une œuvre adaptée à l’IMAX mais déconnectée d’un univers rempli de subtilités.

Villeneuve est de retour après trois ans d’une attente qui semblait interminable. La première partie du film avait été acclamée dans le monde entier (mais pas chez Maze) et l’univers de Frank Herbert est revenu en force, des livres aux jeux-vidéos. Dune, deuxième partie veut continuer à faire tourner cette machine, ce rouleau compresseur qui l’emporte sur toutes les autres franchises actuelles au box office comme dans la critique. Mais la stratégie du « tout visuel » employée par Legendary Pictures avec son auteur-réalisateur québécois n’est pas adaptée à Dune. Et, si elle fonctionne aujourd’hui, elle s’essoufflera bien vite.

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L’image avant l’adaptation

Dans une interview pour The Times, et traduite par Premiere, Denis Villeneuve explique qu’il «  déteste les dialogues  ». Certes. Et d’enchainer : « Simplement l’image et le son, c’est ça le pouvoir du cinéma  ». La vision du cinéma de Villeneuve se concentre donc sur la musique et l’image. Et forcément, Dune : deuxième partie, est quasiment intouchable de ce point de vue. Qu’il s’agisse des images en noir et blanc de Giedi Prime (la planète des Harkonnen) ou sur Arrakis, elles sont travaillées avec minutie. Les paysages sont esthétisés, les plans sont remplis consciencieusement, comme des peintures, les effets spéciaux et les décors naturels sont en parfaite harmonie. À cela s’ajoute la cohérence globale de l’univers : la technologie, les costumes, le système politique… Bref, comme dans le premier volet, Villeneuve se pare des atours de la virtuosité.

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Mais, si tout cela permet de rendre l’univers de Dune crédible, en ces mondes étranges et ces factions se battant pour le pouvoir, cela ne sauve pas l’adaptation. Ce que propose Villeneuve, c’est une belle vitrine qui met des images sur une quantité d’éléments aux noms étranges – Bene Gesserit, ornithoptères, Kwisatz Haderach- mais oublie d’en expliquer l’utilité. Quel est le message de Dune ? C’est la question que tout spectateur devrait se poser en sortant de la séance.

Les visions et la fin du film sont censées nous faire comprendre une chose : Paul n’est pas un héros, il n’est pas un Messie pour les Fremens. Il a peur de ce qui n’a été prononcé qu’une seule fois sur les presque trois heures de film : la guerre sainte (ou de son vrai nom dans le livre : Jihad).

Alors, oui, Dune : deuxième partie est un film taillé pour la salle de cinéma. Il y impressionne, nécessairement. Mais, ce tour de force esthético-technique jette dans l’ombre tout un pan de ce qui fait le cœur de l’univers du livre originel. Et nous ne devrions pas connaitre le livre pour comprendre le film.

Innover, puis stagner

Le Dune de Villeneuve n’est pas la première mise en image de l’univers de Frank Herbert. Avant lui, Lynch, Jodorowsky ou la société Cryo Interactive se sont essayés à cet exercice. Si l’influence des œuvres passées se ressent dans une grande partie de cette nouvelle adaptation, Villeneuve et son équipe proposent aussi des changements brutaux.

Nous avions déjà vu les Harkonnen et leurs corps étrangement constitués, complètement lisses et blancs. Cette fois, nous voyons leur étrange planète baignée d’un soleil noir transformant le film lui-même puisqu’il passe de la couleur au noir et blanc. Ce choix original s’accompagne d’ailleurs — film américain oblige — d’une utilisation de l’imagerie nazie qui complète le traitement banal des Harkonnen comme méchants de science-fiction américaine. Au gré des parades militaires où s’agitent les drapeaux visuellement peu éloignés de ceux du IIIe Reich, chacun des membres de cette maison finira par tuer un subordonné, que ce soit par plaisir ou colère.

