LITTÉRATURE

« Génial, ma mère est morte ! » – Double deuil

Jennette McCurdy © Brian Kimsey
Jennette McCurdy © Brian Kimsey

Génial, ma mère est morte ! est une autobiographie vulnérable et honnête, dans laquelle Jennette McCurdy raconte sa vie d’actrice, non pas par le prisme de l’adulte qu’elle est devenue, mais par les yeux de l’enfant qu’elle était.

Jennette McCurdy est une actrice américaine révélée par la série Nickelodeon iCarly. Elle y interprète un personnage secondaire exubérant, Sam Puckett. C’est l’image que beaucoup d’Américain·es gardaient d’elle jusqu’à la bombe : son autobiographie, parue en 2022, intitulée en anglais I’m glad my mom diedGénial, ma mère est morte !

iCarly, diffusée en France sur Gulli à partir de 2014 et sur les écrans américains entre 2007 et 2012, rencontre dès ses débuts un fort succès auprès des adolescent·es. Mais ce n’est pas son rêve qui se réalise. Qu’elle devienne une actrice à succès, c’est le rêve de Debra McCurdy, sa mère. Jennette n’a même pas 15 ans lorsqu’elle décroche le rôle. Elle en aura 20 lorsque le dernier épisode de la sitcom est diffusé. 

Don’t judge a book by its cover

Tout interpelle devant cette couverture : le rose et le jaune criards, la posture de présentatrice de téléachat de Jennette… Au premier coup d’œil, on s’attend à un récit léger, sûrement inspirant, dans la lignée des livres autobiographiques, classés « développement personnel » qui se sont multipliés ces dernières années, couvertures colorées et titre choc (Je veux mourir, mais je mangerais bien du tteokbokki de Baek Sehee ou Achète-toi toi-même ces p*tains de fleurs par Tara Schuster).

Génial ma mère est morte! couverture

S’arrêter à ce constat ne rend pas justice à cette autobiographie. Le récit que Jennette fait de sa vie débute alors qu’elle a à peine huit ans, et se termine à ses vingt-quatre ans. C’est un récit plein de violence, dans lequel les questions de harcèlement moral et autres violences intra familiales ne sont réfléchies que tardivement par la narratrice, lorsque le présent de la narration atteint ses vingt ou vingt et un ans. La Jennette du début du récit, si jeune, raconte ses première années de carrière telle qu’elle les a vécues, sans porter jugement ni explication… Elle est terrifiée à l’idée que sa mère, qu’elle adore, retombe dans les bras du cancer qui a failli l’emporter. Alors elle accepte. Elle est la petite fille parfaite. Et s’enferme dans son rôle.

– Alors, qu’est ce que tu en dis ? Tu veux devenir comédienne ? Tu veux être la petite actrice à sa maman ?

Il n’existe qu’une seule bonne réponse.

Génial, ma mère est morte, Jennette McCurdy.

La force de Génial, ma mère est morte ! réside dans la résilience dont McCurdy fait preuve. Alors que s’enchainent les désillusions et que Hollywood perd son glamour, elle plonge dans la spirale tristement familière qu’attend les enfants-stars. Troubles obsessionnels du comportement et troubles alimentaire (déclenchés par sa propre mère au moment de la puberté), alcoolisme, relations amoureuses dysfonctionnelles, emprise psychologique d’un réalisateur mégalomane… La jeune actrice échappe à la tragédie dans un dernier sursaut d’auto-préservation passant par la mise en place douloureuse d’une thérapie.

Ce que je dois à ma mère

Dans un article publié sur le site de The Atlantic, Nina Li Coomes soulève dans sa critique de l’autobiographie une question qu’elle a souvent entendu lors de cours d’écriture créative et autres ateliers : si tu veux écrire sur les membres de ta famille, et les conséquences de leurs actions sur ta propre vie, « il vaut mieux attendre qu’iels soient mort·es. » Si le conseil parait violent, il fait tout à fait sens dans le cas du récit de Jennette McCurdy. Si cette dernière a passé la majeure partie de sa vie à aimer et révérer sa mère, elle ne lui doit rien.

Debra McCurdy est à l’origine d’un grand nombre de maux de sa fille. Consciemment ou non, ses actions et ses demandes ont eu un impact terrible sur la santé mentale et physique de cette dernière ; et même si ses décisions étaient invoquées sous le prisme d’un amour sans borne, elles n’en restaient pas moins destructrices. Et pour se rendre compte de tout cela, Jennette McCurdy doit se plier à une thérapie violente qui lui fait reconnaitre les torts maternels.

« La fragilité de la vie de maman occupe une place centrale dans mon existence. » Alors que sa mère décède peu avant ses vingt-quatre ans, après une vie à rappeler la survie face à un cancer qui finit par avoir le dernier mot, Jennette McCurdy peut faire le deuil d’une mère qui n’en était pas une. Qui en attendait toujours plus. Qui aurait rêvé de vivre à sa place. La mort de sa mère est d’une manière un soulagement pour la jeune fille. De même que sa décision de renoncer à sa carrière d’actrice est pour elle un soulagement sans borne. Enfin elle peut s’épanouir dans une existence et une carrière qu’elle choisit de son plein gré.

Génial, ma mère est morte ! de Jennette McCurdy paru le 7 février aux éditions JC Lattès, 22,50 euros.

Journaliste

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