Voici une sélection, plus qu’un classement traditionnel, de ce qui nous a émerveillé et frappé dans les bandes dessinées parues en 2023. Cette année, inventivité et couleurs ont été les maîtres mots.
L’an dernier la sélection des rédacteur·ices était éclectique, mêlant récits politiques, historiques et imaginaires. 2023 reste résolument politique, tout en plaçant l’enfance et le cheminement au cœur des œuvres dessinées. Les enfances y sont belles, violentes, effacées, lumineuses. Toujours un point de départ, un enchantement et une source d’imagination sans fin. Les cheminements y sont lents ou brusques, intellectuels ou artistiques, effrayants ou tout en douceur. Une liste de dix BD comme autant de trouvailles réjouissantes, et qui ont marqué l’année 2023.
Le Voyage de Shuna – Hayao Miyazaki
Un jeune Prince part en quête d’une graine magique, laquelle permettrait de rendre les terres de son royaume déchu fertiles à nouveau. Ce conte dessiné et écrit en 1983 par le maître de l’animation Hayao Miyazaki, parait en France seulement en 2023 avec la sortie du onzième film d’animation du Japonais : Le Garçon et le héron. Ce magnifique ouvrage, aux planches couleurs pastel, contient les ingrédients qui ont fait de ses films des chefs-d’œuvre. Le réalisateur nous entraîne dans une fable écologique, où l’humain est la cause de sa propre perte.
Au fil des pages, il confronte son héros comme le lecteur, à la colère des divinités et au déchaînement de la nature. Hayao Miyazaki excelle, déjà, à dessiner des paysages tantôt arides, tantôt foisonnant de plantes et de créatures insolites. On se plonge dans ces dessins avec délectation et l’on s’attache sans difficulté aux personnages secondaires comme la charismatique Théa. On prend plaisir, d’ailleurs, à déceler chez elle des traits similaires à ceux des héroïnes qui ont marqué notre enfance : de la princesse Nausicaä de la Vallée du vent en passant par les jeunes Mononoké et Chihiro. Et pour ceux et celles qui n’auraient pas encore découvert l’univers d’Hayao Miyazaki, cette BD est une magnifique porte d’entrée vers celui-ci.
Klara Durand
Le Voyage de Shuna de Hayao Miyazaki, éditions Sarbacane, 25 €
Astrologie – Liv Strömquist
Quel que soit le sujet que choisisse de traiter la suédoise Liv Strömquist, il sera toujours abordé avec un mélange savoureux de sérieux et d’humour. Et c’est justement ce cocktail qui réconcilie dans ce livre les adeptes inconditionnels et les farouches opposants de l’astrologie. La bédéaste y convoque aussi bien des personnalités telles que Taylor Swift et Melania Trump, que le très sérieux philosophe Theodor Adorno. Elle prend soin de dresser la liste des compatibilités amoureuses, tout en abordant les travers des douze signes du zodiaque. Elle décrit surtout les ressorts d’une discipline qui survit coûte que coûte à notre époque ultra-rationnelle. Qu’apporte ce délicieux reste de pensée magique dans la vie d’adultes au XXIème siècle ? Toutes les réponses sont dans le livre.
Anaïs Dinarque
Astrologie de Liv Strömquist, traduit par Sophie Jouffreau, éditions Rackham, 24€
Baguenaudes – Marion Jdanoff
Marion Jdanoff signe un des très beaux livres dessinés de cette année. Baguenaudes est un espace d’images et de mots qui propose un nouvel érotisme. Au feutre, au crayon ou à la peinture, les dessins sont rapides et lumineux. Cet imaginaire visuel donne à voir des êtres qui expérimentent la métamorphose et le corps-à-corps dans un paysage volcanique où la mousse, les élans et tractopelles se côtoient. Baguenaudes est une physique de l’intime illustrée comme on n’en a jamais vue !
Marie Viguier
Baguenaudes de Marion Jdanoff, Super Loto éditions, 30€
L’été des charognes – Sylvain Bordesoules et Simon Johannin
Dans L’été des charognes, la belle saison est un point de bascule. Le narrateur et son ami quittent l’enfance et ses illusions pour la violence de l’âge adulte. Dans cette campagne où ils vivent, meurent les êtres pour devenir charognes. C’est avec brio que Sylvain Bordesoules reprend et adapte le texte de Simon Johannin pour le mettre en image. Les dessins sont aussi lumineux que le texte est sombre. La BD toujours colle au plus près de l’original pour mieux en proposer une vision unique, ravagée et éclatante. Un nouveau talent en bande dessinée est né.
