Babylon Berlin (2017-) est une superproduction allemande diffusée par Sky 1 Deutchland, visant à concourir avec les séries anglo-saxonnes. Le résultat est à l’image de Tom Tykwer (Cloud Atlas, Sense8), l’un de ses créateurs : parfois génial, parfois bancal.
Dans les années 20, Gereon Rath (Volker Bruch) est inspecteur de police à Cologne. Il est missionné secrètement à Berlin pour récupérer des photographies compromettant sa hiérarchie. Il y croise la route de Charlotte Ritter (Liv Lisa Fries), une jeune femme vivant dans les bas quartiers de Wedding, débrouillarde et ambitieuse, qui l’aide afin d’intégrer elle-même la police criminelle. Le passé traumatique de Gereon — à jamais marqué par les horreurs des tranchées — l’intrigue politique de complotistes voulant restaurer l’empire prussien, l’assassinat d’un groupe de trotskistes, le détournement d’un train venu de Russie, forment un tourbillon scénaristique pour Babylon Berlin, dont la profusion de mise en scène jouit du budget pharaonique alloué à la série.
Alexander Platz
Babylon Berlin met à l’honneur le foisonnement de la capitale allemande. Différents quartiers sont représentés pour accentuer l’éclectisme et les profondes inégalités qui frappent le pays, après sa défaite lors de la Première Guerre mondiale. Toutes les couches sociologiques sont représentées. En ce sens, Gereon est le parfait protagoniste : il est tout à fait dans la moyenne, presque médiocre. Son archétype provient des films noirs et des livres « Hardboiled » états-uniens. Le style vestimentaire et la fonction d’inspecteur de police permettent d’ailleurs d’établir un lien purement visuel et imaginaire entre Gereon et le détective privé Marlowe (Le Grand Sommeil).
Par sa fonction, Gereon est naturellement au contact de toutes les classes sociales. Il rencontre Alfred Nyssen (Lars Eidinger) un richissime industriel un peu veule, le haut fonctionnariat avec August Benda (Mathias Brandt), mais aussi ses collègues du commissariat. Déjà excessivement hiérarchisé, ce lieu est un véritable microcosme où se côtoient le milieu interlope et la violence « légitime ». Le point de vue omniscient élargit la vision de la série au-delà des aventures de Gereon. Ce parti pris permet de multiplier les intrigues et d’approfondir la psychologie des personnages à moindre coût. Ainsi, la misère des mansardes surpeuplées des taudis de Berlin-Mitte est le quotidien de Charlotte.
Polyphonie déséquilibrée
Babylon Berlin souffre paradoxalement de la multiplicité de ses points de vue. L’omniscience complexifie un peu artificiellement la trame narrative. Par exemple, les intrigues centrées sur Anno Schmidt (Jens Harzer) qui se révèle être le frère de Gereon, ou celle sur la Reichswehr noire, un corps franc passéiste voulant rétablir l’empire de Guillaume II, se révèlent inabouties. Malgré une volonté claire de faire une série chorale, à l’image de films comme Cloud Atlas (2012) ou Magnolia (1998), les créateurs n’arrivent pas à se détacher du format policier, et donc de Gereon, qui sert de point de vue de référence. Moralement, il se doit donc d’être neutre, affadissant la saveur de ses valeurs par rapports aux extrêmes. En d’autres termes, par ses vues sociales-démocrates, il est le symbole de la République de Weimar, fragilisée par les conditions de sa constitutions, en proie au nationalisme européen montant.
Sans l’idéaliser, le climat politique, relativement libre, en tout cas libéral, est justement dépeint. Le fait de retarder l’entrée en scène des « Sturmabteilung » (SA) jusqu’à la fin de la saison deux est une bonne idée. Tykwer et Von Borries sont conscients des à priori du public, avant tout germanophone et averti. En ménageant le suspens, ils soulignent le caractère insidieux de l’intrigue et laissent les personnages grandir dans un environnement neutre.
La splendeur des Nyssen
Tandis que le personnage de Gereon est malheureusement perclus d’archétypes et de clichés, d’autres tirent leurs épingles du jeu. L’acteur le plus connu, Lars Eidinger, accapare toutes les scènes dans lesquelles il apparaît. Le rôle d’Alfred, héritier industriel lâche et indolent, est taillé sur mesure pour lui. Eidinger est particulièrement frappant dans la gestion de ses silences. Comme dans ses prestations théâtrales, il est impressionnant dans sa prosodie, sa diction et ses postures. Peut-être aussi, qu’il est plus facile à comprendre pour un public français, les productions de Thomas Ostermeier s’exportant très bien en France et l’acteur apparaissant très régulièrement chez Olivier Assayas.
Enfin, Lotte Ritter bénéficie aussi largement du talent de Liv Lisa Fries. Son personnage porte en elle la lourde tâche de représenter toute la diversité et l’ambiguïté de Berlin. Son essence est moins volubile que Nyssen. Un zeste de résistance douce comme Sophie (Le Château ambulant), un brin de résolution comme Mononoké (Princesse Mononoké), mais surtout l’abnégation de Nausicaä (Nausicaä de la Vallée du Vent). Lotte est une héroïne moderne. Fries joue le personnage avec moins de variation que Eidinger, car elle en a moins besoin. Elle s’affranchit du simple « love interest », rôle dans lequel elle aurait pu s’enfermer.
Babylon Berlin réussit beaucoup de choses, mais, malheureusement, sa richesse est trop souvent cousue de fil blanc. Si le sujet et la note d’intention sont attrayants, la série n’est pas assez homogène pour être si mémorable. Malgré cela, il existe quand même des passages jouissifs comme l’assassinat de Jänicke (Anton Von Lucke) scénographié d’après les films expressionnistes allemands. Mais ces moments relèvent plus de l’exception que de la règle. En résulte une série policière avec, certes, une direction artistique léchée, mais trop souvent poussive et versant dans la banalité.