LITTÉRATURE

« Border la bête » – Préserver la sauvagerie

© La Contre Allée

Arrivée dans un refuge pour animaux sauvages, la narratrice est immédiatement aimantée par le paysage et par la femme qui y travaille. Border la bête de Lune Vuillemin ouvre un monde où la violence fracasse, des gestes soignent et les sens s’aiguisent. Saisissant.

Alors qu’elle fuit, désespérée, suite au deuil d’un être cher, la narratrice assiste par un concours de circonstance à la tentative de sauvetage d’un orignal. Devant ce lac gelé, elle découvre une femme, un homme et leur volonté tenace de donner une chance au vivant de survivre. Fascinée, elle décide de rester et de travailler à leur côté.

Après Quelque chose de la poussière (2019), Lune Vuillemin publie son deuxième roman Border la bête. Dans son récit, elle décrit une nature omniprésente. Ayant vécu au Canada pendant deux années, elle s’inspire de ces paysages nord-américains pour donner forme à son livre. On entre dans des forêts denses, parcourt des tourbières, croise des rivières et des lacs.

Dans cette vallée enneigée, la narratrice est accueillie par Jeff (un homme à la sensibilité exacerbée à qui il manque un œil) et Arden (la femme aux doigts arachnéens) qui la loge tout au long de son expérience. Admirative, elle découvre leur dévouement à toute épreuve envers ces animaux. À toute heure, ils vont chercher ratons laveurs, renards, loutres, opossums et autres bestioles blessées où qu’elles se trouvent. Ils les extraient des pièges, les ramènent pour les guérir et les aider à recouvrer leur liberté.

La grange n’a pas fière allure, mais je ne sais pas encore qu’à l’intérieur il fait chaud et qu’on y couve la vie. (…) Entrer dans la grange, c’est un peu comme se faire tout petit dans l’antre d’une bête qui hiberne. C’est plein de respirations chaudes d’animaux endormis, de murmures, de faim, de l’odeur du foin trempé de pluie, d’urine et de selles. (…) La grange est à la fois suffocante et rassurante. Tout de suite je m’y plais. 

Border la bête – Lune Vuillemin

Une histoire de rencontres

« Il nous faudrait, en fait, inventer un dialecte du territoire, former un nouveau dictionnaire de cette chose mouvante, changeante et tenace qu’est la nature ». Dans son récit, l’autrice pense la porosité entre humain et non-humain. Elle ne distribue pas les rôles selon le scénario classique du face à face nature/culture. Elle préfère observer les intrications inquiètes et les entremêlements silencieux qui peuvent exister entre toutes strates du vivant. Dans une prose subtile et précise, elle dit ce monde à l’atmosphère glaciale où les coyotes dansent en cercle autour d’Arden, où une coccinelle choisit le nombril d’une humaine comme nid et où une rivière prend la parole si on lui tend l’oreille.

Lune Vuillemin signe un roman d’une profonde humanité. Avec Jeff, la narratrice tisse une amitié puissante qui croît à mesure qu’ils se promènent et prêtent attention au langage cryptique et sensoriel de la forêt. Un herbier sonore né de leur décision de répertorier dans un carnet les bruits sauvages perçus. En avançant dans l’histoire, la narratrice voit les reliefs se superposer aux corps. Des branches, des falaises, des noeuds semblent peupler le corps d’Arden. Peut-être est-ce là un des effets de son désir grandissant pour elle. Ensemble, elles parlent peu mais une évidence physique se révèlent dans leur corps à corps sensuel. Cette entente muette révèle leurs souffrances passées avec plus d’intensité que si elles avaient été passées par le tamis du langage.

Border la bête met en lumière toute l’ambivalence dont la main humaine est capable : blesser, chasser, abattre mais aussi réparer, prêter secours, prendre soin. Lune Vuillemin pense la folie de destruction, la possibilité de tisser des liens forts et l’indicible douleur laissée par la disparition des êtres aimés.

Border la bête de Lune Vuillemin, éditions La Contre Allée, 19euros.

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