Anaïs Dinarque
L’été des charognes de Simon Johannin et Sylvain Bordesoules, éditions Gallimard bande dessinée, 29€
Les Imbuvables – Julia Wertz
Après le guide underground qu’était les Entrailles de New York (2019), la dessinatrice américaine livre un roman graphique autobiographique et sarcastique ! Avec un humour piquant, Julia Wertz parle de son alcoolisme et ses conséquences sur ses amours, ses ami·e·s, sa vie… L’autrice nous fait passer du rire aux armes en une poignée de pages grâce à son écriture affûtée. Un ton touchant et faussement désinvolte, qui fait des Imbuvables une des meilleures BD de 2023 !
Basile Hervé
Les Imbuvables de Julia Wertz, traduit par Aude Pasquier, éditions L’Agrume, 26€
Brontëana – Paulina Spucches
Les enfants Brontë fascinent : Emily et sa fougue, Charlotte et son tempérament, Branwell et sa malédiction. Et Anne dans tout ça ? Elle est la cadette, la discrète, l’oubliée. C’est pour conjurer cette injustice que Paulina Spucches a réalisé cette bande dessinée. Certes, elle parle de la naissance d’une famille d’auteur·ices rare ; certes, elle met en page un bouillonnement d’imagination commun ; mais toujours du point de vue d’Anne. Superbement colorisée, Brontëana revisite avec élégance et inventivité le genre graphique de la biographie.
Anaïs Dinarque
Brontëana de Paulina Spucches, éditions Steinkis, 25€
Pépin et Olivia – Camille Jourdy
En 2019 il y a eu Les Vermeilles, petite merveille graphique à hauteur de petits et grands. Aujourd’hui il y a ce premier tome de Pépin et Olivia, ce duo de frère et sœur qui se lance dans les bêtises à corps perdus, en toute malice. Camille Jourdy leur invente un monde foisonnant de détails, celui de l’enfance heureuse dans de belles teintes pastelles. Un après-midi à la fête foraine, une balade en forêt avec mamie, une première bêtise qui fait boule de neige, chaque petit chapitre amuse. On se rappelle de ses joies d’enfant et on aimerait se fondre dans le décor pour jouer sans relâche et regarder le lever du jour avec Pépin et Olivia.
Anaïs Dinarque
Pépin et Olivia, La grande fête de rien du tout, tome 1 de Camille Jourdy, éditions Dupuis, 19 €
The Nice House on the Lake – James Tynion IV, Martinez Alvaro, Alvaro Martinez Bueno
Sorties toutes deux cette année, les deux parties de The Nice house on the Lake confirment que les comics ont leur place au panthéon des BD et autres romans graphiques. Walter invite onze de ses plus proches amis dans une villa pour un weekend. Problème ? Tout juste arrivés, il leur annonce que l’humanité va mourir, et qu’ils seront les derniers survivants. Fantastique – dans tous les sens du terme – et visuellement captivant, The Nice House on the Lake est une profonde plongée dans les relations humaines dont on ressort abasourdi·e.
Basile Hervé
Ma famille imaginaire – Édith Chambon
Si le livre Triste tigre de Neige Sinno a bouleversé la rentrée littéraire de 2023, c’est plus discrètement qu’est paru Ma famille imaginaire d’Édith Chambon. Dans ce récit autobiographique, la bédéaste revient sur son enfance : la vie isolée à la campagne quelque part dans le Sud Ouest de la France, avec la famille élargie (oncle, tante, grand-mère). Elle se souvient d’une enfance heureuse, du moins sans heurts visibles autre qu’une cicatrice laissée par une appendicite à quatre ans. Jusqu’à ce qu’un violent traumatisme remonte à la surface de son inconscient. Elle va alors remuer de lourds secrets familiaux et se rendre compte qu’elle vivait peut-être dans un passé et dans une famille imaginaires.
Anaïs Dinarque
Ma famille imaginaire d’Edith Chambon, éditions L’agrume, 26€
Salut la terre – War and Peas
Avec leurs funny comics, le duo War and Peas propose des petites doses d’humour à lire au quotidien. Dans ce recueil publié aux éditions Requins Marteaux – le premier en France – l’esprit caustique des deux Allemands tourne autour du thème a priori peu joyeux du changement climatique. Mais c’est là que réside le génie d’Elizabeth Pich et Jonathan Kunz : le décalage, l’inattendu, l’humour qui toujours se rit du cynisme. Salut la terre en est le parfait recueil.
Anaïs Dinarque
Salut la Terre de War and Peas, traduit par Fanny Soubiran, éditions Les Requins Marteaux, 17 €
