Les pistes de Perrine Le Querrec est un montage littéraire qui emprunte au cinéma. Trois personnages et quarante-deux scénarios possibles. Une histoire tournée, coupée, montée, réécrite, remontée.
Piotr, Ève et Tim. Trois êtres liés par une histoire. Cette histoire ne se donnera que par lambeaux dans un scénario qui n’en finit pas de recommencer. Perrine Le Querrec brise la narration pour faire advenir une écriture diffractée au service du temps, de la certitude de notre condition, de tous les mondes possibles et de l’imminence de la folie.
Perrine Le Querrec écrit, selon ses modalités de souffle, en prose ou en vers. À partir d’archives et d’images, elle forme des phrases qui cherchent à dire quelque chose de la souffrance, de la folie, de l’architecture, de l’institution. Elle reconnaît à la poésie la puissance d’ouvrir un autre espace pour ne pas perdre de vue l’espoir.
Ainsi, ses livres sont à l’écoute des vies fragilisées. Ils naissent souvent d’un déclic : une œuvre d’art brut fascinante pour Le Plancher (2013), l’artiste allemande Unica Zürn pour Ruines (2017) ou des témoignages de femmes victimes de violences conjugales pour Rouge pute (2020). Son dernier ouvrage, Les pistes, se construit autour de quarante-deux pistes. Chaque piste est un monde. Identique et différent. Entre ces mondes, des phénomènes d’écho et des images qui sautent.
Une histoire du sursaut
« Sur la table de montage rebattre les trois mêmes cartes : une femme tenant un verre, l’enfant et son vélo, l’homme boutonnant sa chemise ». Qu’est-ce qui peut bien faire histoire entre ces trois-là ? Ça pourrait s’ouvrir comme ça : Tom un enfant quittant définitivement la violence du foyer familial ou bien, Piotr, un médecin, est condamné par un diagnostic sans appel, ou encore Ève, une femme est terrassée par la tristesse jusque dans ses gestes les plus quotidiens. Quel lien entre elle et lui ? De qui l’enfant est-il l’enfance ? Quel drame brisera la course ? Dans les cris retenus et la violence sourde, un épuisant jeu de dupes n’en finit pas de se jouer.
Crois-tu que l’écriture, dix mots par minute ou par heure parfois par jour, bat des ailes, l’écriture lente l’élégance contenue dans un dos droit bras correctement posé coudes compris sur le bureau l’écran à bonne hauteur quelques inclinaisons cependant, de nuque de regard de moral parfois, crois-tu que l’écriture bat de l’aile, complexe, fragile, éphémère ? À chaque battement d’ailes les papillons effectuent une rotation de tout leur corps. En ajustant l’angle ils modifient la trajectoire.
Perrine Le Querrec, Les pistes
Perrine Le Querrec compose par plans, en décrivant des scènes et des gestes, en scandant les images textuelles par des écrans noir. Le mouvement fait partie intégrante de sa phrase. Elle fait attention à la ponctuation. Elle cherche une cadence. Use d’interjections. Saccade. Fait valser la graphie. Cette écriture cinématographique se double d’une écriture de la reprise. Les pistes sont autant d’amorces d’une histoire qui s’écrit en ne cessant de se réécrire, qui se répète pour essayer de repriser les blessures laissées par l’inéluctable. Livre saisissant.
Les pistes de Perrine Le Querrec, éditions Art&fiction, 13euros.