Cette dualité entre originalité et classicisme pur n’est pas que visuelle. Elle s’exprime aussi dans le traitement même de certains thèmes, de certains éléments scénaristiques. La religion Fremen en est un bon exemple : elle a été mise en place par le Bene Gesserit, sorte de pouvoir religieux aux multiples facettes et proche des Fremen comme de l’empereur, afin de servir leurs propres intérêts. Le Lisan Al Gaib, le Messie, est une façon de contrôler ce peuple qui attend leur sauveur, lequel ne peut être qu’un instrument introduit par le Bene Gesserit, dans le but de servir leurs intérêts. Toute cette complexité apparaît dans le film à travers les deux « camps », croyants et sceptiques, mais se fait balayer par un humour tiré mot pour mot de Monty Python : La Vie de Brian, détruisant tout le traitement original de la religion au cinéma.

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Y a-t-il un dialoguiste dans l’Ornithoptère ?

Mis à part cet étonnant humour, les dialogues restent sérieux, mais sont d’une rareté qui semble contraire à une bonne compréhension de Dune. Les personnages ne dialoguent pas. Ils bavardent. Les échanges ne sont pas profonds, personne ne semble réellement se connaitre. Les pensées, les doutes, les envies, rien n’est partagé. Le rapprochement entre Chani et Paul se fait à travers un court échange, où ce dernier répète au moins cinq fois qu’il la trouve belle et veut être avec elle, tandis qu’elle martèle qu’il est un étranger. De la même manière, Jessica (Rebecca Ferguson), lorsqu’elle échange avec Paul, son dernier lien avec sa vie passée (et fils, accessoirement), ne cherche qu’à convaincre Paul d’accepter de devenir le Lisan Al Gaib, ce qu’il refuse constamment avant d’accepter, sans que sa mère n’ait un quelconque rapport avec son choix.

Finalement, les personnages ne semblent vouloir discuter que lorsqu’ils ont des idées opposées, sans débattre. Ils se répètent la même chose en continu, mais sans argumenter. Dans la dernière partie du film, lorsque Paul va convaincre les Fremen qu’il est le Messie tant attendu, il lui suffit de crier un peu fort qu’il est leur chef et de raconter l’histoire d’un Fremen inconnu pour que tout le monde l’acclame. Dans un univers où la Voix du Bene Gesserit touche l’esprit de ceux qui l’entendent, la voix des acteurs se perd dans le vide.

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L’échec de la morale

Il n’y a qu’un seul personnage qui essaie de remettre en question l’ascension de Paul : Chani. C’est à travers elle que le spectateur doit comprendre qu’il y a une seconde lecture à l’histoire. Paul instrumentalise la colère et la religion des Fremen pour mener à bien une révolution qui se conclut par la mise en place d’un nouveau tyran, d’un nouvel oppresseur, d’un nouveau colonisateur. Mais qui, parmi les spectateur·ice·s n’étant pas familier à l’univers de Dune, a pu comprendre cela ? Quand Paul Atréides est exalté par tous, quand il ne semble avoir aucun doute et que les visions dans lesquelles il dit voir la mort de millions de personnes sont centrées autour de Jessica, que les antagonistes sont présentés comme des nazis et Paul comme un résistant, qui peut sortir du film et annoncer : Paul n’est pas un héros ?

Il ne s’agit pas de dire que tout doit être évident, que le spectateur doit être guidé, mais le traitement est ici trop expéditif. En moins d’un quart d’heure, Paul, qui ne voulait pas être le Lisan Al Gaib, change d’avis et lance la guerre sainte sans aucun remord apparent.

La complexité du scénario qui traine et s’autorise des ellipses mal intégrées perd les spectateur·ice·s. Iels préfèreront regarder les belles images du film sans en gratter la surface. La (très probable) suite du film perdra énormément des fans de cette adaptation ayant enterré toute sa subtilité sous un esthétisme excessif.

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